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La tanorexie, une sorte de TOC solaire !

> 20 mai 2024

La tanorexie, une sorte de TOC solaire !

Le hâle est un marqueur positif, qui rentre en ligne de compte dans les concours de beauté américain.1 Un bronzage qui se trouve, en germe, dans les écrits des philosophes des Lumières (en toute logique vu le nom donné à ces penseurs) comme Jean-Jacques Rousseau,2 qui incite les parents à exposer leurs enfants au Soleil, afin de les endurcir. Un conseil, qui est suivi par les jeunes mères de son époque les plus branchées,3 qui se mettent à poétiser, en observant les chaudes couleurs, qui parent l’épiderme de leur progéniture, une fois que le Soleil estival est venu déposer sa caresse. Petit à petit, goutte à goutte, l’idée de bronzer s’instille, au fil des siècles, dans la population, se fraie un chemin dans les esprits avec, au tout début, l’accord du corps médical, qui voit dans l’héliothérapie ou l’actinothérapie un bon moyen de traiter un certain nombre de fléaux, comme des pathologies cutanées affichantes ou la terrible tuberculose.4 Et puis, tout à coup, le langage médical vire du tout au tout car on nous révèle, de manière massive, que le Soleil fait vieillir prématurément et que son rayonnement est cancérigène.5 Oui, mais la machine est lancée et vu son poids elle présente une belle inertie… et elle risque encore d’en écraser plus d’un. Des poètes, des écrivains, des stars ont pris fait et cause pour le bronzage, depuis la fin du XIXe siècle. Un bronzage, qui s’obtient naturellement, en se plaçant en plein air ou qui se cultive en salle sous les trop célèbres bancs de bronzage (depuis les années 1970).6 Comme on a bien retenu notre leçon, on sait que pour être jugé beau, il faut bronzer… naturellement et/ou artificiellement.

Il faut donc désormais déconstruire habilement cette idée que le bronzage est nécessaire et même indispensable. Il s’agit de s’intéresser aux addictions solaires, afin de faire s’infléchir la courbe de survenue des cancers cutanés. On s’intéressera spécifiquement aux expositions « indoor », c’est-à-dire en institut.

Une addiction, une dépendance, qu’est-ce que c’est ?

C’est quelque chose à prendre avec des pincettes, dans la mesure où tous les auteurs ne sont pas du même avis. Le terme de « dépendance » constitue, au regard de certains cliniciens, un terme qui pèse son poids, qui constitue un boulet, du fait d’un caractère stigmatisant. A l’inverse, d’autres cliniciens considèrent que ce terme est parfaitement approprié pour désigner des symptômes traduisant une « consommation excessive et problématique d’une substance (la toxicomanie) ou par la participation à une activité ». Tant qu’il y a consommation de substance, la chose semble assez claire et pliée ; en revanche, dès lors que l’on à affaire à une activité, le débat tend à s’enflammer. Une dépendance, une addiction, un trouble mental… on risque fort à ce rythme-là de classer l’ensemble de la population comme addict à « quelque chose ». Et si cette addiction est reconnue comme une maladie, elle doit alors être traitée comme telle et on se retrouve confronté à un problème d’ordre financier. Ouille, pour la sécurité sociale !

En matière de participation à une activité de manière excessive, le problème consiste à établir une norme. Un bon exemple est celui qui a trait à la consultation du Smartphone. En quoi cette consultation est-elle normale ou supérieure à la normale ? Peut-elle être considérée comme une maladie mentale ou tout simplement comme une « mauvaise habitude » dont il va falloir se passer ?7

Difficile en matière d’exposition solaire de fixer des normes établissant d’un côté des conditions raisonnables d’exposition et d’un autre côté des conditions excessives, addictives.

L’addiction solaire, la notion de récompense

Dans les années 2010, certains auteurs dont Michel Joyeux considéraient que la relation addictive aux cabines de bronzage n’était pas franchement prise en compte comme une addiction, puisque l’on ne savait pas grand-chose concernant la psychopathologie clinique et que l’on ne savait pas non plus comment prendre en charge les personnes en question. Pour autant, ces auteurs présentent des outils intéressants, permettant le « diagnostic » sous forme de deux questionnaires (mCAGE et M DSM-IV-TR) permettant d’évaluer les comportements « solaires ».8-10

On avance sur le sujet comme le prouve cette publication américaine de 2020 montrant qu’il existe un système de « récompense neurocutanée », lorsque l’on s’expose aux rayons ultra-violets. Cette notion de « récompense » est similaire à celle observée dans le cas de la consommation de substances addictives. Sur modèle animal, on montre que l’exposition aux UV se traduit par une synthèse endogène de bêta-endorphine, un peptide opioïde à effet analgésique.11,12 Un arrêt de l’exposition provoque un sevrage, inhibé par les antagonistes des opioïdes. Chez l’Homme, il est montré que l’exposition aux UV provoque de l’euphorie ; l’imagerie médicale a permis, en outre, de mettre en évidence une activation des régions du cerveau associées à la récompense, notamment le striatum dorsal, l'insula antérieure et le cortex orbitofrontal médial, après des séances de bronzage.13

L’addiction solaire, une cause génétique

Il semblerait qu’une cause génétique soit sous-jacente à cette addiction. En effet, en cas de déficit en récepteurs D2 de la dopamine, on peut observer une dépendance au bronzage en salle. Deux gènes adjacents, les gènes ANKK1 et DRD2, sont pointés du doigt.14-16

L’addiction solaire, le profil type

Le sujet addict au soleil est le plus souvent un sujet jeune, qui peut être sujet à des troubles psychologiques comme le dysmorphisme,17 à des troubles du comportement alimentaire18 avec pratique du jeûne et auto-induction de vomissements19 et/ou qui, consomme, éventuellement des substances comme la marijuana20 ou l’alcool.21 Un sentiment de mal-être, des troubles psychologiques ou psychiatriques sont souvent associés à ce besoin irrépressible de bronzer, le bronzage permettant de diminuer les états de stress, de contrariété, d’irritabilité.22-25

Les études américaines nous parlent de jeunes femmes blanches non hispaniques, âgées de 18 à 34 ans comme population majoritaire fréquentant les solariums. On estime que 20 % des Américaines (blanches non hispaniques), âgées de 18 à 21 ans, pratiquent le bronzage en salle, actuellement. Ces chiffres sont obtenus facilement, contrairement au bronzage en extérieur, pour lequel on ne dispose pas d’informations très précises, même si l’on estime que ce bronzage est plus répandu que celui obtenu sous les lampes UV.26

Pour parfaire ce portrait-robot, on peut ajouter que les jeunes femmes qui fréquentent assidument les solariums ont bien souvent développé des coups de soleil durant leur enfance.27

Les addictions peuvent tout à fait se cumuler, dans l’idée de se sculpter un corps de « rêve » svelte, musclé et bronzé, comme en témoignent les résultats de certaines études qui montrent que les addicts de la salle de sport peuvent également être les addicts des cabines de bronzage !28

Autant d’éléments qui permettent de cerner le sujet potentiellement addict au bronzage.29

L’addiction solaire, les conséquences médicales

D’un point de vue historique, on a pensé tout d’abord que le risque de survenue de mélanome était corrélé aux coups de soleil survenus dans l’enfance. On s’est rendu compte par la suite que la corrélation pouvait être établie également aux différents âges de la vie (adolescence, vie adulte).

Ce qui est indéniable, c’est que le bronzage en solarium a un impact sur la survenue de ce type de cancers cutanés,30 ainsi que sur la survenue de cancers épidermoïdes.31 On sait, malheureusement, qu’en cas d’addiction solaire, ce n’est pas parce que la personne a développé un mélanome qu’elle va renoncer à se rendre au solarium. Ceci signe vraiment une addiction, puisque l’arrêt du bronzage est impossible à la personne, alors même qu’elle a conscience qu’elle met ainsi sa vie en danger.

L’addiction solaire, les conséquences sociales

Parmi les personnes qui fréquentent les solariums d’une manière compulsive, certaines avouent tenter d’arrêter les séances de bronzage, sans pouvoir y arriver (9 % selon certaines études). 6 % à 30 %, des « bronzeurs » les plus acharnés, selon les études, déclarent avoir déjà renoncé à une activité sociale, récréative, professionnelle, afin de pouvoir effectuer une séance de bronzage ; la notion de « négliger leur responsabilité » est évoquée.32,34,35 Là encore ceci est typique d’une addiction qui peut engendrer un repli sur soi, une coupure avec la société.

L’addiction solaire, un tropisme faible pour les crèmes solaires

Un certain nombre d’études montrent que les personnes qui réalisent des séances de bronzage en solarium n’utilisent pas de produits de protection solaire,36 ce qui est assez logique puisque ces personnes veulent à tout prix bronzer.

La tanorexie, en bref

Jamais content de la couleur de sa peau nous disent les dermatologues Piérard-Franchimont et Henry en 2011. Certains sont addicts au Soleil, afin d’atteindre leur idéal de beauté. D’autres sont addicts aux produits dépigmentants, afin d’éclaircir leur peau.37 Pour atteindre le niveau de bronzage désiré, certains s’abonnent aux solariums, d’autres sortent simplement la chaise longue sur la terrasse de leur maison ou de leur appartement.38 Les addicts ne contrôlent plus le phénomène multipliant les séances de bronzette et ce aux dépens de leur santé !

Alors addict ou pas ? Faites le test. Est-il possible pour vous de dire « non » à une séance de solarium ou de bain de Soleil ? Si oui, bravo ! Si non, il est de temps de consulter, afin de vous faire aider pour sauver votre peau.

Bel été, à l’ombre, à tous !

Bibliographie

1 Phan MN, Kohn J, Dao H. Skin cancer risk and tanning in pageant contestants. Proc (Bayl Univ Med Cent). 2020 Oct 7;33(4):557-559

2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/sur-les-cahiers-d-emile-jean-jacques-ecrit-le-mot-liberte-883/

3 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/ah-ce-que-madame-remusat-est-bien-quand-elle-est-dans-son-bain-665/

4 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/sous-le-soleil-exactement-l-heliotherapie-209/

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38 Piérard-Franchimont C, Hermanns-Lê T, Plérard GE, Delvenne P. L'addiction au soleil, son estocade et la parade des crèmes solaires. Rev Med Liege. 2013 May-Jun;68(5-6):321-5

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