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Le compte de cosmétiques… c’est chez Frédéric Dard !

> 25 mai 2024

Le compte de cosmétiques… c’est chez Frédéric Dard !

Le premier roman de Frédéric Dard, Réglez-lui son compte, paru en 1949, comporte deux épisodes, parfaitement indépendants l’un de l’autre.1 Le premier, intitulé Faites chauffer la colle, pose les bases du système San Antonio. Un style croquignolesque, un commissaire qui a débuté sa carrière aux services secrets, qui est cash, direct (« Avec moi pas de pommade »), ne crache pas sur les aventures rapides et sans conséquence avec des gonzesses canons, vit toujours chez sa maman, Félicie, dans un petit pavillon modeste de Neuilly. A partir de là, les affaires sérieuses peuvent commencer…

Envoyé dans la bonne ville de Marseille, San Antonio tombe, direct, sur un macchabée dans la bien-nommée rue du Paradis, une rue grouillante de monde. Le pauvre gars vient tout juste d’être retrouvé par des ouvriers qui réparaient une canalisation.

Le mort a un tube pour message à pigeons voyageurs enfoncé dans ce qui lui reste de bouche ! Etrange…

Une certaine appétence pour les alcools forts

Alors, forcément, lorsque l’on vient de discuter avec un macchabée, on a envie de se rincer le gosier avec une limonade un peu pimentée. San Antonio, qui est descendu à l’hôtel, commande au garçon d’étage une « bouteille de cognac ». En lieu et place, il se voit livrer, dans un premier temps, une « mixture qui tient du vernis à ongles et de la lotion capillaire », mais sûrement pas d’un double distillat réussi. Le mélange infecte est tout juste bon « à zigouiller le doryphore » (on aura compris qu’il s’agit ici des Allemands), mais ne convient pas à un bon Français pur jus. Une crise de nerfs plus tard, San Antonio se fait livrer une bouteille d’authentique cognac, pour le bonheur de son estomac !

Une certaine appétence pour la brillantine

Avant de quitter son hôtel, San Antonio n’oublie pas le coup de « vaporisateur » sur son capillaire, afin d’être présentable, au cas où il croiserait les pas d’une jolie mademoiselle.

Un certain goût pour les petites rues louches

Pour bien mener son enquête, San Antonio n’hésite pas à s’engouffrer dans les rues étroites de Marseille, celles qui « sentent le poisson, le patchouli et le parfum de Prisunic. »

Un goût très prononcé pour les belles blondes

Forcément, il y a une femme dans l’affaire, une belle « blonde », « comme un champ de blé », dont la couleur de peau « coupe la respiration » ! Une dénommée Julia, qui se retrouve mêlée à l’affaire, semble-t-il, bien malgré elle. Cette jeune fille, bien comme il faut, est une riche héritière, dont le père possède « un laboratoire de produits pharmaceutiques », qui fabrique la spécialité du « Dr Silbarn », une lotion « contre la chute des cheveux ». Cette « lotion capillaire » rapporte « gros », comme en témoigne le train de vie de la chère demoiselle.

Une belle blonde, qui ne sort jamais sans son rouge à lèvres Rouge Baiser (« Comme je suis bien embêté pour répondre, je trouve plus commode de lui prendre la tête dans mes mains et de me rendre compte si elle emploie du Rouge Baiser »).

Une belle blonde qui, en réalité, se nomme Martha Gregeer et est connue des services de contre-espionnage sous le matricule X 347 !

Un goût très prononcé pour les belles brunes

Les brunes aux yeux bleus, qui viennent prendre des nouvelles de San Antonio, lorsque celui-ci est cloué sur son lit d’hôpital et laisse un pain de plastic au pied du lit avant de partir ! Une certaine Elsa Meredith, qui appartient à une bande d’espions chargés de surveiller les mouvements de la flotte française dans le secteur. Une vraie tigresse !

Un dégoût prononcé pour les gars qui se prennent « des dragées » dans le bide

Le pauvre Su-Chang vient de dérouiller ; il est aussi « mort qu’une escalope panée ». Celui-là ne pourra plus aider de quelque façon que ce soit notre cher commissaire !

Un royal mépris pour les gars gominés à l’excès

San Antonio n’est guère tendre pour les gars qui se font « livrer la gomina par wagons ».

Où l’on apprend l’âge de San Antonio

San Antonio a 38 ans !

Où l’on constate que San Antonio ne se rase pas tous les jours

Parfois sa vie est trépidante… Alors, San Antonio n’a pas même le temps de se raser.

Où l’on constate que San Antonio apprécie les bains et les parfums

A la fin de son enquête, San Antonio peut enfin prendre un bain. Il en profite pour être présenté aux parents de Julia et, pour ce faire, n’hésite pas à sortir le grand jeu.

« Je mets un peu de parfum sur mes revers. C’est un machin assez subtil qui s’appelle Vitalité. Lorsque je le renifle, je pense à des trucs tout à fait romantiques. »

Où l’on nous parle de savon à Marseille

Mais pas de savon de Marseille. Dans la ville savonnière, forcément, Frédéric Dard se doit de nous gourmander version cosmétique. Le lecteur lent à comprendre est malmené par l’écrivain : « Si vous n’avez pas une savonnette à la place du cerveau »…

Où l’on est sur la piste d’un ancien nazi qui vit à Marseille

Le propriétaire du bar « Colorado » se nomme Früger. Resté en France après la Libération, il joue les espions pour une puissance étrangère !

Réglez-lui son compte, en bref

Un roman qui compte autant de « baignes » que de virgules. Ça castagne fort ! Un roman qui nous montre un San Antonio au cœur d’artichaut, toujours prêt à se faire entortiller par de belles sirènes. Et puis, un dénouement rapide, efficace. Dès la première enquête, San Antonio sauve la Nation. Qu’on se le dise !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 Dard F., San Antonio Tome 1, Réglez-lui son compte, Bouquins la collection, Paris, 2010, 1241 pages

 

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