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La moutarde c’est (toujours) pour la vinaigrette, mais (toujours) pas pour se mettre sur la tête

> 18 juillet 2017

La moutarde c’est (toujours) pour la vinaigrette, mais (toujours) pas pour se mettre sur la tête Décidément, les aliments ont le vent en poupe en ce moment dans le domaine cosmétique. Après les huiles proposées pour un effet photo-protecteur supposé (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/les-huiles-bio-pour-la-vinaigrette-mais-pas-pour-la-bronzette-141/) ou pour nourrir les cheveux secs (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/l-huile-d-olive-pour-la-vinaigrette-pas-pour-mettre-sur-la-tete-284/), on nous recommande même aujourd’hui la moutarde pour lutter contre la chute des cheveux !

« La moutarde pour activer la pousse - Si notre cuir chevelu n’est ni sensible ni irrité (oui c’est préférable !), on peut le tartiner de deux cuillérées à soupe de moutarde. En activant la circulation sanguine, ce condiment stimule le bulbe et donc la pousse. » (Rubrique Beauté - Régalez vos cheveux - Elle, 28 avril 2017). Ceci nous est présenté comme un scoop, une recette inédite qu’il convient de tester au plus vite. Comme nous allons le constater l’originalité de la recette est extrêmement limitée. On y a recours depuis bien longtemps et ceci en pure perte d’ailleurs…

La moutarde est un condiment dont la composition est variable. Le dénominateur commun à toutes les préparations est la présence de farine de moutarde et/ou de graines de moutarde (dans le cas des moutardes à l’ancienne). Brassica ou Sinapis sont les noms botaniques donnés à la plante qui fournit les graines en question. Dans les différents produits à disposition, on trouve également du vinaigre, de l’eau, du sel, du vin blanc, du sucre, un adaptateur de pH et éventuellement un arôme (https://www.maille.com/fr_FR/moutarde-a-lancienne/20758001FR.html).

La moutarde fait partie de ce que l’on pourrait nommer l’arsenal médical du passé.

Certains composés présents dans les végétaux sont capables d’engendrer des réactions indésirables chez les jardiniers. C’est le cas, en particulier, des plantes de la famille des Brassicacées (moutarde, raifort…) qui peuvent provoquer des réactions cutanées à type d’érythèmes et de bulles en cas de contact prolongé (M. Avenel-Audran, Peau, plantes et jardinage, Revue Française d'Allergologie, 49, 3, 2009, 259-263). Si cet effet est dit indésirable pour le jardinier dans le cadre de son activité professionnelle ou de loisir, il s’agit, en revanche, d’un effet recherché lorsqu’on applique sur la peau des cataplasmes préparés à l’aide de farine de moutarde. Ces cataplasmes particuliers portent le nom de sinapismes (mot dérivé du nom de genre de la plante, Sinapis). Les sinapismes Rigollot (désignés ainsi du fait du nom de leur inventeur) n’ont rien de drôle, ni de cosmétique. Paul-Jean Rigollot en réussissant à fixer, en 1867, la farine de moutarde sur un support papier à l’aide d’une solution de caoutchouc dans du sulfure de carbone (E Ferrand, une spécialité à succès : le Rigollot, Revue d’histoire de la pharmacie, 1993, 81, 297, 183-184) a engendré bien des cris et des larmes dans les familles françaises. Utilisés pour traiter les affections respiratoires, ces sinapismes, outre le fait qu’ils sont mal tolérés par la peau, sont fort peu efficaces !

L’idée de créer une irritation (donc une vasodilatation) associée ou non à la formation de lésions à type de bulles au niveau du cuir chevelu afin de favoriser la pousse des cheveux n’est pas récente. On trouve dans un certain nombre de formulaires des recettes de lotions destinées à fortifier les cheveux. Pour éviter la chute des cheveux, on pourra se frictionner le cuir chevelu avec une lotion composée « d’alcoolé de guaco, d’esprit d’éther nitreux, de teinture de capsicum et d’essence de Néroli » (C. Villiers, de la Beauté chez la femme, Albin Michel, 1910, 160 pages). La teinture de piment évoquée ici est « un rubéfiant énergique » (Dorvault l’officine, 23e édition, Vigot, Paris, 1995, 2089 pages), c’est-à-dire un principe actif médicamenteux qui agit en créant une vasodilatation locale. On pourra également se procurer dans le commerce le « Hair restorer Askinson » qui est composé de « 50 g de teinture de cantharide, de 10 g d’extrait de musc, de 5 g de carmin, de 100 g d’alcool et de 1000 g d’eau de rose », auquel on ajoute 50 g d’une préparation obtenue en faisant « digérer 100 g de noix de galle pulvérisée dans un litre d’alcool fort ». Ces « lotions stimulantes à base de teinture de cantharides sont très appréciées. » Il faut toutefois garder à l’esprit que cette teinture est un « agent vésicant dont on ne doit employer que de très petites doses sous peine d’accidents désagréables » (Le Florentin R, Cosmétiques et produits de beauté, Desforges, Paris, 1938, 201 pages). Pour plus de précision, on peut ajouter que les cantharides ou mouches d’Espagne sont des insectes de l’ordre des Coléoptères ; la teinture alcoolique obtenue par macération de ces insectes ou de la poudre qui en était obtenue par broyage est « le vésicant par excellence ». On l’utilisait localement pour son effet irritant, dans le cadre du traitement des alopécies inhérentes à la pelade ou à d’autres affections (Dorvault l’officine, 23e édition, Vigot, Paris, 1995, 2089 pages).

Les rubéfiants, vésicants et autres préparations, plus farfelues les unes que les autres, n’ont aucun effet sur la chute des cheveux, qu’on se le dise !!! En revanche, leur effet irritant peut être source d’accidents et d’effets indésirables regrettables.

Laissons les aliments dans la cuisine ; huile, vinaigre, moutarde… pour la vinaigrette, oui… pour un effet cosmétique, non !

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