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Le tutoriel laideur de Mina

> 27 septembre 2020

Le tutoriel laideur de Mina

Mina de Vanghel est une drôle de fille.1 Elle rêve d’un mariage d’amour reposant sur des bases solides, celles d’un amour vrai. Pour parvenir à cet idéal, Mina met au point un stratagème un peu particulier basé sur un mensonge, un gros mensonge, un horrible mensonge. Mina, la reine du déguisement, nous propose une séance de relooking un peu particulière… Suivons-la, jusqu’au bout, dans une aventure qui révèle plus d’une surprise.

Mina, une blonde aux yeux bleus « différente »

Mina est une jeune Allemande qui possède de « grands yeux bleus si doux » qu’on lui donnerait le bon Dieu sans confession. Cette jeune fille se distingue des autres par un petit quelque chose en plus… Mina est « différente, mais non pas singulière ». En fonction de ses états d’âme, l’aspect de sa peau est modifié. Lorsqu’elle est malheureuse, sa santé et sa beauté s’en ressentent.

Mina, une blonde aux yeux bleus aux cosmétiques différents

Lorsque Mina tombe amoureuse de M. Larçay, un homme marié, la voilà prête à faire toutes les folies. La jeune fille de bonne famille est bien décidée à suivre son amoureux de près… C’est ainsi que lorsque la famille Larçay part en cure à Aix en Savoie, Mina se déguise en femme de chambre et entre au service de Mme Cramer, une femme capricieuse, qui part, elle aussi, prendre les eaux. Mina se fait désormais appeler Aniken. Le torchon brûle rapidement entre Mme Cramer et sa drôle de femme de chambre… Mme Larçay qui passait par là et qui cherchait justement une bonne est l’hôtesse idéale pour notre jeune héroïne. Afin de ne pas effaroucher sa maîtresse par une beauté un peu trop tapageuse, Mina va effectuer chaque matin « pendant deux heures » une sorte de toilette à rebours. Les soins cosmétiques qu’elle réalise ont désormais pour but de l’enlaidir. Très jeune, Mina a testé différents types de produits lui permettant d’altérer la couleur de sa peau. Il ne reste plus maintenant qu’à mettre en pratique toutes ces expériences. Première étape, une coupe de cheveux drastique (« quelques coups de ciseaux en avaient fait justice »). Deuxième étape, une teinture capillaire qui confère à la kératine une couleur plutôt indéfinissable. « Grâce à une préparation chimique, ils avaient pris une couleur désagréable et mélangée tirant sur le châtain foncé ». Troisième étape : un soin cosmétique pour acquérir des mains de travailleuse. « Une légère décoction de feuilles de houx, appliquée chaque matin sur ses mains délicates, leur donnait l’apparence d’une peau rude. » Quatrième étape : un soin tenu secret qui permet de transformer un « teint frais » en un teint hâlé (« Chaque matin aussi, ce teint si frais prenait quelques unes des teintes désagréables que rapportent des colonies les Blancs dont le sang a eu quelque rapport avec la race nègre. ») ; ce teint bronzé est alors considéré comme la pire offense qui puisse être pratiquée sur un teint naturellement laiteux considéré comme le critère de beauté le plus appréciable. Ces soins cosmétiques s’avèrent efficaces ; la beauté de la jeune fille disparaît progressivement. L’esprit vif, quant à lui, reste bien présent.

Mina, une blonde aux yeux bleus pour un apprentissage de la botanique différent

Alfred Larçay n’est pas vraiment insensible au charme de la jeune domestique. La présence d’Aniken à ses côtés constitue pour lui des moments pleins de poésie. Des instants de complicité naissent ainsi lors de séances botaniques pleines de fraîcheur. Aniken prépare la colle destinée aux planches de l’herbier ; Alfred l’initie à la science de la reconnaissance des espèces végétales. Petit à petit, des liens se tissent. Aimée pour son âme, Mina peut laisser tomber sa fastidieuse toilette de laideur. « Elle cessa de faire avec autant de soin tous les jours la toilette destinée à l’enlaidir ». Elle consulte des médecins au sujet de cette maladie de peau qui lui « enlève ses belles couleurs pour lui donner un teint de quarteronne ». Sa beauté primitive surgit, enfin, aux yeux de tous. Mme Larçay n’y voit que coquetterie de la part de sa servante. Quels cosmétiques peut-elle bien utiliser pour avoir ce teint merveilleux ? Est-il bien prudent de garder sous son toit une si jolie fille ? La réponse est, bien sûr, non ; la réaction ne tarde pas. Retour à l’envoyeur… retour chez Mme Cramer dont le tempérament s’est visiblement adouci.

Mina, la vengeance d’une blonde

Rien ne va plus entre Mme Larçay et sa trop jolie femme de chambre ! Comment conquérir le cœur de M. Larçay lorsque l’on s’en éloigne physiquement ? Une seule solution, perdre de réputation l’épouse fidèle aux yeux de son époux en lui inventant un amant. Le comte de Ruppert qui brûle d’amour pour Mina se charge de ce rôle odieux. Et cela fonctionne. Clash entre les deux époux ; Alfred et Mina s’enfuient en Italie pour filer le parfait amour.

Alfred, la vengeance d’un homme trompé

L’homme une fois conquis, Mina s’enhardit à lui révéler la vérité sur son identité, la vérité concernant la mise en scène destinée à perdre Mme Larçay à ses yeux. Ni une ni deux, Alfred fait son balluchon… « L’illusion cesse, je vais rejoindre ma femme. »

Mina, auteur d’un tutoriel… inhabituel

A l’heure où les tutoriels beauté se multiplient sur la toile Mina se ferait certainement remarquer avec son tutoriel très original. Comment s’enlaidir en quatre étapes ? Allant à l’encontre des critères de beauté alors en vigueur (teint pâle, mains blanches et douces), Mina n’aurait pas manqué de faire le buzz sur les réseaux sociaux s’ils avaient existé au XIXe siècle. Il faut reconnaître que Stendhal n’y allait pas de main morte lorsqu’il évoquait le teint obtenu par métissage.

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour ce drôle de tutoriel pour une drôle de fille !

Bibliographie

1 Stendhal, Mina de Vanghel, Folio classique, Gallimard, 2018, 107 pages

 

 

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