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Le sabal, un palmier qui traite aussi bien la prostate que les cheveux gras !

> 26 septembre 2018

Le sabal, un palmier qui traite aussi bien la prostate que les cheveux gras !

Le sabal, un palmier-médecin

Le sabal (Sabal serrulata ou Saw Palmetto ou Serenoa repens) est un petit palmier proposé en médecine traditionnelle et en phytothérapie pour le traitement des troubles bénins de la prostate. Ce palmier pousse dans les régions marécageuses, aux Antilles, en Floride et dans d’autres régions du sud-est des Etats-Unis (Caroline du Nord, Alabama et Texas). Les baies de couleur violet-foncé à noir sont regroupées en grappes ; elles mûrissent entre les mois d’octobre et de décembre.1

     L’hypertrophie prostatique, qu’est-ce que c’est ?

    Rappelons que l’hypertrophie bénigne de la prostate (HBP), parfois désignée sous le nom d’adénome prostatique, se caractérise par une augmentation du volume de la prostate, due à la prolifération des cellules constitutives de cette glande. Il en découle une obstruction de l’urètre, induisant des troubles urinaires. Les modifications histologiques caractéristiques de l’HPB peuvent débuter à partir de l’âge de trente ans ; on considère que 75 % des hommes de 60 ans et plus sont touchés. Le développement de cette glande est à mettre, en particulier, en lien avec une teneur élevée en DHT (dihydrotestostérone). Cette hormone est obtenue par réduction de la testostérone, par une enzyme, la 5-alpha-réductase.² 


     Médicaments et compléments alimentaires renfermant du sabal, une composition qui fluctue

      Les extraits de sabal entrent dans la composition d’un grand nombre de produits aux statuts variés (médicament ou complément alimentaire). La posologie admise est de 160 mg de principe actif, deux fois par jour. Mais qu’est-ce qui se cache derrière cette notion de principe actif ? Difficile à dire, si l’on en croit Francesco Scaglione qui pointe du doigt des différences qualitatives et quantitatives selon les produis considérés. Une source biologique variable, des procédés d’extraction différents… autant de raisons qui expliquent les variations de composition observées entre les produits testés, à savoir Permixon, Prosteren, Saba, Rilaprost, Prostess… On comprendra, dans ces conditions, que l’efficacité vis-à-vis de l’inhibition de la 5-alpha-réductase est plus que fluctuante ! Francesco Scaglione ne doit pas s’être fait d’amis chez Pierre Fabre dans la mesure où le Permixon, première spécialité à base de sabal à avoir été mise sur le marché (date de première autorisation de mise sur le marché : 26 juin 1981) apparaît comme la spécialité la plus médiocre de la sélection étudiée, vingt-trois fois moins efficace que le champion Prostil (en matière d’inhibition de la 5-alpha-réductase I) et deux-cent-vingt-sept fois moins efficace que le champion Profluss (en matière d’inhibition de la 5-alpha-réductase II) ; notre Permixon national fait triste figure.3 Attention, toutefois, il convient de tomber sur le bon lot de Profluss, car entre deux lots différents on peut constater des variations d’efficacité d’un facteur de 2,5 !.4 Si un effet est observé in vitro, in vivo les avis sont beaucoup plus partagés. L’analyse de la littérature montre que l’efficacité n’est pas supérieure à celle obtenue avec un placébo.5 

    Que contient donc l’extrait de sabal retrouvé dans la spécialité Permixon ?

     L’extrait obtenu par extraction à l’hexane est composé à 87 % d’acides gras libres et à 6 % d’acides gras estérifiés, selon les résultats obtenus par Carmen Maccagnano et publiés en 2006. Parmi les acides gras identifiés, c'est l'acide oléique qui est le abondant (40 %). Viennent ensuite les acides laurique (32 %), myristique (13 %) et palmitique (10 %), l'acide linoléique ne représentant, quant à lui, que 5 %. On y trouve également des stérols (bêta-sitosterol, campesterol, stigmasterol), des sucres (arabinose, glucose, galactose), des flavonoïdes.

      Quelles molécules présentes dans l’extrait de sabal sont donc responsables de l’activité thérapeutique ?

     Certains auteurs attribue l’effet inhibiteur de 5-alpha-réductase à des acides gras libres présents dans l’extrait de sabal testé. Acides gras estérifiés, alcools gras et stérols s’avèrent inactifs. Selon les acides gras testés et les isoformes enzymatiques en présence (5-alpha-réductase I ou II), l’effet inhibiteur est plus ou moins prononcé. Dans certains cas (c’est le cas avec l’acide palmitique, par exemple), aucun effet n’est détecté. L’acide oléique, quant à lui, serai l’acide gras le plus actif pour inhiber la 5-alpha-réductase II.2 Ce résultat laisse supposer que de nombreux extraits lipidiques obtenus à partir de plantes locales pourraient tout aussi bien faire l’affaire !

     L’alopécie androgénétique, qu’est-ce que c’est ?

     L’alopécie androgénétique est une pathologie très répandue dans le monde. Elle correspond à une chute de cheveux provoquée par différents facteurs. Le caractère héréditaire est indéniable. On note l’importance du stress, de la consommation de cigarettes, du déséquilibre de la flore cutanée, avec un développement excessif d’acariens (genre Demodex) responsables de phénomènes de micro-inflammation… Le rôle de la DHT qui possède une affinité 5 fois plus importante que la testostérone pour les récepteurs androgéniques n’est plus à prouver. On constate que le nombre de récepteurs androgéniques au niveau des glandes sébacées annexées aux follicules pileux de sujets souffrant d’alopécie est beaucoup plus élevé que celui retrouvé chez les sujets n’ayant pas de problème de chute de cheveux. La DHT, en allongeant la durée de la phase télogène (phase de chute du cheveu), entraîne une miniaturisation du follicule pileux ; on constate, parallèlement, une hypertrophie de la glande sébacée qui produit une quantité plus importante de sébum.7 On comprend dans ces conditions que la recherche de principes actifs à activité anti-5-alpha-réductase puisse être active.

Le sabal, un palmier cosmétologue (ou esthéticien)

Partant du principe que le sabal permet de réduire la transformation de la testostérone en dihydrotestostérone et par là même d’agir sur le point crucial à l’origine de la chute des cheveux et sur la production excessive de sébum, un petit nombre de laboratoires ont eu l’idée d’incorporer le sabal dans des formes topiques. On pourra citer la teinture Follon à action anti-chute qui associe Sabal serrulata, tussilage, mauve, rétinol, biotine et zinc. Son statut n’est pas clairement défini (http://www.chutedescheveux.net/). On pourra également citer le shampooing séborégulateur Sabal des laboratoires Ducray (groupe Pierre Fabre). Pour lui, son statut est très clair. Il s’agit d’un cosmétique.

Alors le sabal, fakemed ou fakecosmetic ?

Comme nous avons pu le constater le pouvoir du sabal est un pouvoir avant tout psychologique. Pour que cela « marche », il faut y croire. Toute matière première riche en acide oléique conviendrait, si l’on en croit certaines études, pour traiter l’adénome prostatique. De là à dire qu’il faut traiter ses cheveux à l’huile d’olive pour éviter qu’ils ne graissent, il n’y a qu’un pas… pas allègrement franchi par certaines stars ou blogueuses beauté qui n’avaient sûrement pas connaissance des travaux corroborant leur intuition (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/l-huile-d-olive-pour-la-vinaigrette-pas-pour-mettre-sur-la-tete-284/).


Non, plus sérieusement, nous ne pensons pas que l’extrait de sabal soit réellement efficace dans le domaine médical, pas plus que dans le domaine cosmétique, d’ailleurs. Dans ce dernier cas, laissons-lui tout de même sa chance. A défaut d’efficacité, ce petit palmier exotique ne manquera pas de faire rêver celui ou celle qui se sera laissé prendre dans les filets des services marketing !

Bibliographie

1 Maccagnano C., Salonia A., Briganti A., Teillac P., Rigatti P. A Critical Analysis of Permixon™ in the Treatment of Lower Urinary Tract Symptoms Due to Benign Prostatic Enlargement, European Urology Supplements, 5, 4, 2006, 430-440.
² Raynaud J.P., Cousse H., Martin P.M. Inhibition of type 1 and type 2 5α-reductase activity by free fatty acids, active ingredients of Permixon®, The Journal of Steroid Biochemistry and Molecular Biology, 82, 2–3, 2002, 233-239.
3 Carilla E., Briley M., Fauran F., Sultan C., Duvilliers C. Binding of permixon, a new treatment for prostatic benign hyperplasia, to the cytosolic androgen receptor in the rat prostate, Journal of Steroid Biochemistry, 20, 1, 1984, 521-523.

4 Scaglione F. How to Choose the Right Serenoa repens Extract, European Urology Supplements, 14, 9, 2015, e1464-e14694 

5 Kaplan S.A., Serenoa repens for Lower Urinary Tract Symptoms/Benign Prostatic Hyperplasia: Current Evidence and its Clinical Implications in Naturopathic Medicine, The Journal of Urology, 199, 6, 2018, 1372-1373.
6 Maccagnano C., Salonia A., Briganti A., Teillac P., Rigatti P. A Critical Analysis of Permixon™ in the Treatment of Lower Urinary Tract Symptoms Due to Benign Prostatic Enlargement. European Urology Supplements, 5, 4, 2006, 430-440.
7 Sadgrove N.J. The new paradigm for androgenetic alopecia and plant-based folk remedies: 5α-reductase inhibition, reversal of secondary microinflammation and improving insulin resistance, Journal of Ethnopharmacology, 227, 2018, 206-236

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