> 19 décembre 2023
« Antiseptique de référence » depuis des décennies,1 la povidone iodée (Povidone-iodine ou PVP-I) est un ingrédient qui ne peut pas être retrouvé dans les cosmétiques, comme nous l’indique l’inventaire européen.2 Ce libérateur d’iode interdit par la réglementation méritait un Regard. A quel titre alors, nous direz-vous, puisqu’il ne peut pas/ne doit pas être utilisé par l’industrie cosmétique ?… Patience !
La PVP-I est un iodophore (c’est-à-dire un générateur d’iode), soluble dans l'eau ; il s’agit d’un complexe formé entre l'iode et un polymère solubilisant, la polyvinylpyrrolidone (PVP).3 En solution aqueuse, un équilibre dynamique se produit entre l'iode libre (I2), l'agent bactéricide actif, et le complexe PVP-I. On rappellera que l’effet antimicrobien de cette molécule est à mettre sur le compte de l’iode libre. Il existe, à ce titre, une bonne corrélation entre la concentration en iode libre et l'activité microbicide de la PVP-I.
L’iode est en effet capable de pénétrer rapidement au sein des micro-organismes, afin d’en oxyder les différents constituants que sont les protéines, les nucléotides et les acides gras, clés du métabolisme des organismes considérés ; ceci a donc pour conséquence de conduire à la mort cellulaire. La PVP-I possède un large spectre antimicrobien, avec une activité contre les bactéries Gram-positive et Gram-négative, y compris les souches résistantes aux antibiotiques et aux antiseptiques, les champignons et les protozoaires. Une activité est également documentée vis-à-vis de certains virus enveloppés et non enveloppés,4 ainsi que vis-à-vis de certaines spores bactériennes.
Une publication datant de 2020 propose l’emploi de PVP-I pour l’aseptisation des fosses nasales des sujets porteurs de staphylocoque doré. Il s’avère que cet antiseptique (en solution à 7,5 et 10 %) s’avère, du moins in vitro et ex vivo, plus efficace que la mupirocine ou la chlorhexidine, habituellement employées.5 Reste à vérifier que cela fonctionne dans « la vraie vie » ! Des publications plus ou moins récentes n’en sont pas si sûres que cela, montrant que le taux d’infection post-opératoire liée au microbiote est plus faible en cas d’utilisation de chlorhexidine que de PVP-I associée ou non à l’alcool.6,7 Un avantage pour la PVP-I, on ne note pas de résistance la concernant.8 Du moins à ce jour !
Dans L’Officine de François Dorvault,9 on apprend que cette povidone-iodée a été utilisée par la NASA pour « assurer la décontamination des cabines spatiales des programmes Apollo ». Quel honneur, quelle confiance !
Les Japonais, du moins, sont friands de ce mode d’hygiène radicale, qui consiste à faire des gargarismes. Le bain de bouche iodé est utilisé larga manu, en vue de se prémunir des infections. La question d’un risque d’ingestion importante d’iode et de troubles thyroïdiens est alors posée. Elle reste ouverte car les tests réalisés ne permettent pas de répondre clairement à la question.10
On sait, en revanche, que ce type de gargarisme peut provoquer des effets indésirables graves, comme des réactions allergiques de type anaphylactique, chez les patients ayant des antécédents d'allergie « à l'iode » (on devrait plutôt dire aux dérivés iodés) ou aux fruits de mer.11
Bain de bouche et réduction de la charge virale salivaire en SARS-COV ont forcément alimenté les discussions durant la période épidémique,12,13 sans pour autant que l’on puisse en tirer un enseignement clair, net et précis.
La Bétadine est un antiseptique, connu qui se présente en flacon vert (solution à 10 % pour bains de bouche),14 jaune (solution à 10 % pour application cutanée),15 ou rouge (solution moussante à 4 % pour application cutanée).16 Pour un usage gynécologique, c’est un flacon bleu clair et enfin, un flacon orange pour la solution alcoolique. On trouve également un gel, du tulle, des ovules et des conditionnements unidoses.17
L’inventaire européen connaît la PVP-iodée. Il nous y est indiqué son nom INCI, soit PVP-iodine en nous précisant, toutefois, que l’on ne devra pas rencontrer ce nom INCI dans les listes d’ingrédients pour la bonne raison que cet ingrédient est interdit. Et de nous envoyer vérifier la chose au niveau de l’Annexe II (n° d’ordre 213) du Règlement 1223/2009… Un n° d’ordre qui correspond à l’iode métalloïde. Donc puisque l’iode est une substance interdite, le générateur d’iode est également interdit. Logique !
Une logique, pourtant, pas si logique que cela, lorsque l’on sait que l’hydroquinone est interdite dans la plupart des cosmétiques (ingrédient présent à l’Annexe II, n°1339) et n’est autorisée que pour un usage professionnel dans les « préparations pour ongles artificiels » (Annexe III n°14),18 alors que les générateurs d’hydroquinone passent entre les mailles du filet et peuvent être employés sans restriction.19
Même chose avec le formol, interdit dans les cosmétiques (du moins pour un ajout volontaire !), mais qui peut toutefois être apporté par des générateurs de formol.20
Et quid du Carbamate de 3-iodo2-propynylbutyle ou IPBC (nom INCI : iodopropynyl butylcarbamate), ce conservateur iodé qui ne devrait pas, en théorie nous dit-on, libérer beaucoup d’iode dans les cosmétiques21 et que l’on trouve en Annexe V (n°56) du Règlement (CE) N°1223/2009.22 Les concentrations maximales autorisées sont faibles : 0,02 % pour les produits rincés, 0,01 % dans les produits sans rinçage, 0,0075 % dans les déodorants/antiperspirants. Des restrictions sont associées concernant les produits buccodentaires et les produits pour les lèvres et les enfants de moins de 3 ans. Une interdiction serait certainement plus logique.
Ah ! cet iode en cosmétologie. Tout un programme… Les algues en contiennent et constituent pourtant des ingrédients cosmétiques assez courants.23,24 Certains conservateurs antimicrobiens en contiennent aussi, mais sont traités différemment selon le cas. Il serait peut-être temps de rationnaliser les choses et de cesser de faire souffler sur le domaine cosmétique un vent iodé. Et tant qu’à faire, on pourrait aussi s’occuper des générateurs d’ingrédients interdits, qui semblent bien être un peu mis de côté depuis des années.
1 Riad A, Yilmaz G, Boccuzzi M. Molecular iodine. Br Dent J. 2020 Sep;229(5):265-266
2 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:02009R1223-20230816
4 Chen MH, Chang PC. The effectiveness of mouthwash against SARS-CoV-2 infection: A review of scientific and clinical evidence. J Formos Med Assoc. 2022 May;121(5):879-885
5 Lepelletier D, Maillard JY, Pozzetto B, Simon A. Povidone Iodine: Properties, Mechanisms of Action, and Role in Infection Control and Staphylococcus aureus Decolonization. Antimicrob Agents Chemother. 2020 Aug 20;64(9):e00682-20
6 Seidelman JL, Mantyh CR, Anderson DJ. Surgical Site Infection Prevention: A Review. JAMA. 2023 Jan 17;329(3):244-252
7 Darouiche RO, Wall MJ Jr, Itani KM, Otterson MF, Webb AL, Carrick MM, Miller HJ, Awad SS, Crosby CT, Mosier MC, Alsharif A, Berger DH. Chlorhexidine-Alcohol versus Povidone-Iodine for Surgical-Site Antisepsis. N Engl J Med. 2010 Jan 7;362(1):18-26) (Wade RG, Burr NE, McCauley G, Bourke G, Efthimiou O. The Comparative Efficacy of Chlorhexidine Gluconate and Povidone-iodine Antiseptics for the Prevention of Infection in Clean Surgery: A Systematic Review and Network Meta-analysis. Ann Surg. 2021 Dec 1;274(6):e481-e488
8 Barreto R, Barrois B, Lambert J, Malhotra-Kumar S, Santos-Fernandes V, Monstrey S. Addressing the challenges in antisepsis: focus on povidone iodine. Int J Antimicrob Agents. 2020 Sep;56(3):106064
9 Dorvault F., L’Officine, Vigot, 23e édition, Paris, 1995, 2089 pages
10 Fuse Y, Ito Y, Yamaguchi M, Tsukada N. High Ingestion Rate of Iodine from Povidone-Iodine Mouthwash. Biol Trace Elem Res. 2022 Aug;200(8):3902-3909
11 Brookes Z, McGrath C, McCullough M. Antimicrobial Mouthwashes: An Overview of Mechanisms-What Do We Still Need to Know? Int Dent J. 2023 Nov;73 Suppl 2:S64-S68
12 Elmahgoub F, Coll Y. Could certain mouthwashes reduce transmissibility of COVID-19? Evid Based Dent. 2021 Jan;22(2):82-83
13 Mateos-Moreno MV, Mira A, Ausina-Márquez V, Ferrer MD. Oral antiseptics against coronavirus: in-vitro and clinical evidence. J Hosp Infect. 2021 Jul;113:30-43
14 https://www.vidal.fr/medicaments/betadine-10-sol-p-bain-bouch-2058.html
15 https://www.vidal.fr/medicaments/betadine-dermique-10-sol-p-appl-loc-2053.html
16 https://www.vidal.fr/medicaments/betadine-scrub-4-sol-p-appl-cut-moussante-2056.html
17 https://www.pharma-gdd.com/fr/betadine
18 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:02009R1223-20230816
21 https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1091581817717642
22 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/details/34582
23 Lebeau D, Leroy N, Doizi D, Wu TD, Guerquin-Kern JL, Perrin L, Ortega R, Voiseux C, Fournier JB, Potin P, Fiévet B, Leblanc C. Mass spectrometry - based imaging techniques for iodine-127 and iodine-129 detection and localization in the brown alga Laminaria digitata. J Environ Radioact. 2021 May;231:106552
24 Roleda MY, Skjermo J, Marfaing H, Jónsdóttir R, Rebours C, Gietl A, Stengel DB, Nitschke U. Iodine content in bulk biomass of wild-harvested and cultivated edible seaweeds: Inherent variations determine species-specific daily allowable consumption. Food Chem. 2018 Jul 15;254:333-339
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