> 20 mars 2023
Dans le domaine de la lutte contre les mauvaises odeurs, il existe différentes stratégies plus ou moins subtiles, plus ou moins douces, plus ou moins radicales. La technique la plus extrême consiste à bloquer la sécrétion de sueur (celle-ci étant source de mauvaises odeurs) ; ce sont les sels d’aluminium qui sont recrutés à cette fin. Bof, Bof ! Autre technique, plus malicieuse pour éviter les odeurs corporelles, aseptiser la peau (les bactéries qui dégradent les composés de la sueur ne pourront plus nuire olfactivement parlant), équilibrer le microbiote (en faisant le vœu pieux de conserver les « bonnes » bactéries et de tuer les bactéries à l’origine des odeurs), capter les mauvaises odeurs à l’aide de molécules capables d’établir des liaisons chimiques avec les molécules malodorantes,1 permettant ainsi de les rendre inodores ou bien couvrir les mauvaises odeurs avec un parfum (cette dernière option n’est pas forcément à classer dans les moyens subtils !). Dans la catégorie des molécules désodorisantes, capables de transformer les molécules volatiles en composés non volatils, on peut trouver le ricinoléate de zinc, un sel métallique d’acide gras. Encore peu utilisé, ce sel de zinc mériterait d’être mieux connu.
Cette huile (ricinus communis oil)2 est une huile composée de 2 % d’acide palmitique, de 16 % d’acides stéarique, oléique et linoléique et de... 82 % d’acide ricinoléique. Cet acide gras est obtenu industriellement par saponification,3 puis traitement par une solution aqueuse de sulfate de zinc.4 Voilà pour son mode d’obtention.
Le sel de zinc de l’acide ricinoléique (CAS no. 13040-19-2) est considéré dans le domaine cosmétique comme un « anti-agglomérant, un agent désodorisant, et un agent opacifiant ». C’est du moins ce que l’on peut lire au niveau de l’inventaire européen à la monographie « zinc ricinoleate ».5
Pour des usages autres que cosmétiques, le ricinoléate de zinc est considéré comme un agent fongicide, émulsifiant (logique, puisque c’est un savon), lubrifiant, imperméabilisant, et stabilisant des composés vinyliques.3
Dans les années 1980-1990, le ricinoléate de zinc fait son entrée dans le domaine cosmétique, en tant qu’absorbeur d’odeurs, un absorbeur efficace, dans le temps puisque son effet perdure au moins 24 heures.6 C’est une entrée timide ; en effet, on considère alors que les ingrédients les plus fréquemment retrouvés dans les déodorants et les antitranspirants sont respectivement les parfums et les antiseptiques comme le triclosan, d’une part et les sels d’aluminium (avec en particulier le chlorhydrate d’aluminium), d’autre part. On commence seulement à évoquer, comme alternatives possibles, des actifs capables d’atténuer les odeurs corporelles (dont le ricinoléate de zinc) et de modifier le pH cutané (le citrate d’éthyle).7
On sait pourtant qu’il s’agit d’une molécule capable de se lier chimiquement avec un certain nombre de molécules volatiles, afin de les soustraire à l’air ambiant et de désodoriser l’atmosphère à proximité. On parle alors d’adsorption spécifique des molécules odorantes.4
Associé à un extrait de houblon (dont l’acticité inhibitrice de la croissance bactérienne a été démontrée in vitro sur Corynebacterium xerosis et Staphylococcus aureus), le ricinoléate de zinc permet de réduire les odeurs corporelles d’un facteur de 3,5, selon un panel d’évaluateurs entraînés à sentir les aisselles. L’effet perdure pendant 24 heures, avec une réduction des odeurs de l’ordre de 3.8
En 2015, des chercheurs italiens ont proposé un actif à base d’argent et de zinc comme actif déodorant. L’ingrédient de référence présenté comme un actif efficace et très largement employé dans le domaine cosmétique n’est autre que... le ricinoléate de zinc.9
Si l’on se fie au rapport établi par les experts du Cosmetic Ingredient Review (CIR) au sujet des sels et esters d’acide ricinoléique, on constate que ce sel était encore très peu employé, aux Etats-Unis, en 2002, puisqu’il n’avait été retrouvé que dans 0,04 % des produits cosmétiques étudiés, à la différence de l’huile de ricin, repérée dans 9 % de produits (échantillon comportant 7890 produits cosmétiques). En matière de pourcentage d’emploi, on constate que l’huile de ricin en tant qu’excipient est utilisée jusqu’à des pourcentages de 80 %, alors que le ricinoléate de zinc n’est pas retrouvé à des pourcentages plus élevés que 2 %. Le ricinoléate de zinc avait alors été retrouvé dans 2 déodorants et dans un produit d’hygiène corporelle.3 Trois produits sur 7890... on avouera que cet ingrédient n’était pas largement utilisé au début des années 2000. Vingt ans après qu’en est-il ? Une présence toujours discrète sur le marché cosmétique. On retrouve du ricinoléate de zinc dans les déodorants du groupe Pierre Fabre comme les déodorants de marques Klorane,10 Avène,11 et Ducray,12 dans les déodorants Créaline de la marque Bioderma du groupe Naos,13 dans les produits d’hygiène intime de la marque Corine de Farme.14 Sur des milliers de formules compilées sur notre site le bilan de la pêche au ricinoléate de zinc est donc bien mince. Adoubé par la société Aromazone pour la réalisation de déodorants-maison, le ricinoléate de zinc est présenté comme un ingrédient à la fois « respectueux » de la peau et susceptible de jouer un rôle de choix dans une formule « zéro déchet ».15 De Louizzette (« The » déodorant - le plus efficace mis au point par Louizzette - renferme du ricinoléate de zinc et de l’oxyde de zinc)16 à Zinette,17 tout le monde en raffole… pour peu que l’on posséde un Z ( Z comme Zinc, évidemment) dans son nom ou son prénom ! Et les autres aussi d’ailleurs !
Les tests pratiqués dans les années 1970 avec une spécialité à base de ricinoléate de zinc (préparation renfermant du ricinoléate de zinc (minimum 50 %), de la triéthanolamine (entre 10 et 25 %), du dipropylène glycol (entre 1 et 5 %) et de l’acide lactique (entre 1 et 5 %)) ne s’avérait générer ni irritation, ni manifestation allergisante, pour un usage non dilué et sous occlusion. Un prurit survenu en 2001 chez une femme ayant utilisé un déodorant renfermant 76 % de ricinoléate de zinc est, toutefois, rapporté dans la littérature.18 Sûr d’emploi, selon les experts toxicologues du CIR en 2007.3 Sécurité d’emploi réaffirmée en 2018.19
Ce sel métallique d’acide gras, qui intéresse peu les chercheurs (la littérature scientifique est peu diserte en ce qui concerne les tests ‘efficacité réalisés avec cet ingrédient), fait pourtant l’unanimité en matière d’efficacité (il est même présenté par certains comme une référence dans sa catégorie) et en matière d’innocuité. Que demander de plus ? Un moyen mnémotechnique peut-être pour se souvenir de lui ? Le ricinoléate de zinc, tout simplement un savon, qui fait glisser et chuter les mauvaises odeurs. Une fois à terre, sans possibilité de se relever, ces mauvaises odeurs auront peu de chance de venir titiller vos narines.
2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/l-huile-de-ricin-ni-castor-ni-filtre-uv-1871/
3 https://online.personalcarecouncil.org/ctfa-static/online/lists/cir-pdfs/PRS353.pdf
4 H. Kuhna, F. Müllerb, J. Peggaub, and R. Zekornb, Mechanism of the Odor-Adsorption Effect of Zinc Ricinoleate. A Molecular Dynamics Computer Simulation, Journal of Surfactants and Detergents, Vol. 3, No. 3 (July 2000)
5 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=38975
6 Baxter PM, Reed JV. The evaluation of underarm deodorants. Int J Cosmet Sci. 1983 Jun;5(3):85-95
7 Lukacs VA, Korting HC. Antitranspirantien und Deodorantien--Wirkstoffe und Bewertung Antiperspirants and deodorants--ingredients and evaluation. Derm Beruf Umwelt. 1989 Mar-Apr;37(2):53-7
8 Dumas ER, Michaud AE, Bergeron C, Lafrance JL, Mortillo S, Gafner S. Deodorant effects of a supercritical hops extract: antibacterial activity against Corynebacterium xerosis and Staphylococcus epidermidis and efficacy testing of a hops/zinc ricinoleate stick in humans through the sensory evaluation of axillary deodorancy. J Cosmet Dermatol. 2009 Sep;8(3):197-204
9 B. Ballarin, A. Mignani, M. Morigi, Hybrid material based on ZnAl hydrotalcite and silver nanoparticles for deodorant formulation, Applied Clay Science, 114, 2015, 303-308
12 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/hidrosis-de-ducray-doukipudonkpu-831/
15 https://www.aroma-zone.com/info/fiche-technique/actif-cosmetique-zinc-ricinoleate-aroma-zone
16 https://www.pinterest.fr/pin/412431278375955313/
17 https://lesutilesdezinette.com/fr/actifs-poudres/415-zinc-ricinoleate-agent-deodorant-30-gr.html
18 Magerl A, Heiss R, Frosch PJ. Allergic contact dermatitis from zinc ricinoleate in a deodorant and glyceryl ricinoleate in a lipstick. Contact Dermatitis. 2001 Feb;44(2):119-21
19 https://online.personalcarecouncil.org/ctfa-static/online/lists/cir-pdfs/FR755.pdf
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