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Le crime de Lord Arthur Savile, un parfum de meurtre au creux de la main !

> 21 février 2021

Le crime de Lord Arthur Savile, un parfum de meurtre au creux de la main !

On n’échappe pas à son destin... semble nous dire Oscar Wilde, dans une nouvelle réjouissante au possible, intitulée Le crime de Lord Arthur Savile. Un diseur de bonne aventure finit ainsi sa vie dans les eaux froides de la Tamise, pour avoir voulu effrayer un jeune noble, en mal de frissons. Le voyant, vraiment pas très lucide, n’a pas vu dans sa boule de cristal le danger qui le menaçait.

Lors d’une soirée organisée par la divine Lady Gladys Windermere, les astres se sont réunis pour mettre en présence les protagonistes d’une comédie qui vire rapidement aux drames. Lady Gladys est une femme, à la quarantaine triomphante, qui a collectionné les maris, tout en restant parfaitement fidèle à son unique amant. Son « opulente gorge d’ivoire », ses yeux bleu « myosotis » qui disent mieux qu’un bouquet de fleurs « ne m’oubliez pas », ses cheveux tressés « de ton or pur », des cheveux qui rayonnent comme le soleil et diffusent la lumière comme « l’ambre étrange », en font la reine des soirées.

C’est accompagnée de son « chiromancien » fétiche, un certain Septimus Podgers, qui ressemble plus à un « médecin de famille » ou à « avoué de province » qu’à un voyant extralucide, que Lady Gladys parcourt les salons de réception de sa confortable demeure. La duchesse de Paisley s’étonne de cet engouement. Quelle peut bien être l’utilité de ce petit bonhomme ? Ne faisant pas vraiment la différence entre « chiromancien » et « manucure » la duchesse est sur ses gardes ! Pourtant, les révélations effectuées par le curieux bonhomme ne la laissent pas de marbre, lui faisant, pour le moins, passer un agréable moment. « Je me suis énormément amusée, et le manucure - je veux dire le chiromancien - est fort intéressant ». Etourdie comme pas deux, « la digne créature » perd son éventail et son châle et fait tomber par deux fois son flacon de parfum sur le sol (drôle d’idée de partir en soirée son parfum à la main !) au cours de cette soirée mémorable... Que voulez-vous Mr Podgers ne peut pas tout prévoir, tout arranger !

Lady Gladys propose donc les services de son chiromancien attitré à ses nobles amis. Tout le monde accourt et avance la main vers Mr Podgers qui semble lire à livre ouvert dans l’entrelac des mimines qui lui sont tendues. Seule Lady Marvel, une belle femme aux cheveux bruns et aux « cils sentimentaux » refuse de prendre part à cette mascarade. Bien lui en prenne ! Lord Arthur Savile, tout juste fiancé à Sybil Merton, se laisse, quant à lui, bien volontiers, prendre à ce jeu délicieusement excitant. Un crime... voilà ce qui est inscrit dans la paume de sa main.

Cette brillante soirée s’achève dans les ténèbres. Arthur, en quittant la somptueuse soirée, se met à errer dans les rues de Londres et atterrit même dans les bas fonds. « Deux femmes aux joues fardées se moquèrent de lui sur son passage. » Au petit jour, Arthur, exténué, réintègre son domicile. Une nuit d’horreur ! Après quelques heures de repos, rien de tels qu’un bon chocolat chaud et qu’un bain apaisant qui dilate les pores et ouvre les portes de l’esprit. Dans la salle de bain, « la lumière tombait doucement du plafond, tamisée par des plaques minces d’onyx transparent, et l’eau dans la baignoire de marbre luisait comme une pierre de lune. Il s’y plongea bien vite, jusqu’à ce que les ondes fraîches vinssent au contact de sa gorge et de ses cheveux, puis il y trempa complètement la tête, comme s’il avait voulu effacer la tache de quelque souvenir honteux. » Arthur a trouvé la solution à son problème. Puisqu’il doit commettre un crime, autant le faire le plus vite possible pour s’en débarrasser. Il sera alors temps de convoler en justes noces avec sa sublime fiancée.

Une cousine âgée, Lady Clementina Beauchamp, fera la victime idéale. Le poison semble être l’arme la plus soft. Une pharmacopée sous le bras et plusieurs livres de toxicologie plus tard, Arthur décide de choisir l’aconitine pour réaliser son forfait. La dose létale sera placée dans une « capsule de gélatine », parfaitement insipide. Ce qui ressemble à un joli bonbon va être fabriqué par deux pharmaciens (Pestle et Humbey), pas très à cheval sur la réglementation. La capsule toxique, placée dans une charmante « bonbonnière d’argent », sera présentée à la victime, comme un remède-miracle pour les aigreurs d’estomac. Lady Clem est ravie ; son cousin semble plein de mansuétude à son égard. Pourquoi ne pas tester ce remède tout de suite ? Grands dieux non, s’effraie Arthur, qui n’a aucune envie d’avoir à l’instant un cadavre sur les bras. « C’est un remède homéopathique, et si vous le preniez sans avoir vos aigreurs, il pourrait vous faire énormément de mal. » Laissons faire le temps... Lady Clem se meurt effectivement. La capsule d’aconitine est retrouvée intacte ! Echec pour Arthur !

Un petit voyage à Venise, un séjour au prestigieux hôtel Dianelli ne suffisent pas à apaiser Arthur... Il lui faut une victime, à tout prix !

Cette victime sera le « doyen de Chichester », l’oncle d’Arthur. Pour ce collectionneur de pendules, rien de mieux qu’une horloge piégée, qui fera boum au moment opportun. Malheureusement, la bombe destructrice se transforme en un jouet, qui fait Pschitt, un jouet tout juste bon à réjouir les enfants. Seconde déconvenue pour Arthur !

Ce second échec plonge Arthur dans une mer d’angoisse. Avec ce crime au-dessus de la tête, il se voit contraint d’annuler son mariage avec Sybil, une bien trop jolie victime.

Là où le destin se montre des plus complaisants, c’est lorsqu’Arthur rencontre Mr Podgers sur un pont enjambant la Tamise. Une légère poussée du coude et c’est le grand plongeon... Plouf ! Le crime est accompli ; le destin a fait son œuvre.

Mariage-enfants-bonheur. Rien ne manque plus à Arthur et à Sybil. Et dire que Mr Septimus Podgers n’était qu’un vil charlatan !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour l'illustration du jour !

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