> 15 janvier 2024
Outil de nanomédecine pour médicaments à usage cutané du futur,1 ingrédient permettant d’augmenter le phénomène de pénétration transcutanée d’actifs cosmétiques ou de principes actifs médicamenteux plus ou moins récalcitrants,2-4 ingrédient permettant de mettre au point des nanoparticules (NP) sensibles au pH, capables de délivrer un antiseptique à volonté, lorsque les NP « intelligentes » constatent une élévation du pH cutané,5 agent de la silicose et de sclérodermie, en cas d’exposition professionnelle à des poussières de silice,6,7 voilà ce que l’on peut dire rapidement au sujet de cet ingrédient, retrouvé aussi bien dans les cosmétiques que dans les médicaments.8 De l’oxyde de silicium se présentant, selon le cas, sous forme hydratée ou non. Un ingrédient dont les propriétés et le profil toxicologique varient au gré de la granulométrie… Forcément, un ingrédient qui mérite une monographie !
La silice, un ingrédient naturel ou pas ?
La silice peut être retrouvée dans la nature (terre de diatomées) ou être obtenue chimiquement. Une méthode bien connue pour produire de la silice est la méthode dite « Aérosil ». Les particules sont produites à haute température (autour de 1 000 et 2 500°C), par hydrolyse à la flamme, à partir de tétrachlorure de silicium. D'autres méthodes industrielles pour produire de la silice amorphe sont la précipitation et la gélification.9
On évoque, actuellement d’autres pistes d’obtention. L’« upcycling » est passé par là. Les produits d’incinération de déchets issus de la canne à sucre permettraient, ainsi, de synthétiser une silice amorphe, pure à 97 %.10,11 A creuser !
La silice, un ingrédient connu de L’Officine de François Dorvault ou pas ?
Oui, L’Officine de François Dorvault connait cet ingrédient et lui consacre une monographie entière. Coincée entre le « silicate de sodium » et les « silicones liquides », la « silice colloïdale », « produit d’origine minérale », est présentée comme une « poudre blanche à reflets bleutés, d’aspect floconneux, sans saveur, inodore ». Cette poudre, qui possède « un pouvoir absorbant vis-à-vis de l’humidité des substances actives » et est douée de « propriétés électrostatiques », est l’ingrédient idéal pour mettre en œuvre des « mélanges pulvérulents secs » destinés à la préparation des « gélules, des comprimés, des poudres ». Agent épaississant pour suppositoires, agent gélifiant pour préparations topiques, la silice, utilisée, selon le cas, à des pourcentages variant de 1 à 10 %, est un excipient largement utilisé dans le domaine pharmaceutique. « Adsorbant pour fixer les teintures ou les huiles essentielles », la silice se laisse parfumer avec délice… Un additif qui semble donc incontournable si l’en en croit la bible du pharmacien.12
La silice, un ingrédient connu de l’inventaire européen ou pas ?
Sous le nom INCI de silica, se cache (il n’est pas très difficile de la reconnaitre) la silice. Un agent « abrasif, absorbant, anti-agglomérant, opacifiant, modificateur de viscosité ».13 La silice hydratée possède, elle aussi, une monographie et des propriétés similaires.14
La silice, un abrasif pour dentifrice, y a pas photo !
En ce qui concerne les usages cosmétiques, c’est l’emploi en tant qu’abrasif qui est le mieux documenté, du point de vue de la bibliographie scientifique.
On nous y dit qu’il s’agit d’un agent moins abrasif que le diamant,15 donc plus respectueux de l’émail dentaire.16 On n’a pas de mal à le croire, connaissant la dureté légendaire de cette pierre précieuse.
Un agent abrasif, qui permet la formulation d’un grand nombre de références de dentifrices, dont des dentifrices blanchissants par effet optique à base de bleu de covarine,17 mais également de dentifrices permettant de lutter contre l’hypersensibilité dentinaire (une étude publiée en 2022 par des équipes canadiennes et brésiliennes pointe du doigt le fait que 84 % de ce type de dentifrices (368 références étudiées) est à base de silice).18,19
Une référence, utilisée par les sociétés réalisant les tests d’abrasivité des dentifrices destinés à être commercialisés.20
Un agent abrasif, sur lequel il est possible de trouver, dans la littérature scientifique, des publications très récentes, permettant de quantifier/ qualifier ce caractère abrasif. En effet, une équipe allemande vient tout juste de publier les résultats obtenus en ce qui concerne la RDA (Relative Dentin Abrasivity) ; plus le pourcentage en silice hydratée augmente plus cette RDA augmente. Toutefois, ceci n’est pas linéaire. Pour des dentifrices dosés à 2,5 %, à 5 %, à 7,5 % et 10 % (m/m) en silice, les RDA respectives sont de 33, 49, 60 et 66,21 autant d’informations capitales pour qui veut mettre un dentifrice sur le marché ! Des résultats qui varient toutefois selon le protocole utilisé (PMMA, dents de prothèse), comme en témoignent les résultats obtenus par une autre équipe de recherche ; dans ce cas, les RDA correspondants à des dentifrices dosés à 3, 10 et 25 % de silice engendraient des RDA respectives de 50, 100 et 120.22 Il est important également de préciser l’importance de la taille des particules, en matière d’abrasivité, comme en témoignent les résultats obtenus avec des produits du commerce. Le dentifrice Elmex (silice hydratée de 6 microns) est ainsi beaucoup plus abrasif que le dentifrice Ringana Fresh Tooth Oil (silice hydratée de 1,3 microns) avec des RDA respectives de 65 et de 30.23 A savoir !
On notera que, selon le cas, on parle de silice ou de silice hydratée, cette dernière étant considérée comme plus performante que la forme anhydre en matière d’effet nettoyant.24
Si certains chercheurs s’intéressent au pouvoir abrasif en déterminant le taux d’usure des supports brossés d’autres auteurs se placent côté brosses à dents et constatent l’état des poils brossés à l’aide de dentifrices de composition variée. Le « pire » mélange abrasif dans ce contexte est celui associant carbonate de calcium, bicarbonate de sodium et silice.25 A éviter !
Cet agent abrasif, traditionnellement et fréquemment utilisé dans le domaine de la formulation de produits à usage bucco-dentaire, est toujours largement étudié à l’heure actuelle comme on a pu le constater ; certains chercheurs le modifient chimiquement, afin de lui conférer une plus grande affinité pour l’émail dentaire.26
La silice, un facteur d’écoulement intéressant pour la formulation des poudres ?
Un facteur d’écoulement permettant de remplacer le talc dans les poudres cosmétiques, voilà la conclusion de chercheurs américains dans une publication datant de 2021.27
De la silice dans une poudre cosmétique ? Sans doute pas l’idée lumineuse du XXIe siècle, quand on connait les risques de maladies pulmonaires, liées à l’inhalation de ce type d’ingrédients.28,29 Pourtant, il semble que les nanoparticules de silice soient appréciées des formulateurs de produits de maquillage qui comptent sur ses propriétés anti-agglomérantes pour mettre au point des formules parfaitement homogènes.30
La silice, un facteur dispersant des pigments pour rouge à lèvres ?
Certains auteurs présentent la silice comme un agent dispersant des pigments, utile pour formuler des rouges à lèvres de belle stabilité dans le temps.30
Si l’on reste dans le domaine du maquillage des lèvres, on peut également penser à réaliser des brillants à lèvres à base d’huiles variées, la viscosité de la préparation étant ajustée par l’ajout d’un pourcentage adapté de silice.31 En effet, cette silice est connue pour sa capacité à mettre au point ce que l’on appelle des « oléogels ».
La silice, un ingrédient pour déodorant ?
Cette silice est aussi un actif déodorant,32 qui absorbe les odeurs, mais peut laisser un film blanc disgracieux sur la peau ; ce défaut peut être corrigé par l’ajout dans le milieu d’un ingrédient-miracle, la Crodamol® STS (nom INCI : PPG-3 Benzyl Ether Myristate),33 nous dit-on.
En outre, la silice permet de mettre au point des huiles essentielles encapsulées avec un profil de libération des molécules volatiles variant selon la nature chimique de celles-ci.34,35 La silice joue donc sur les deux tableaux, captant selon le cas les odeurs (les mauvaises) ou les libérant (les bonnes !).
La silice, un ingrédient vecteur d’actif ?
La silice est susceptible de former des microsphères, capables d’encapsuler des huiles végétales.36 Elle permet également d’enrober des filtres UV tant organiques, qu’inorganiques,37-40 facilitant leur bonne dispersion dans l’excipient choisi ou bien des actifs anti-âge comme le rétinol.41 Et, comme on le sait depuis longtemps de mettre au point des émulsions de Pickering,42,43 de stabilité douteuse.
La silice, un ingrédient sûr d’emploi, ou pas ?
La silice entre dans la composition d’un grand nombre de produits cosmétiques. Sous forme nanoparticulaire, elle peut être trouvée dans des produits cosmétiques sans rinçage pour les cheveux, la peau, les lèvres, le visage et les ongles, afin d’augmenter l’efficacité du produit, afin d’en modifier la texture et d’augmenter la durée de conservation. Cette silice possède, en outre, un pouvoir absorbant intéressant et un caractère anti-agglomérant parfaitement utile. Donc concert de louanges concernant cet ingrédient ? Non, pas vraiment, lorsque l’on découvre la littérature scientifique consacrée à cette silice nanoparticulaire.44
La silice et la silice hydratée, des ingrédients sûrs d’emploi d’après le CSSC.45
Pénétration cutanée, métabolisation, effets biologiques ?44 On se pose beaucoup de questions au sujet de cet ingrédient qui, selon la taille des particules considérées, reste en surface ou pas,46 pose problème ou pas.
Des questions qui restent en suspens, mais qui doivent pourtant trouver réponse, puisque l’on sait que les particules de silice déposées sur la peau sont capables de pénétrer dans le cytoplasme des kératinocytes, par exemple.47
Pour le sujet atopique, il conviendra d’être prudent quant à l’utilisation de silice NP ; en effet, des étude mettent en évidence un lien existant entre la taille des particules et un effet immunomodulateur, l’aggravation de la dermatite atopique s’observant en cas de réduction de la taille des particules.48,49 Une taille des particules à étudier de près, puisque les eaux thermales riches en silice, quant à elles, sont réputées bénéfiques pour le sujet atopique ou souffrant de psoriasis.50
La silice, en bref
Présentes dans certains fonds de teint dits minéraux,51 dans des eye-liners,52 dans des sprays pour le change,53 dans des baumes à lèvres,54 dans des crèmes détox,55 dans des crèmes solaires,56-59 dans un grand nombre de dentifrices60... la silice et la silice hydratée sont rarement sous forme nanoparticulaire, si l’on en croit les laboratoires, qui commercialisent ces produits. Encore heureux… car dans le cas de la silice, l’expression « plus c’est petit plus c’est mimi » ne s’applique pas ! Ah non, vraiment pas !
Bibliographie
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8 https://www.vidal.fr/recherche.html?query=hydrated+silica
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11 Costa JR, Neto T, Pedrosa SS, Sousa SC, Azevedo-Silva J, Tavares-Valente D, Mendes A, Pintado ME, Fernandes JC, Oliveira ALS, Madureira AR. Biogenic silica microparticles as a new and sustainable cosmetic ingredient: Assessment of performance and quality parameters. Colloids Surf B Biointerfaces. 2023 Jun;226:113305
12 Dorvault F., L’Officine, Vigot, 23e édition, Paris, 1995, 2089 pages
13 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/details/78845
14 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/details/76428
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