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L’heure zéro, une poudre de riz accusatrice sur un veston taché de sang !

> 31 octobre 2020

L’heure zéro, une poudre de riz accusatrice sur un veston taché de sang !

L’heure zéro est l’histoire d’un meurtre machiavélique longuement et amoureusement préparé.1 Nevile Strange, un champion de tennis connu pour son fair-play légendaire, « un homme sans soucis, sans tracas », d’une trentaine d’années, a décidé de passer des vacances un peu étranges, entre son ancienne femme, Audrey, et sa toute jeune épouse, Kay. Le lieu de résidence n’est autre que la belle demeure de lady Camilla Tressilian, l’épouse de Matthew, le tuteur décédé de Nevile. Les vacances à « La Pointe-aux-mouettes » commencent plutôt bien d’un point de vue météorologique (des « chaleurs exceptionnelles ; « 25° à l’ombre »), mais virent rapidement au cauchemar tant la tension qui règne dans ces lieux est palpable. Il y a de l’orage dans l’air. Mary Aldin, la charmante dame de compagnie de Camilla, a beau faire de son mieux pour détendre l’atmosphère de la maison, rien n’y fait. Alors, lorsque l’on retrouve lady Tressilian, assassinée d’un coup de club de golf dans son lit, personne n’est vraiment surpris.

Du vernis à ongles sur les orteils de Kay (quel mauvais goût !) jusqu’aux traces de la poudre de riz d’Audrey sur le veston de Nevile (une preuve du crime à considérer ?), les cosmétiques se jouent du lecteur avec malice…

Mary Aldin, une parente pauvre à la beauté discrète

Mary Aldin, 36 ans, est une parente pauvre, qui joue le rôle de dame de compagnie chez sa parente Camilla. Cette perle domestique arrondit les angles et assure à toute la maisonnée une vie calme et paisible. Une grande mèche de cheveux blancs barre sa belle chevelure noire. Mary mérite mieux que de rester toute sa vie au service d’une personne impotente. Ah, si seulement elle pouvait faire un petit héritage !

Kay, une jeune épouse à la beauté vulgaire

Kay est une jeune femme de 23 ans, « remarquablement belle ». Des yeux noirs ombrés par une « frange épaisse » de longs cils et des cheveux brun roux à « sombres reflets dorés » constituent les points forts de cette beauté qui pourrait très bien se passer de cosmétiques tant la nature s’est montrée généreuse à son égard. Un grain de peau incomparable, « une peau si jolie qu’elle se maquillait à peine ». Kay a la fâcheuse habitude de se vernir les ongles de pieds ! Lady Tressilian, qui aime à couler des regards curieux le long de son « nez mince et de belle taille », l’a remarqué tout de suite. « Cette créature se peint les ongles des orteils. » Quelle horreur !

Audrey, une ancienne épouse à la beauté élégante

Audrey est aussi immatérielle que Kay vivante. Ses « cheveux blonds cendré », ses yeux gris, ses longs cils, sa réserve naturelle, font d’elle une « créature racée ». Son oreille, « petite et d’une roseur nacrée, comme translucide » est un vrai petit bijou.

Jane Barrett, la bonne de Camilla donnerait bien du tonique à cette petite Audray un peu fantomatique, pour lui donner un peu plus de peps ! Ce manque de peps n’est toutefois pas rédhibitoire aux yeux de Thomas Royde, son ami d’enfance. Cet amoureux transi, parti s’exiler en Malaisie, est revenu dare-dare auprès d’Audrey à l’annonce de son divorce. Son « visage tanné » et ses allures d’aventurier ne laissent pas les femmes indifférentes.

« Pâle, diaphane », Audrey renforce cet aspect de sa carnation naturelle en se poudrant le visage avec la poudre de riz «Primavera naturelle n°1 » ; tout l’opposé de Kay dont le teint parfaitement mat est un hymne vivant au soleil. Sur la plage, « Audrey, dans son maillot de bain blanc, avait l’air d’une délicate statuette d’ivoire » ; Kay, quant à elle, est allongée sur le ventre et offre son dos aux rayons du soleil. « Blanche-Neige et Rose-Rouge » n’ont qu’un seul point commun, Nevile !

Nevile Strange, un étrange tennisman un peu trop flegmatique

Nevile Strange collectionne les cheveux féminins sur son veston. Deux cheveux roux sur sa manche, six cheveux blonds sur « le col, à l’intérieur ». Des traces de poudre de riz qui laissent à penser qu’une femme à utiliser ce veston récemment ! Un peu de sang sur la manche… Tout semble accuser Nevile du meurtre sordide de Camilla, une femme de l’ancien temps qui aimait les situations matrimoniales claires et nettes.

Ted Latimer, un amoureux transi qui joue les lézards au soleil

Ted Latimer, l’ami intime de Kay, est venu lui aussi passer le mois de septembre à Saltcreek. Installé à l’hôtel « Le Balmoral », il est sans arrêt fourré à « La Pointe-aux-mouettes ». Ce « très bel homme de 25 ans » possède un « teint bronzé », des « cheveux noir de jais et de grands yeux sombres ». Ted et Kay partagent les mêmes goûts pour le rôtissage au soleil. « Ils s’étaient dorés côte à côte au soleil de Juan-les-Pins […] ». Deux lézards au soleil ! Quel dommage que Nevile se glisse entre ces deux êtres que tout rapproche !

Jane Barrett, une domestique constipée qui prend du séné

Pour perpétrer son crime, l’assassin a tenu à plonger, auparavant, Jane dans un sommeil profond. Rien ne doit déranger son crime… parfait. Du gardénal est donc ajouté à l’infusion de séné de Jane. Tous les soirs, Jane, un tantinet constipée, boit sa tasse de séné. Celle-ci est préparée dès le midi, en faisant tremper des feuilles de séné dans de l’eau. La tasse est laissée sans surveillance sur l’étagère de la salle de bain, à côté des « verres à dents, des brosses variées, des pots de crème, des flacons de sel, des bouteilles de lotion capillaire ».

Et un petit hommage à Hercule Poirot

L’inspecteur Battle, qui mène l’enquête aux côtés de son neveu Leach, a beaucoup d’admiration pour le détective belge. Alors que son neveu n’y voit qu’un « bonhomme rigolo », l’inspecteur y discerne un modèle (« rusé comme un singe vert et dangereux comme un léopard femelle »), une référence. En considérant les boules d’un pare-feu, l’une astiquée avec soin et l’autre pas, Battle se met dans les pas de son maître. Ce manque de symétrie cache quelque chose de louche !

Et aussi un suicidé (pas vraiment suicidé) qui vient en aide aux inspecteurs

En revenant sur les lieux de son suicide raté, MacWhirter va faire basculer la situation, en trouvant la preuve que le coupable n’est pas celui que l’on croit. Il y a du poisson pourri sur la plage, un chien qui s’y roule dedans, un bain forcé pour celui-ci dans la baignoire d’une chambre d’hôtel (« Il sentait le savon et on l’avait débarrassé du délicieux parfum dont il était imprégné auparavant.) ». Il y a un costume qui sent le poisson pourri laissé au pressing. Il y a comme qui dirait une odeur pas franche !

L’heure zéro, en bref

Dans ce roman, il semble que deux femmes se déchirent le cœur d’un homme, la blonde au teint pâle, un teint diaphane renforcé par l’usage d’une poudre de riz très claire, et la brune au teint mat, un teint acquis par de longues expositions au soleil. Alors la brune ou la blonde ? La blonde ou la brune ? Le problème est, en réalité, beaucoup plus complexe cela… et il faudra à l’inspecteur Battle beaucoup de finesse pour arriver à percer le secret d’un meurtre longuement prémédité.

Bibliographie

1 Christie A., L’heure zéro, Librairie des Champs-Elysées

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