Nos regards
Lorsque Camille Sherman passe son amour à la machine !

> 18 février 2023

Lorsque Camille Sherman passe son amour à la machine !

Ecrivain au Mercure de France, Laurent Pasquier fréquente assidûment le bureau qui lui est dévolu dans la célèbre maison d’édition ;1 précisons que d’écrivain fétiche il est devenu, suite au décès de son prédécesseur, directeur en titre. Il y côtoie des écrivains comme Paul Léautaud et y fait engager Camille, sa toute jeune maitresse. Entre l’amitié de François Desqueyroux et l’amour de Camille Sherman, Laurent est bien au chaud, en sécurité. Lavé de son passé poussiéreux, Laurent, la cinquantaine rabougrie, retrouve une seconde jeunesse pour les beaux yeux d’une maîtresse qui pourrait être sa fille !

Paul Léautaud, crade au possible

Le vieil homme peut facilement être qualifié de « sale » par la plupart de ses contemporains. Il faut dire que Léautaud refuse obstinément le confort « moderne », choisissant soigneusement des logements dépourvus de « douche » ou de « baignoire ». L’ami de Laurent Pasquier, François Desqueyroux (traduisez : François Mauriac) a même détourné un dicton français pour résumer la situation : « Le vieux est l’ennemi du bain. »

Laurent Pasquier, propre comme pas possible

Jérôme Duhamel a certainement dû rédiger une partie de son roman, la radio allumée à ses côtés. Si Alain Souchon passait « L’amour à la machine » en 1993, Jérôme Duhamel, quant à lui, passe son Laurent Pasquier à la douche en 2012. La rencontre entre Laurent et Camille constitue une véritable étape dans la vie d’un écrivain engourdi par le train-train quotidien. « L’arrivée de Camille dans ma vie produisait un étrange phénomène : elle me lavait. » Camille lave « les yeux » de Laurent, qui était aveugle jusque-là. Camille lave le cœur de Laurent, un cœur qui ne battait plus guère jusque-là. Camille lave le corps de Laurent, afin de lui faire subir un bain de jouvence. Elle « me lavait le corps, afin qu’il se trouve rajeuni de sentir le propre, le beau, le net, plutôt que le savon qui décape tout ou le parfum qui masque l’essentiel. » Camille lave « l’orgueil » de Laurent et puis encore son imagination, afin de « retrouver les couleurs d’origine, lumineuses et claires » ! Un tablier autour des reins, Camille a décidé de laver le « linge sale », qui s’est entassé, au fil des ans, dans « le cerveau » de l’écrivain dont elle est tombée amoureuse. « La grande lessive salutaire » permet à Laurent de faire peau neuve et de retrouver l’enthousiasme de la jeunesse !

Raymond Pasquier, un médecin comme pas possible

Ram est mort… Ne reste plus que le souvenir de ses extravagances. Des « bronchites », soignées « au lait de coco » ! Des sutures réalisées avec des « lianes », récoltées dans le jardin !

Une belle famille, carrément impossible

Emmanuel, le fils aîné de Laurent est en passe d’épouser Paulette Masson, la fille de l’un des cadres dirigeants de Citroën. Laurent, dubitatif, regarde cette future bru autoritaire et mal lunée avec circonspection. Et lorsque Laurent détaille l’allure de la future belle-mère de son fils il n’y a pas de quoi être très rassuré. Celle-ci forme avec son tendre époux un couple à la Dubout. Epaisse, mais vêtue avec des tenues « vaporeuses », Yvonne Masson porte « sur son visage plus de maquillage qu’une peau ne saurait en supporter. » Inondée de « parfums aux envahissantes effluves », la brave dame est loin d’être la discrétion-même.

Et des bruits de bottes sur fond de « Melancholy mood »

Pendant que l’Allemagne s’apprête à envahir la France, Frank Sinatra, « la nouvelle idole gominée de l’Amérique », fait part de son état mélancolique sur les ondes. Le tombeur de ces dames s’est fait plaquer ; il en a les larmes au bord du cœur et regrette son esclavage amoureux défunt !2

Et un air de printemps aux Deux magots

Un restaurant pour amoureux… Laurent y donne rendez-vous à Camille. Il fait beau. Une « vieille femme trop fardée » vend des bouquets qui sentent le printemps. Camille commande un Coca-Cola, pendant que Laurent siffle des verres d’un petit blanc sec qui donne étonnamment soif. Laurent déteste le Coca, « au goût de pharmacie » !

Le dernier amour du monde, en bref

Laurent Pasquier a changé de marque de gel douche… qu’on se le dise. Lorsque Camille est entrée dans sa vie, elle a remplacé le savon, irritant, par un syndet à la douceur incomparable. De quoi aborder la vie sous une nouvelle peau, toute douce, toute tendre, toute nouvelle. Une peau qui retrouve la jeunesse de ses 20 ans et s’imagine que tout peut encore recommencer. Ah, ce Jérôme Duhamel, digne héritier de son grand-père, il possède, tout comme celui-ci, le réflexe cosmétique !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 Duhamel J., Le dernier amour du monde in L’heure où les loups vont boire, Le clan des Pasquier, Flammarion, 2012, 621 pages

2 https://lyricsfrance.com/frank-sinatra/melancholy-mood/

 

 

Retour aux regards