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Quand François Mauriac chante en canon avec Alain Souchon « J’ai dix ans » !

> 21 janvier 2023

Quand François Mauriac chante en canon avec Alain Souchon « J’ai dix ans » !

Une jeune fille riche, Irène, épousée pour son argent. Un quadragénaire encore un peu séduisant, Marcel, épousé par besoin de sécurité.1 Hervé, le mari d’Irène et Tota, la femme de Marcel, n’ont pas vraiment réalisé des mariages d’amour. Il en découle, très logiquement, des conséquences dramatiques. Pourtant, au milieu de ces vies mondaines superficielles, rôde la Grâce. La mère d’Hervé est là qui prie pour les âmes en errance ; Alain, le futur séminariste, est là qui s’apprête à offrir sa vie en sacrifice. Les cosmétiques sont utilisés au petit bonheur. Les résultats obtenus sont loin d’être joyeux. L’un se ronge les ongles, l’autre y applique du vernis. L’un s’arrache la peau, l’autre s’épile les sourcils

Irène de Blénauge, une trentenaire peu habile en matière de maquillage

Irène est la femme d’Hervé. Il s’agit d’une femme intelligente, cultivée, pleine de bonté (de bienveillance dirions nous de nos jours), âgée de 34 ans.

Après 6 ans de mariage avec Hervé… il y a de l’eau dans le gaz. Le couple patauge entre noir et gris. Irène est malade. Les médecins ne savent pas trop de quoi elle souffre. On hésite entre cancer et tuberculose. Hervé en profite pour délaisser le foyer conjugal courant rejoindre ses amantes d’un soir.

Irène affiche donc un teint de malade… une « figure cireuse, presque grise ». Entre son lit et la salle de bain (« […] je me recoucherai après mon bain […] »), Irène navigue sur un océan de solitude.

Pourtant, lorsqu’Irène découvre, par le biais d’une conversation téléphonique, que son mari la trompe, un sursaut cosmétique la secoue. Pour faire face à l’ennemie qui cherche à prendre sa place, Irène use d’un blush et d’un rouge à lèvres afin de ramener un peu de vie sur son épiderme éteint. « Après un temps de réflexion, elle descendit l’escalier, pénétra dans le cabinet de toilette, et commença de se faire le visage devant la glace. Elle se fardait les joues et les lèvres avec plus de soin que d’habitude, elle qui était connue pour son indifférence à la mode, pour son manque de goût. » Le résultat n’est, toutefois, pas tout à fait convaincant… « Quand elle eût fini de se farder, elle se contempla longuement, sans indulgence. La peau du front paraissait plus cireuse et plus blanche les oreilles (elle n’eût pas même imaginé qu’on pût mettre du rouge aux oreilles). Elle sourit, mais de la bouche seulement, et ses lèvres peintes prêtèrent un aspect terrible à ses gencives et à ses dents déchaussées. » Et c’est avec une « éponge » qu’Irène efface, prestement, tout son ouvrage cosmétique.

C’est donc le visage nu qu’Irène implore son mari. Surtout ne pas la laisser seule ce soir ! Sinon… Sinon quoi ? Sinon, Irène fera le geste fatal… Hervé sort… en ville. Irène, à l’aide du gardénal, sort… de sa vie !

Hervé de Blénauge, un petit garçon de 10 ans particulièrement doué pour mentir aux siens

Hervé est le mari d’Irène. Il s’agit d’un homme plein d’esprit qui aime à tailler des costards à ses meilleurs amis. Pour lui, un trait d’esprit l’emportera toujours sur l’amitié ! En soirée, Hervé critique-t-il, ainsi, Marcel Revaux, son copain d’enfance. « J’ai dit que son génie, car j’ai prononcé le mot de génie, c’était sa jeunesse ; et que s’il existe des hommes que la vie enrichit, lui, il devenait plus pauvre chaque année. »

Hervé est un enfant gâté… un petit garçon qui fait des caprices et court se réfugier dans les jupes de sa mère. Après le suicide d’Irène, pas question de se remettre en cause. « Il avait encore 10 ans, il n’avait rien fait de mal. »

Mme de Blénauge, une vieille femme parfumée, experte en prières

La mère d’Hervé est une personne très religieuse, qui ne voit en sa belle-fille Irène qu’une âme à sauver. Sa crainte : que sa belle-fille ne se suicide au gardénal.

Cette vieille femme, cette veuve vêtue de noire, se parfume au vinaigre de Bully, un cosmétique qui fait ses preuves depuis plus d’un siècle. « Les vêtements sombres, les vieilles fourrures de sa mère sentaient le vinaigre de Bully, le poivre. »

Tota Revaux, une toute jeune épouse, spécialiste du vernissage de ses ongles

Tota Forcas (Forcas est son nom de jeune fille) est la femme de Marcel. Cette toute jeune femme, beaucoup plus jeune que son mari (un écart d’âge de 18 ans), supporte mal la jalousie de celui-ci. Une jalousie alimentée, exacerbée par Hervé, l’ami de toujours ! Un ami qui voit le mal partout, même et surtout là où il n’est pas.

Hervé a ainsi réussi à faire naître dans le crâne de Marcel un horrible soupçon ; Alain, le frère de Tota, semble bien affectueux… N’y aurait-il pas eu des rapports incestueux entre les deux jeunes ? Deux jeunes qui ont vécu repliés sur eux-mêmes sous l’autorité d’un père despotique.

A Paris, Tota est un oiseau nocturne, qui ne profite pleinement de la vie que le soir tombé. Alain qui étouffe dans ses soirées artificielles s’étonne : « Il regardait sa sœur : la fatigue et ce rouge qu’au cours de la soirée elle avait dû se mettre au petit bonheur la vieillissait. Ses mains paraissaient sales à cause des ongles carminés, comme trempés dans du sang de bœuf, pareils à ceux de toutes les femmes, d’ailleurs, qui toutes avaient la même maladie des ongles. Et Alain se rappela les mains brunes et égratignées que Tota lui tendait à travers les haies. »

Dans son appartement, Tota passe de longues heures à se pomponner sous l’œil inquisiteur de Marcel. Ce jaloux veut savoir l’emploi du temps de sa femme, à la seconde près… « Elle allait simplement prendre un bain, s’habiller. »

Et avant chaque départ en soirée, le même rituel immuable se met en place. Pendant que Marcel s’habille, Tota met la dernière main à son masque de sociabilité. « Tandis qu’il se refaisait son nœud de cravate, il observait, dans la glace, Tota qui allongeait d’un coup de crayon ses sourcils épilés. Elle frottait ses ongles, le regard vidé de toute pensée. »

Et toujours le désir de séduire… William ou un autre, qu’importe. Tota flirte avec William. Celui-ci, perfide, détaille le visage de sa victime d’un œil critique. « Et lui vit les dents pures mais mal rangées, la peau du front trop jaune, les joues un peu creuses fardées au petit bonheur […] ».

Marcel Revaux, un vieux mari, adepte d’onychophagie

Marcel est le mari de Tota. Avant de l’épouser il a eu une longue liaison avec Marie Chavès, une femme qui, depuis, a sombré dans la toxicomanie.

Marcel, un homme tourmenté qui se demande bien pourquoi Tota a accepté de l’épouser (le lecteur, quant à lui, le comprend bien ; Tota a fui un père violent et tyrannique). Un adulte qui se ronge les ongles comme un enfant et arrache « de ses dents aiguës les petites peaux ».

Alain Forcas, un très jeune homme soucieux de la vérité, sans fards

Le jeune frère de Tota est un jeune homme de 19 ans. Ce Bordelais qui débarque à Paris pour visiter sa sœur quelques jours n’en revient pas de la vie mondaine de celle qui a partagé ses jeux autrefois.

A Paris, Alain étouffe !

A Paris, Alain est médusé en constatant l’arsenal cosmétique désormais nécessaire à sa sœur. Pourtant, après le démaquillage, il retrouve la petite fille d’antan : « Elle avait dû enlever son rouge et il la retrouvait telle qu’à l’époque où elle ne se fardait pas : les yeux cernés, le teint brouillé. »

Ce qui était perdu, en bref

Dans ce roman, François Mauriac glisse une allusion à Thérèse Desqueyroux.2-4 Celle-ci se désespère dans un jardin public, sous le regard plein de compassion d’Alain Forcas.

Dans ce roman, François Mauriac dissèque les rapports conjugaux de deux couples, plus mal assortis l’un que l’autre et se glisse dans leur intimité cosmétique. Pour lui, le vernissage des ongles relève de la pathologie ; se farder le visage sans se soucier de se maquiller les oreilles constitue une faute de goût majeur.

Hervé a toujours 10 ans, lorsqu’il a fait une bêtise (et ici elle est de taille) tout comme Alain (Souchon et non Forcas) qui, depuis 1974, ne se décide pas à grandir.5 J'ai dix ans/Je sais que c'est pas vrai/Mais j'ai dix ans/Laissez-moi rêver/Que j'ai dix ans

Bibliographie

1 Mauriac F., "Ce qui était perdu" in Les chefs-d’œuvre de François Mauriac, Cercle du bibliophile, Tome IV, Grasset, 365 pages

2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/se-maquiller-pour-etre-presentable-1220/

3 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/amelie-nothomb-francois-mauriac-deux-ecrivains-qui-se-soucient-de-l-hygiene-de-l-assassin-2307/

4 Histoire de l’arroseur arrosé avec en plus… un soupçon de poudre de riz | Regard sur les cosmétiques (regard-sur-les-cosmetiques.fr)

5 https://www.paroles.net/alain-souchon/paroles-j-ai-dix-ans

 

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