> 22 février 2021
Excipient pour médicaments (on en retrouve, par exemple, dans les comprimés de Solutricine® tétracaïne ou dans les gommes à mâcher Nicorette®)1,2 ou compléments alimentaires,3 la gomme arabique semble être un ingrédient surdoué, capable de jouer un rôle en matière de satiété (dans le cadre d’une prise quotidienne de 20 grammes de poudre de gomme arabique tout de même) et de maitrise de la lipidémie, sans compter un effet antioxydant.4 Parmi les gommes végétales utilisées dans le domaine cosmétique, la gomme arabique est certainement la mieux représentée. Selon les formules, les pourcentages d’emploi variaient, en 2005, de 0,0001 % (toniques, produits capillaires) à 9 % (mascaras).5 Originaire majoritairement du Soudan, la gomme arabique est obtenue à partir d’un acacia, appelé localement hashab.6 Utilisée sans discontinuer de l’Antiquité à nos jours, cette gomme risque fort de revenir sur le devant de la scène, à l’heure où les ingrédients de synthèse (en particulier les gélifiants comme les carbomères, les dérivés de nylon ou de polyester) sont regardés avec circonspection par toute une frange de la population. De l’oculiste, enterré avec sa mallette médicale, au cosmétologue moderne qui rêve de formules de plus en plus naturelles, du chimiste de l’Ancien régime à son homologue du XXIe siècle, en passant par le dentiste et l’allergologue, chacun a son mot à dire sur un ingrédient qui se plaît préférentiellement dans les préparations destinées à rendre le regard ténébreux !
Pour l’inventaire européen
Pour l’inventaire européen, la gomme arabique est la gomme qui exsude de l’Acacia senegal ; un effet filmogène et un caractère parfumant sont reconnus.7 Parfum ? Pas pour François Dorvault en tout cas, comme on le verra un peu plus loin.
Pour l’oculiste de l’Antiquité
Des coffrets d’oculiste ont pu être retrouvés dans des tombes antiques. Des collyres (préparations anhydres de différentes formes, « petits pains, bâtonnets, trochisques »), renfermant des poudres variées (cérusite, quartz, calcite, malachite, noir de carbone), agglomérées à l’aide de gomme arabique ou adragante considérées, à juste titre, comme des liants faisaient partie de l’arsenal thérapeutique.8 Du collyre au khôl, il n’y a qu’un pas, tant ces deux produits sont proches l’un de l’autre. Le khôl, dans l’Egypte ancienne et dans le monde gréco-romain, désigne, en effet, aussi bien une préparation à usage thérapeutique, qu’un fard, destiné à agrandir le regard.9 Du khôl antique, au khôl liquide, recommandé par René Cerbelaud dans son célèbre Formulaire de parfumerie, le dénominateur commun porte un nom… et ce nom, c’est « gomme arabique ».10
Pour le pharmacien du XIXe siècle
Avant de définir ce qu’est la gomme arabique, François Dorvault prend soin de définir les « gommes », ces « produits végétaux glucidiques qui paraissent être le résultat d’un excès de sève descendante qui a soulevé et déchiré l’écorce des arbres gommifères et s’est concrétisée à la surface. » Formant avec l’eau une « gelée plus ou moins épaisse nommée mucilage », les gommes constituent des ingrédients pharmaceutiques intéressants. La gomme arabique du Sénégal est le « produit durci à l’air de l’exsudat visqueux naturel ou provoqué par incision du tronc et des branches d’Acacia senegal (L. Willedenow). Après cette première définition, une petite mise au point est réalisée. Pour être tout à fait honnête, la « véritable » gomme arabique (G. turique, G. gedda des Anciens) est un produit de couleur très blanche et très friable, obtenu à partir d’Acacia vera (Willd) et d’Acacia nilotica (Desf). Cette gomme est produite avec un rendement de l’ordre de 500 à 800 grammes par arbre et par an. Selon le lieu de récolte, la gomme présente un aspect différent, blanche ou marron, plus ou moins brillante, plus ou moins fendillée, ridée... Du point de vue de sa composition, on recense des minéraux (calcium, potassium, magnésium), des tanins (responsables de l’aspect plus ou moins coloré de la gomme), d’enzymes (des oxydases « très actives »), des glucides, formés, entre autres, à partir d’arabinose et de furfurol. Des acides aldobionique et uronique sont également présents. 10 à 15% d’eau complètent ce tableau chimique. Sans odeur et de saveur faible, cet ingrédient s’incorpore facilement dans les préparations du fait de son caractère miscible à l’eau.
Très appréciée du pharmacien (celui du XIXe siècle), la gomme arabique permet aussi bien de coller les étiquettes sur les pots à pharmacie (clin d’œil au procédé de bandelettage, utilisé lors du processus de momification, destiné à coller les bandelettes utilisées les unes aux autres),11 que de constituer un excipient pour pâtes officinales ou un principe actif, à caractère adoucissant, préconisé dans le traitement des pathologies inflammatoires.12
Et le julep gommeux (ou potion gommeuse), dans tout cela ? Une préparation ancestrale à base de sirop simple, de gomme arabique, d’eau distillée de fleurs d’oranger et d’eau purifiée qui permettait de disperser, dans l’eau, des principes actifs peu solubles en phase aqueuse.13 Une formule toujours d’actualité qui permet, de nos jours, la prise en charge des coliques et des régurgitations du nourrisson.14
Pour le chimiste du XXIe siècle
La gomme arabique est un ingrédient très intéressant, retrouvé dans des domaines variés (alimentation, pharmacie, cosmétique, lithographie), du fait de propriétés stabilisantes, liantes, conservatrices, adoucissantes (anti-inflammatoires). Cette gomme, considérée comme un biopolymère, est, en réalité, un complexe polysaccharidique hautement ramifié. Trois fractions principales sont isolées ; elles sont appelées arabinogalactane-peptide ou AG - 88 % en masse de la gomme, composé d’une quarantaine d’acides aminés), arabinogalactane-protéine ou AGP (10 % - entre 250 et 400 acides aminés) et glycoprotéine ou GP (1 %).15
Pour le dentiste du XXIe siècle
La gomme arabique possède une réputation d’actif intéressant dans le domaine bucco-dentaire. Le nombre de travaux permettant de soutenir cette allégation est pourtant maigre. Un test in vitro, réalisé en 2008, par des chercheurs japonais, établit une comparaison entre fluorure de sodium (1000 ppm) et gomme arabique, source d’ions calcium (10 mg/mL).16 Même combat ! A creuser, à vérifier, à étayer...
Pour l’allergologue
La gomme arabique est une matière première susceptible d’engendrer des réactions allergiques, parfois violentes. Des cas de rhinites et de prurit sont répertoriés chez des personnes travaillant dans l’industrie pharmaceutique, au contact de poussières de gomme arabique.17 Même chose, dans l’industrie du chewing-gum, avec des pâtes à mâcher renfermant 10 % de thaumatine (un édulcorant d’origine naturelle) et 90 % de gomme arabique.18 Même chose encore dans l’industrie des bonbons.19 Enfin, un cas un peu particulier avec cet ouvrier travaillant dans le domaine de la lithographie et qui a développé une allergie à un conservateur (une thiazolinone !) présent dans la gomme arabique employée.20 Dans tous les cas, les manifestations allergiques relatées survenaient suite à une inhalation.
Pour le cosmétologue
Le cosmétologue, qui voit la vie sans tensioactif, considèrera la gomme arabique comme l’ingrédient idéal, avec l’aide du chitosan, pour stabiliser les fameuses émulsions de Pickering,21 véhiculant du resvératrol ou tout autre actif.22 Le cosmétologue en quête d’excipient à effet cicatrisant (oui, effectivement ce terme est très limite en cosmétologie) ira lorgner également du côté de l’exsudat de l’Acacia senegal.23 Reste à incorporer les actifs ad hoc ! Le cosmétologue, qui est bien décidé à se mettre dans les traces du célèbre Pr Vercauteren, verra, dans la gomme arabique, un élément nécessaire à la microencapsulation des polyphénols de raisin.24
La gomme arabique, en bref
Bien représenté dans les mascaras,25-33 la gomme arabique réconcilie cosmétiques bio et cosmétiques conventionnels, pour les beaux yeux de la consommatrice. Un passage éclair dans le rayon buccodentaire, chez Signal et Sanogyl.34,35 Un petit tour chez Klorane, dans un shampooing solide,36 qui se fait poudre pour nous simplifier la vie... et c’est à peu près tout. Timide, cette gomme, exploitée pourtant depuis des temps immémoriaux. Une timidité à laquelle il est possible de remédier... il n’y a plus qu’à...
Bibliographie
1 https://www.vidal.fr/medicaments/solutricine-tetracaine-0-2-mg-cp-a-sucer-maux-de-gorge-69859.html
2 https://www.vidal.fr/medicaments/nicorette-2-mg-gomm-macher-medic-sans-sucre-fruits-72349.html
3 https://www.vidal.fr/parapharmacie/insadol-cp-107225.html
4 Jarrar AH, Stojanovska L, Apostolopoulos V, Feehan J, Bataineh MF, Ismail LC, Al Dhaheri AS., The Effect of Gum Arabic (Acacia Senegal) on Cardiovascular Risk Factors and Gastrointestinal Symptoms in Adults at Risk of Metabolic Syndrome: A Randomized Clinical Trial., Nutrients., 2021, 9, 13, 1, 194
5 Final report of the safety assessment of Acacia catechu gum, Acacia concinna fruit extract, Acacia dealbata leaf extract, Acacia dealbata leaf wax, Acacia decurrens extract, Acacia farnesiana extract, Acacia farnesiana flower wax, Acacia farnesiana gum, Acacia senegal extract, Acacia senegal gum, and Acacia senegal gum extract., Int J Toxicol., 2005, 24, 3, 75-118
6 Koli AO, Eltayeb AM, Sanjak EM, Mohammed MH., Socio-economic aspects of Gum Arabic production in Dalanj area, South Korodofan, Sudan., Pak J Biol Sci., 2013, 1, 16, 21, 1407-10
7 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=54244
8 Boyer R., Guineau B., Découverte de la tombe d'un oculiste à Lyon (fin du IIe s. après J.-C). Instruments et coffret avec collyres, Gallia, 1990, 47, 243-246
9 Faure M., Le khôl, médicament et fard oculaire, de l'Antiquité à nos jours, Revue d'Histoire de la Pharmacie, 1992, 295, 441-444
10 Cerbelaud R., Formulaire de parumerie, Tome II, Paris, 1933, 764 pages
11 Biotti-Mache F. La thanatopraxie historique, Études sur la mort, 2013/1 (n° 143), 13 à 59
12 Dorvault F. L’Pfficine, Vigot, Paris, 1995, 2089 pages
14 Fougere E., Perrichon B. Le julep gommeux, Actualités Pharmaceutiques, 58, 587, 2019, 29 -30
15 Sethuraman S, Rajendran K. Multicharacteristic Behavior of Tyrosine Present in the Microdomains of the Macromolecule Gum Arabic at Various pH Conditions. ACS Omega. 2018, 18, 3, 12, 17602-17609
16 Onishi T, Umemura S, Yanagawa M, Matsumura M, Sasaki Y, Ogasawara T, Ooshima T. Remineralization effects of gum arabic on caries-like enamel lesions. Arch Oral Biol. 2008, 53, 3, 257-60
17 Sander I, Raulf-Heimsoth M, Wiemer K, Kespohl S, Brüning T, Merget R. Sensitization due to gum arabic (Acacia senegal): the cause of occupational allergic asthma or crossreaction to carbohydrates? Int Arch Allergy Immunol. 2006, 141, 1, 51-6
18 Tschannen MP, Glück U, Bircher AJ, Heijnen I, Pletscher C. Thaumatin and gum arabic allergy in chewing gum factory workers. Am J Ind Med. 2017, 60, 7, 664-669
19 Viinanen A, Salokannel M, Lammintausta K. Gum arabic as a cause of occupational allergy. J Allergy (Cairo). 2011, 841508
20 Freeman S. Allergic contact dermatitis due to 1,2-benzisothiazolin-3-one in gum arabic. Contact Dermatitis., 1984, 11, 3, 146-149
22 Sharkawy A, Casimiro FM, Barreiro MF, Rodrigues AE. Enhancing trans-resveratrol topical delivery and photostability through entrapment in chitosan/gum Arabic Pickering emulsions. Int J Biol Macromol., 2020, 15, 147, 150-159
23 Zhang X, Kang X, Jin L, Bai J, Liu W, Wang Z. Stimulation of wound healing using bioinspired hydrogels with basic fibroblast growth factor (bFGF). Int J Nanomedicine. 2018, 4, 13, 3897-3906
24 Kuck LS, Noreña CP. Microencapsulation of grape (Vitis labrusca var. Bordo) skin phenolic extract using gum Arabic, polydextrose, and partially hydrolyzed guar gum as encapsulating agents. Food Chem. 2016, 1, 194, 569-76
25 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/zoom-sur-15-mascaras-du-commerce-444/
26 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/maquillage-nyx-no-filter-no-problem-505/
32 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/un-mascara-qui-nous-fait-bonne-impression-984/
34 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/un-signal-des-signaux-trop-de-signaux-1174/
36 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/klorane-invente-la-poudre-pour-shampooing-1714/
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