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Le soufre, un élément dont on souffre la présence dans le domaine cosmétique !

> 13 novembre 2023

Le soufre, un élément dont on souffre la présence dans le domaine cosmétique !

Etonnant, ce soufre. Elément déversé par Belzébuth sur les âmes torturées, principe actif médicamenteux, très apprécié des dermatologues d’antan,1 le soufre traîne forcément derrière lui une réputation sulfureuse. Antifongique, antibactérien, kératolytique, le soufre a été largement utilisé en dermatologie, par le passé, pour traiter des affections aussi variées que la dermite séborrhéique, l’acné ou la gale.2 Actuellement, les spécialités médicamenteuses en contenant se comptent sur les doigts des deux mains. Quelques cosmétiques ciblant clairement le sujet acnéique font également appel au soufre pour « brûler » les boutons au feu de l’enfer. Quid de ce principe actif qui se glisse parfois dans les cosmétiques, devenant alors un simple actif (et non plus un principe actif) ? Un petit tour dans la littérature scientifique s’impose !

Le soufre, la panacée jaune

En 1887, le professeur Kent est catégorique ; le soufre est LE principe actif par excellence. Confronté à des patients qui réclament le meilleur médicament « quoi qu’il en coûte » le professeur répond dans 9 cas sur 10 : du soufre !3 Pour l’homéopathie, le patient qui répond le mieux au traitement soufré est un sujet maigre, élancé, aux épaules voutées, un homme en permanence affamé, qui voit la beauté partout (même dans un tas de « vieux chiffons ») !4

Pour calmer les démangeaisons, pour traiter les rhumatismes,5 un bain de soufre fera l’affaire.6 Pour venir à bout des vers,7 de la gale,8 pour traiter la dépression,9 le croup (une cuillère à café de soufre dans un verre d’eau toutes les heures produit en deux jours des effets spectaculaires), le soufre, par voie orale, est conseillé.10,11

Dans le cas du traitement de la gale, on remplace, dans les années 1940, la pommade soufrée (peu agréable à utiliser, mal tolérée) par un savon soufré (renfermant 18 % de soufre). Le protocole recommandé consiste en un bain au savon et à l’eau chaude, suivi d’une application de savon soufré (la mousse est appliquée sur tout le corps et non rincée), laissé en place toute une nuit et ceci trois nuits de suite.12 Efficace, semble-t-il !

En cas de dermite séborrhéique, le soufre (15 à 30 g) est associé à de l’esprit de vin (25 à 30 g), à de la glycérine (5 à 10 g) et à de l’eau (250 g), afin de formuler une lotion, qui est appliquée au niveau du cuir chevelu à l’aide d’une pipette. Le cuir chevelu ne supporte pas toujours cette préparation irritante ; en cas d’intolérance, on incorpore le soufre dans de la vaseline, plus ou moins additionnée de baume du Pérou.13 C’est mieux nous dit-on… pas pour le sujet atopique, en tout cas !

En cas d’acné, le soufre est utilisé avec l’alcool camphré et l’eau, pour formuler une lotion souveraine. Lassar préfère, à cette lotion, une pâte à base de vaseline jaune, de savon vert, de naphtol et de soufre. Unna renchérit, en proposant une pâte, associant soufre, carbonate de chaux, oxyde de zinc, riz, glycérine et eau, alors même que Kaposi recommande de s’enduire la peau, la nuit, d’une formule toute personnelle composée de soufre, de glycérine, de carbonate de potasse, d’eau distillée de laurier-cerise et d’alcool à 80°. Tous les grands dermatologues disposent alors d’une recette au moins à base de soufre, pour un usage cutané.14

Le soufre, le principe actif qui fait voir rouge

En 1917, Nutt cloue le bec à l’un de ses confrères qui avait annoncé, en 1915, dans le London Lancet, avoir découvert, grâce à un patient, les propriétés thérapeutiques du soufre en usage topique.

Le texte du recadrage du médecin ignare vaut le coup d’être retranscrit intégralement : « Selon le London Lancet du 6 février 1915, Sir Lauder Brunton aurait fait une découverte par hasard au sujet du soufre, puissant remède contre le rhumatisme. Sir Lauder avait alors une patiente souffrant de rhumatismes à la main dont il ne parvenait pas à la guérir. Une amie de la malade, une charmante vieille dame, comme on peut bien l’imaginer, lui conseilla de mettre du soufre dans ses bas et de s’en servir comme des gants, ce que la patiente fit avec empressement, et ses rhumatismes furent complètement guéris. Sir Lauder fut alors doublement surpris ; le soufre contenu dans ces bas avait guéri la patiente, d’une part, il avait, en outre, noircit les bracelets en argent de la patiente. En vérité, il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Si Sir Lauder avait consulté l'ouvrage du Dr HW Fuller, édition 1825 (Londres), sur les rhumatismes, les rhumatismes intestinaux et la sciatique, il aurait appris que le soufre était hautement recommandé pour ces maladies. Fuller révèle, en effet, dans cet ouvrage qu'il s'agit alors d'un ancien remède de bonne femme couramment employé dans le nord de l'Angleterre contre ce genre de maladies. » Nutt, sans aucune délicatesse, continue à enfoncer son confrère, en terminant son article par une dernière petite pique : « Je l'ai utilisé plusieurs fois avec d'excellents résultats dans la sciatique, en prenant un long bandage de flanelle, en y frottant le soufre et en en enveloppant toute la jambe. Tout objet en argent présent dans la poche du patient ou tout bijou porté par le patient sera noirci dans les 48 heures. »15

Le soufre, l’ingrédient qui fait virer la peau au rouge

On est habitué à l’expression « un mal pour un bien », qui redonne courage, en donnant un sens positif à un désagrément. Dans le cas présent, le « mal » traité par une préparation soufrée est parfois bien toléré et parfois non, donnant naissance à une réaction indésirable appelée « dermatite au soufre » !12 Celle-ci survient, en particulier, chez les curistes ayant réalisé des bains dans des stations thermales aux eaux soufrées.1 Des bains souvent acides, l’acidité de l’eau étant à l’origine de la dermatite irritative observée.16,17

Pour l’inventaire européen, un ingrédient comme les autres

L’inventaire européen considère le soufre (nom INCI : sulfur) comme un ingrédient non sulfureux, à la fois « anti-séborrhéique, antistatique, conditionneur cutané et capillaire ».18

La comédogénicité du soufre, du noir au blanc

Quelques publications présentent le soufre comme un ingrédient comédogène,19,20 capable de traiter les pustules, dans un premier temps, puis d’en favoriser l’apparition dans un second temps ;21 pour d’autres auteurs, il n’en est rien,22-24 l’oreille du lapin ayant servi longtemps de modèle pour déterminer la comédogénicité d’un ingrédient n’étant, semble-t-il, pas complètement fiable.25

Le soufre, l’actif cosmétique dont il ne faut pas abuser

La littérature scientifique se fait, en effet, l’écho d’un cas d’intoxication chronique au soufre, suite à l’emploi quotidien, par un homme de 37 ans, pendant deux ans, d’une pommade antipelliculaire, à base de soufre (cette pommade parfumée, à la rose était composée de vaseline (100 g), de cire (5 g), de soufre (10 g)).26 Sans doute, pas très efficace, si l’on en croit notre homme, obligé de se traiter quotidiennement sur une si longue période.

Un actif antipelliculaire à l’efficacité pourtant prouvée, puisque le célèbre Albert Kligman, lui-même, a démontré, en son temps, clairement son efficacité lorsqu’il est utilisé à la dose de 2 %, associé à de l’acide salicylique (2 %) dans un shampooing.27

Le soufre, en 2023

Le soufre, en 2023, émarge toujours du côté des principes actifs, avec des publications présentant ce principe actif comme un ingrédient utilisable dans les médicaments permettant de traiter la rosacée28 ou l’acné.29,30 Le lapin tolère assez bien ce principe actif, nous dit-on, en 2022, tout en précisant qu’il conviendrait de continuer les recherches du point de vue innocuité.31

Côté cosmétiques, point de tests sur animaux, puisque ceux-ci sont interdits ; des produits retrouvés dans de grandes marques bien connues, comme Vichy, Noreva ou Typology ou moins connues, comme Antheya. Un actif qui sent, quand même le médicament !

Le soufre, en bref

Ce soufre est visiblement un principe actif médicamenteux, utilisé depuis fort longtemps. Eu égard aux formules retrouvées dans le commerce ciblant toutes le sujet acnéique (les produits associent souvent soufre et acides de fruit et/ou dérivé de résorcinol), on se dit qu’il y a sans doute erreur d’aiguillage, quant au statut des produits considérés. A considérer donc !

Bibliographie

1 Leslie KS, Millington GW, Levell NJ. Sulphur and skin: from Satan to Saddam! J Cosmet Dermatol. 2004 Apr;3(2):94-8

2 Gupta AK, Nicol K. The use of sulfur in dermatology. J Drugs Dermatol. 2004 Jul-Aug;3(4):427-31

3 Kent JT. Sulphur. Homoeopath Physician. 1887 Sep;7(9):325-329

4 Kent JT. Lecture on Sulphur. Homoeopath Physician. 1885 Apr;5(4):140-146

5 The Hot Sulphur Springs at Sonah. Ind Med Gaz. 1872 Apr 1;7(4):94

6 A Sulphur Bath. Bistoury. 1878 Oct;14(3):81-82

7 Flynn TP. Sulphur in the Treatment of Thread-Worms. Hospital (Lond 1886). 1909 Apr 24;46(1184):94

8 Bruce J. Treatment of Scabies by Sulphur Fumigation. Proc R Soc Med. 1917;10(Dermatol Sect):89-96

9 Dutton JM. Sulphur in Melancholia. Homoeopath Physician. 1888 Jul;8(7):380-382

10 Croup Treated by Sulphur. Iowa Med J. 1869 Feb;5(4):109

11 Croup Treated by Sulphur. Buffalo Med Surg J. 1868 Dec;8(5):187

12 Tompkins HP. Scabies: Its Treatment with a Special Sulphur Soap. Cal West Med. 1940 Dec;53(6):271-2

13 Wolff B. Sulphur in the Treatment of Pityriasis Capitis. South Med Rec. 1894 Mar;24(3):117-121

14 Gilbert A. & Yvon P., Formulaire de thérapeutique et de pharmacologie, Doin Ed, Paris, 1905, 827 pages

15 McNutt WF. SULPHUR AS A REMEDY FOR RHEUMATISM. Cal State J Med. 1917 Jan;15(1):30

16 Hung YT, Shen MH. Sulfur Spring Dermatitis: More Than a Thermal Burn Injury. J Pediatr. 2022 Aug;247:168-169

17 Sun CC, Sue MS. Sulfur spring dermatitis. Contact Dermatitis. 1995 Jan;32(1):31-4

18 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/details/38407

19 Lin AN, Reimer RJ, Carter DM. Sulfur revisited. J Am Acad Dermatol. 1988 Mar;18(3):553-8

20 Mills OH, Porte M, Kligman AM. Enhancement of comedogenic substances by ultraviolet radiation. Br J Dermatol. 1978 Feb;98(2):145-50

21 Mills OH Jr, Kligman AM. Is sulphur helpful or harmful in acne vulgaris? Br J Dermatol. 1972 Jun;86(6):620-7

22 Fulton JE Jr, Bradley S, Aqundez A, Black T. Non-comedogenic cosmetics. Cutis. 1976 Feb;17(2):344-5, 349-51

23 Fulton JE Jr, Pay SR, Fulton JE 3rd. Comedogenicity of current therapeutic products, cosmetics, and ingredients in the rabbit ear. J Am Acad Dermatol. 1984 Jan;10(1):96-105

24 Strauss JS, Goldman PH, Nacht S, Gans EH. A reexamination of the potential comedogenicity of sulfur. Arch Dermatol. 1978 Sep;114(9):1340-2

25 Frank SB. Is the rabbit ear model, in its present state, prophetic of acnegenicity? J Am Acad Dermatol. 1982 Mar;6(3):373-7

26 A Case of Chronic Sulphur Poisoning. Homoeopath Physician. 1888 Jun;8(6):314-315

27 Leyden JJ, McGinley KJ, Mills OH, Kyriakopoulos AA, Kligman AM. Effects of sulfur and salicylic acid in a shampoo base in the treatment of dandruff: a double-blind study using corneocyte counts and clinical grading. Cutis. 1987 Jun;39(6):557-61

28 Sharma A, Kroumpouzos G, Kassir M, Galadari H, Goren A, Grabbe S, Goldust M. Rosacea management: A comprehensive review. J Cosmet Dermatol. 2022 May;21(5):1895-1904

29 Liu H, Yu H, Xia J, Liu L, Liu GJ, Sang H, Peinemann F. Topical azelaic acid, salicylic acid, nicotinamide, sulphur, zinc and fruit acid (alpha-hydroxy acid) for acne. Cochrane Database Syst Rev. 2020 May 1;5(5):CD011368

30 Liu H, Yu H, Xia J, Liu L, Liu G, Sang H, Peinemann F. Evidence-based topical treatments (azelaic acid, salicylic acid, nicotinamide, sulfur, zinc, and fruit acid) for acne: an abridged version of a Cochrane systematic review. J Evid Based Med. 2020 Nov;13(4):275-283

31 Jung H, Seo W, Jeong T, Kang HW, Kim S. A Study on the Skin Irritation Toxicity Test of Processed Sulfur in New Zealand White Rabbit. J Pharmacopuncture. 2022 Mar 31;25(1):46-51

Composition

Vichy Normaderm phytosolution pâte anti-boutons au soufre (10 % de soufre) : Aqua/water, sulfur, niacinamide, zea mays starch/corn starch, glycolic acid, stearyl alcohol, glycerin, octyldodecyl myristate, cetearyl alcohol, glyceryl stearate, sodium hydroxide, argilla/magnesium aluminum silicate, PEG-100 stearate, C13-14 isoparaffin, allantoin, ceteareth-20, phenoxyethanol, phenylethyl resorcinol, tocopheryl acetate, disodium EDTA, laureth-7, hydrogenated lecithin, polyacrylamide, ethylhexylglycerin.

Noreva Exfoliac Roll’on soin anti-imperfections ciblé : AQUA (WATER), PROPYLENE GLYCOL, ISOPROPYL ALCOHOL, ALCOHOL, MANDELIC ACID, SALICYLIC ACID, POLYSORBATE 20, CARBOMER, PEG-30 CASTOR OIL, SODIUM HYDROXIDE, SULFUR.

L73 gommage visage purifiant (soufre : 2%) Typology : Aqua (Water), Pentylene Glycol, Hydrogenated Castor Oil, Cellulose, Glycerin, Hydroxypropyl Starch Phosphate, Polyglyceryl-4 Oleate, Colloidal Sulfur, Kaolin, Urtica Dioica Leaf Extract, Zinc Ricinoleate, Xanthan Gum, Algin, Mentha Piperita (Peppermint) Oil, Mentha Viridis Leaf Oil, Tetrasodium Glutamate Diacetate, Citric Acid, Methyl Diisopropyl Propionamide, O-Cymen-5-Ol, Propanediol, Limonene, Sodium Hydroxide.

Shampooing solide au soufre Antheya : sodium olivate*, sodium cocoate*, sodium sesameseedate*, glycerin, sodium sheabutterate*, sodium castorate*, aqua, sodium neemate*, sodium jojobate*, sulfur, sodium rapeseedate*, lavandula hybrida oil*, eucalyptus citriodora oil*, cedrus atlantica bark oil*, melaleuca alternifolia leaf oil*, limonene**, linalool**, citronellol**, geraniol**.

 

 

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