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L’urine comme cosmétique, l’upcycling poussé à bout !

> 27 mars 2024

L’urine comme cosmétique, l’upcycling poussé à bout !

L’urine est un liquide biologique, considéré comme un déchet. Un filtrat sanguin, qui permet de maintenir l’homéostasie de l’organisme et d’éliminer un certain nombre de métabolites qu’il convient d’évacuer. Déchet un mot qui revient deux fois en deux phrases. Un déchet qui est valorisé, actuellement, à travers le monde, par certaines personnes, qui pensent se maintenir en bonne santé ou de toute beauté, en l’utilisant par voie orale, comme boisson ou par voie locale sous la forme de cosmétiques peu coûteux et très efficaces pour conserver une belle peau. Ces gens sont dans l’erreur, une erreur antique, une erreur qui a la peau dure, une erreur qui est l’objet du Regard du jour ! Et forcément ce Regard partira du passé et arrivera de nos jours, pour décrypter cette mode ancienne, s’il en est !

Donne-moi ton urine, je te dirai comment tu vas !

L’uroscopie est une vieille tradition médicale, qui remonte à des périodes très anciennes. Des tablettes sumériennes (4000 ans avant J.-C.) font état de cet art, qui consiste à observer l’aspect des urines, afin d’en tirer des conclusions d’ordre diagnostic.

Cette urine a donc été, au fil des siècles, scrutée, afin d’en observer la couleur et l’aspect. Elle a également été goûtée, afin de détecter une saveur sucrée, par exemple ou bien, on l’a utilisée pour réaliser différentes expériences, visant à déceler, entre autres, une grossesse. Pour les Egyptiens, par exemple, l’urine de femme est capable de faire germer des graines. Le test de grossesse consiste donc alors à verser de l’urine et à regarder ce qui se passe… Pour les Chinois ou les Indiens, l’urine est laissée volontairement tomber sur le sol ; si les fourmis rappliquent en vitesse, c’est signe que l’urine est sucrée. Un diabète est ainsi mis en évidence !1 Primitif, pour le moins.

Donne-moi ton urine, je te ferai aller mieux ou plus beau

Cette urine, jugée saine (par les spécialistes du moment, du moins on peut l’espérer), a pu alors être utilisée à diverses fins ; certaines, aux confluents, entre cosmétique et médicament. Diodore de Sicile (90-27 av. J.-C.) présente l’urine comme un produit à usage bucco-dentaire, permettant de maintenir les dents en bon état. Une urine, obtenue à partir d’une femme vierge, qui permet au pharmacien de Cicéron de mettre au point un bain de bouche, qui agrémenté, de quelques baies, permet d’exercer un effet anesthésiant pour calmer des douleurs dentaires.

Alors, forcément, cette urine précieuse, à la fois produit de beauté et médicament, est récoltée, avec soin, par des préposés, qui passent de maison en maison, dans l’empire Romain, afin de récupérer cet or liquide.

Une urine, qui est obtenue également à partir des animaux et qui sert à la fabrication de masques de beauté à destination des belles Romaines. Dans ce cas, c’est l’urine d’âne qui est choisie préférentiellement.1

Une urine, obtenue toute chaude, à partir de vaches saines, qui donne naissance à ce que l’on a pu nommer à une certaine époque, de manière poétique, « l’eau de mille fleurs ».2,3 Une eau de mille fleurs, populaire à l’époque de Louis XV et définie, dans l’encyclopédie de Diderot et de d’Alembert, de manière plus brutale, sous le nom de « pissat de vache » !4 Ou comment aller droit au but !

En médecine ayurvédique, un prélèvement à la source

L’urine humaine, tout comme l’urine des animaux, est présentée, dans les textes ayurvédiques anciens, comme un médicament à ne pas négliger. Le Bhrigu Samhita fait mention des bénéfices que l’on peut tirer de l’urinoir. Pour rester en bonne santé, il est ainsi conseillé de recueillir, dans un récipient propre, de l’urine de milieu de jet. Cette urine, éliminée par un bout, doit être administrée par l’autre, afin de réaliser une autothérapie, qui permet de combattre les maladies et de rester en bonne santé, aussi bien physique que morale. On peut également raffiner le système, en utilisant l’urine comme un excipient et s’en servir comme véhicule pour des principes actifs végétaux.5 Un vrai raffinement !

En médecine, dans la Grèce, la Rome et l’Egypte antiques

L’urine, durant l’Antiquité, n’est pas considérée comme un déchet, mais, au contraire, comme un produit précieux, obtenu par filtration du sang. Une sorte de produit de distillation, qui renferme toutes sortes de molécules très utiles pour le soin du corps. Il est donc logique que ce produit précieux soit dénommé de manière élogieuse. « L’or du sang », « L’élixir de vie »… voilà qui sonne, tout de suite mieux, qu’urine !6

Dans son encyclopédie, Pline l’Ancien n’est pas avare de conseils basés sur l’utilisation d’urine et d’excréments de divers animaux. L’urine de sanglier traite l’épilepsie. Elle est mélangée à du vinaigre et à du miel, pour une meilleure observance. C’est l’urine de « taureau qui vient de saillir » qui est, quant à elle, incorporée dans un onguent, afin de mettre au point un cataplasme, à « appliquer sur le pubis », afin de combattre l’impuissance.7 On voit bien le genre !

En médecine gauloise, puis française

Les Gaulois se lavent les dents à l’urine. Une urine, qui fait partie de l’arsenal thérapeutique français ; la célèbre marquise de Sévigné y fait explicitement référence dans ses lettres envoyées à sa fille, puisqu’elle consomme l’essence d’urine, aussi bien par voie orale (8 gouttes pour lutter contre les « vapeurs »), que par voie topique (quelques gouttes mêlées à un onguent, afin de traiter des rhumatismes ou des maux de gorge). Précisons, que cette essence d’urine est obtenue en faisant fermenter de l’urine d’un garçon de 12 ans, sur du fumier, pendant 1 mois, puis, en distillant le produit ainsi obtenu.8 Que du bon goût !

En médecine africaine

La consommation d’urine de vache et d’urine humaine est une pratique ancienne en Afrique. On lui attribue, entre autres, des propriétés thérapeutiques dans les cas de convulsions chez les enfants en bas âge.9

Actuellement

Boire à la « fontaine d’or » a donc constitué, pendant longtemps, une thérapeutique bon marché, qui continue, toujours, à faire des émules, si l’on en croit toutes les références trouvées sur la toile actuellement. La fontaine d’or des médecins anciens n’est pas tarie. Et l’on trouve, encore de nos jours, des personnes qui boivent « l’eau de leur propre citerne », sans dégoût, aucun !10 Une pratique qui demeure vivace, aussi bien en Afrique, qu’en Europe. Certains mêmes crient au complot, en nous disant que l’on se garde bien de nous dire tous les bienfaits de ce liquide biologique, capable de réduire à néant toutes les économies, même les plus florissantes. Un remède, tellement puissant, un produit de beauté, tellement sain, qu’il en viendrait à ébranler toutes ces économies si la chose se savait !

L’urine, une composition complexe

L’urine, c’est au bas mot environ 3000 composants ! Des composants, qui peuvent être recherchés et permettre de diagnostiquer certaines pathologies. La fiole de verre transparente qui permettait, autrefois, d’observer l’urine et d’en déduire l’état de santé du patient, est remplacée par toute une batterie de tests permettant, effectivement (cette fois-ci) et scientifiquement d’établir un diagnostic.

Etablir la composition de l’urine n’est pas simple, puisque celle-ci varie en fonction des populations, du sexe, de l’alimentation, de la pratique d’un exercice physique…

On peut, toutefois, donner une composition assez simple, en précisant qu’il s’agit d’une solution aqueuse composée à 95 % d’eau. Des composés azotés, comme l’urée (2 %), la créatinine (0,1 %) et l’acide urique (0,03%), sont accompagnés d’éléments minéraux, comme les ions chlorure, sodium, potassium, sulfate, ammonium, phosphate. Le pH fait le grand écart, selon les individus, allant de 4,5 à 8,0. Le volume émis oscille, quant à lui, entre 0,8 à 2,0 L par jour.11

L’odeur déplaisante de l’urine est liée à la présence de molécules soufrées, comme le sulfure d’hydrogène ou le méthanethiol. Quelques aldéhydes (l'acétaldéhyde, le butylaldéhyde et l'isovaléraldéhyde) sont également associés aux mauvaises odeurs caractéristiques des protections hygiéniques utilisées en cas d’incontinence urinaire.12 La consommation de certains aliments (tel l’emblématique ail) est également à l’origine de métabolites odorants.13 On pensera aussi à l’asperge qui confère, à l’urine, une odeur particulière, liée à la présence d’acide asparagusique.14

A noter aussi la présence d’hormones sexuelles,15 ainsi que d’un certain nombre d’autres molécules comme le cortisol,16 par exemple.

Et puis, aussi des ingrédients cosmétiques comme les parabens17,18 ou les benzophénones19,20 ou des métabolites d’ingrédients cosmétiques21,22 ou encore des polluants environnementaux.23

L’urine, sources d’ingrédients actifs « modernes »

Dans le domaine thérapeutique, l’urine de juments gestantes est à l’origine de préparations médicamenteuses, destinées à traiter les symptômes de la ménopause. Premarin® des laboratoires Pfizer, par exemple, est une spécialité à base d’hormones extraites de cette urine.24 Cette spécialité est disponible aux Etats-Unis.

Dans le domaine cosmétique, on n’oublie pas que l’urée (élément retrouvé dans l’urine, mais obtenu désormais par synthèse)25 est un actif hydratant et exfoliant, très largement utilisé dans les produits du commerce.

L’urine, telle quelle, utilisée par voie orale, pour traiter des pathologies variées, nécessite un accompagnement médical,26 comme le prouve une publication anglaise de 2004, montrant que la relation dose-efficacité est sinusoïdale… Il s’agit donc de bien calculer la dose afin, de ne pas se retrouver dans le creux de la vague !

Les effets indésirables associés

Un cas de perforation de la cornée est rapporté chez une femme espagnole, pratiquant l’urinothérapie topique à l’aide d’un collyre à sa façon.27 On est donc très loin des recettes préconisées par Hérodote d’Halicarnasse, au Ve siècle avant J.-C. Celui-ci, en effet, pensait pouvoir traiter la cécité, à l’aide « d’urine d’une femme honnête » !28

On trouve, également, rapporté dans la littérature, le cas d’un adolescent de 16 ans, ayant été poussé, par sa mère, à pratiquer l’urinothérapie, en application topique, afin de traiter son acné. Le résultat obtenu n’étant pas brillant, cet adolescent avait alors consulté des dermatologues, qui ont montré les limites de l’obéissance… Un traitement classique, à base de rétinoïde entre autres, a permis à ce jeune de retrouver une peau saine et d’améliorer son état psychologique. En effet, le principe d’appliquer de l’urine sur sa peau le gênait visiblement.24 Comme quoi, il n’est pas toujours très bon de suivre à la lettre les conseils maternels !

Des effets indésirables, certainement sous-déclarés, du fait du caractère gênant de la pratique. Qui osera avouer à son médecin que ceci ou cela est arrivé suite à l’utilisation d’urine d’une manière topique ou par voie orale ?

L’urine cosmétique, oui ou non ?

Non, bien évidemment. Ne nous focalisons pas sur le fait que ce liquide biologique contient de l’urée. Il y a, autour de cette molécule, toutes sortes d’ingrédients peu sympathiques, auxquels il vaut mieux éviter de se frotter. Toutes les personnes qui frémissent en entendant parler de perturbateur endocrinien, de polluants environnementaux (et les autres aussi) auront soin de ne pas ingurgiter ou de mettre sur leur peau un produit que l’organisme s’est évertué à éliminer. Pas vraiment un up-cycling vertueux. Franchement, plutôt contre nature, même !

Bibliographie

1 Savica V, Ricciardi CA, Bellinghieri P, Duro G, Ricciardi B, Bellinghieri G. The historical relevance of urine and the future implications. G Ital Nefrol. 2018 Feb;35(Suppl 70):128-130

2 https://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_2013_num_100_377_22615_t14_0093_0000_1

3 https://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_1931_num_19_74_9923_t1_0130_0000_2

4 https://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_1999_num_87_323_4973#:~:text=Le%20roi%20Louis%20XV%20poss%C3%A9dait,de%20la%20bouse%20de%20vache

5 Vaidya ADB. Urine therapy in Ayurveda: Ancient insights to modern discoveries for cancer regression. J Ayurveda Integr Med. 2018 Jul-Sep;9(3):221-224

6 Savica V, Calò LA, Santoro D, Monardo P, Mallamace A, Bellinghieri G. Urine therapy through the centuries. J Nephrol. 2011 May-Jun;24 Suppl 17:S123-5

7 https://journals.openedition.org/pallas/23669

8 https://www.persee.fr/doc/pharm_0995-838x_1928_num_16_60_10552

9 Ogunshe AA, Fawole AO, Ajayi VA. Microbial evaluation and public health implications of urine as alternative therapy in clinical pediatric cases: health implication of urine therapy. Pan Afr Med J. 2010 May 25;5:12

10 Loeffler JM. The golden fountain--is urine the miracle drug no one told you about? Pan Afr Med J. 2010 May 25;5:13

11 Sarigul N, Korkmaz F, Kurultak İ. A New Artificial Urine Protocol to Better Imitate Human Urine. Sci Rep. 2019 Dec 27;9(1):20159

12 Mogilnicka I, Bogucki P, Ufnal M. Microbiota and Malodor-Etiology and Management. Int J Mol Sci. 2020 Apr 20;21(8):2886

13 Scheffler L, Sharapa C, Buettner A. Quantification of Volatile Metabolites Derived From Garlic (Allium sativum) in Human Urine. Front Nutr. 2019 Apr 16;6:43

14 L’asperge, du pot de chambre au pot de crème ! | Regard sur les cosmétiques (regard-sur-les-cosmetiques.fr)

15 Zong Y, Chen J, Hou J, Deng W, Liao X, Xiao Y. Hexafluoroisopropanol-alkyl carboxylic acid high-density supramolecular solvent based dispersive liquid-liquid microextraction of steroid sex hormones in human urine. J Chromatogr A. 2018 Dec 14;1580:12-21

16 Turpeinen U, Hämäläinen E. Determination of cortisol in serum, saliva and urine. Best Pract Res Clin Endocrinol Metab. 2013 Dec;27(6):795-801

17 Arfaeinia H, Ramavandi B, Yousefzadeh S, Dobaradaran S, Ziaei M, Rashidi N, Asadgol Z. Urinary level of un-metabolized parabens in women working in beauty salons. Environ Res. 2021 Sep;200:111771

18 Beltifa A, Machreki M, Ghorbel A, Belaid A, Smaoui E, Akrout FM, Di Bella G, Khdary NH, Reyns T, Mansour HB, Van Loco J. Human urine contamination with environmental pollutants: simultaneous determination using UPLC-MS/MS. J Water Health. 2019 Jun;17(3):371-379

19 DiNardo JC, Downs CA. Dermatological and environmental toxicological impact of the sunscreen ingredient oxybenzone/benzophenone-3. J Cosmet Dermatol. 2018 Feb;17(1):15-19

20 Couselo-Rodríguez C, González-Esteban PC, Diéguez Montes MP, Flórez Á. Environmental Impact of UV Filters. Actas Dermosifiliogr. 2022 Sep;113(8):792-803

21 Moradi M, Hopke P, Hadei M, Eslami A, Rastkari N, Naghdali Z, Kermani M, Emam B, Farhadi M, Shahsavani A. Exposure to BTEX in beauty salons: biomonitoring, urinary excretion, clinical symptoms, and health risk assessments. Environ Monit Assess. 2019 Apr 17;191(5):286

22 Arfaeinia H, Dobaradaran S, Mahmoodi M, Farjadfard S, Tahmasbizadeh M, Fazlzadeh M. Urinary profile of PAHs and related compounds in women working in beauty salons. Sci Total Environ. 2022 Dec 10;851(Pt 2):158281

23 Tkalec Ž, Runkel AA, Kosjek T, Horvat M, Heath E. Contaminants of emerging concern in urine: a review of analytical methods for determining diisocyanates, benzotriazoles, benzothiazoles, 4-methylbenzylidene camphor, isothiazolinones, fragrances, and non-phthalate plasticizers. Environ Sci Pollut Res Int. 2023 Sep;30(42):95106-95138

24 Totri CR, Matiz C, Krakowski AC. Kids These Days: Urine as a Home Remedy for Acne Vulgaris? J Clin Aesthet Dermatol. 2015 Oct;8(10):47-8

25 L’urée, histoire d’une molécule qui a plus d’un tour dans son sac ! | Regard sur les cosmétiques (regard-sur-les-cosmetiques.fr)

26 Wilson CW. The protective effect of auto-immune buccal urine therapy (AIBUT) against the Raynaud phenomenon. Med Hypotheses. 1984 Jan;13(1):99-107

27 Lacorzana J, Protsyk O, Morales P, Lucena Martin JA. Corneal perforation triggered by the use of urine therapy drops: Management with scleral and amniotic membrane grafts. J Fr Ophtalmol. 2021 May;44(5):e299-e301

28 https://www.persee.fr/doc/linly_0366-1326_1936_num_5_6_9156

 

 

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