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L’adieu aux armes, une histoire de coupe de cheveux qui tourne vinaigre !

> 04 juillet 2020

L’adieu aux armes, une histoire de coupe de cheveux qui tourne vinaigre !

L’adieu aux armes constitue le récit poignant qui met en scène un soldat américain, Frederic Henry, engagé dans l’armée italienne, durant la Première Guerre mondiale.1 Ce lieutenant (« tenente ») travaille aux côtés d’un chirurgien, nommé Rinaldi, qui l’a pris en affection, au point de le surnommer « bébé », à tout bout de champ. Blessé à la jambe droite au cours d’une sortie, Henry est envoyé dans un hôpital où il rencontre une jeune infirmière anglaise, Catherine Barkley. Après une opération, de la « mécanothérapie, des rayons ultra-violets dans une caisse à miroirs, des massages et des bains », Frederic est à nouveau bon pour le service... Et retour sur un front en plein déliquescence. Un petit tour et puis s’en vont... C’est la débandade ; des exécutions sommaires sont pratiquées sur le bord des routes pour l’exemple ! Frederic passe au travers. Ouf ! Grâce à un train qui sent le « métal graissé », il arrive à atteindre ce que les guides touristiques nomment la Perle du lac Majeur. A Stresa, à l’hôtel des Iles Borromées, courte parenthèse luxueuse pour Catherine et Frederic qui sont obligés de fuir en Suisse, à l’aide d’un bateau à voile de fortune. La voile, c’est tout simplement un parapluie largement déployé ! Aux pays des vaches violettes, la vie est paisible... enfin au début. Les chalets sont accueillants ; Frederic et Catherine ne vont pas tarder à être parents.

Cette histoire d’amour sur fond de guerre est une histoire très alcoolisée où l’on mâche des grains de café pour se faire bonne haleine, où l’on croise des coiffeurs inquiétants et des coiffeuses pas très professionnelles, où l’on se fait savonner la peau en douceur, où l’on joue à cache-cache dans une forêt de cheveux et où les chirurgiens de talent rêvent de publier leurs cas cliniques dans la revue The Lancet.

Une histoire d’alcool, évidemment

Faut pas oublier qu’on est chez Hemingway, tout de même. On ne manque donc jamais de ce précieux breuvage qui est consommé sous toutes ses formes et à tout moment.2 Strega, grappa, capri bianca, cognac, cinzano, chianti, xérès, vermouth, whisky-soda, champagne, bière... tout fait feu. Les bouteilles s’alignent sagement sous le lit du lieutenant dont la jambe a été criblée de projectiles. Une consommation tellement importante qu’elle engendre une jaunisse... qui pourrait bien mener tout droit au conseil de guerre. Il n’est pas bon en cette période de laisser penser que l’on s’est rendu malade afin de ne pas retourner au front !

Une histoire de grains de café

Afin de masquer une haleine chargée en alcool, Frederic se voit conseiller les grains de café à mâcher consciencieusement avant tout rendez-vous galant.

Une histoire d’hôpital

L’hôpital dans lequel est envoyé Frederic est caractérisé par des « odeurs fortes, des odeurs de produits chimiques » et de sang. Les médecins (pas moins de 3 !) tiennent conciliabule au-dessus de sa jambe et ne semblent ni optimistes, ni qualifiés. Ils souhaitent attendre 3 à 6 mois avant de tenter une quelconque opération. Frederic, exaspéré, fait alors appel à un autre chirurgien, un certain Dr Valentini, aux « moustaches toutes droites ». Celui-ci dégaine son bistouri, sans état d’âme... et sans attendre… et réussit parfaitement bien le défi.

Une histoire de coiffeur fou à lier

Dans son lit d’hôpital, il est possible d’être rasé. Il suffit de faire venir un coiffeur au pied de son lit. Celui qui s’occupe de Frederic semble fou à lier. Contrairement à ses collègues, il est muet comme une carpe et roule des yeux furibonds, à croire qu’il est prêt à trancher la gorge de son client. « Le coiffeur me savonna la figure et me rasa. Il était très digne et ne desserrait pas les dents. » Son rasoir coupe presque trop bien. Ce coiffeur étrange a confondu Frederic avec l’ennemi autrichien !

Une histoire d’infirmières

A l’hôpital américain de Milan, les infirmières se suivent et ne se ressemblent pas. Il y a les acariâtres, les dévouées, les aimantes... Ce ne sont pas « les infirmières à barbe des ambulances du front »... mais bien plutôt de vraies femmes franchement séduisantes.

Une histoire d’infirmière

Il y a les infirmières et il y a une infirmière, celle de cœur. Catherine Barkley est une Anglaise, « blonde, à peau ambrée et yeux gris ».

Une histoire de capillaire

Miss Barkley (Cat pour les intimes !) n’a pas eu de chance jusque-là en amour. Elle a perdu son fiancé dans cette sale guerre et voulu se faire couper les cheveux en signe de deuil, afin de « faire quelque chose pour lui. » Les cheveux de Catherine sont brillants et magnifiques ; Frederic aime « défaire » cette chevelure en enlevant les épingles qui maintiennent son chignon, une à une, jusqu’à ce que tout « dégringole ». Sous la masse abondante des cheveux, les amants sont littéralement enfouis, comme protégés des regards indiscrets « sous une tente ou derrière une cascade ». En Suisse, Catherine va se faire onduler les cheveux chez une coiffeuse ; Frederic, qui patiente en l’observant dans 3 miroirs, trouve le « spectacle excitant ». Le résultat n’est pourtant pas à la hauteur des espérances de Catherine qui aspire à une coupe courte, une coupe à la garçonne qui la fera ressembler à son chéri. « Pour ne faire qu’un ». La grossesse l’enlaidit. Catherine s’en excuse en permanence - elle a d’ailleurs une tendance à s’excuser de tout et pour tout - et se rêve « redevenue mince » et le cheveu frais coupé donnant « l’impression » à Frederic « d’avoir une jolie petite femme toute neuve. »

Une histoire de peau à peau

La peau de Catherine est aussi douce que les « touches d’un piano ». Celle de Frederic « comme du papier de verre » est « bien trop dure pour les touches de piano »... L’harmonie règne pourtant entre ces deux épidermes !

Une histoire de savon

Les infirmières, pleines de douceur, font retrouver toute leur dignité aux glorieux blessés, « avec une serviette, du savon et de l’eau chaude ».

Une histoire de publication dans The Lancet

Rinaldi est un chirurgien expérimenté qui aime à vanter ses mérites. N’a-t-il pas retiré victorieusement « 3 mètres d’intestin grêle » ? Un acte digne d’une publication dans une revue américaine renommée, créée en 1823, The Lancet.

Une histoire de cheval de course qui se teint le poil

L’adieu aux armes, c’est aussi une petite course de chevaux de temps en temps pour passer... le temps et un drôle de cheval dont on a teint le poil !

Ce roman d’Ernest Hemingway n’est pas un roman à l’eau de rose. On y boit sec, on y parle sec, on y meurt sec... Il y a cet accouchement qui n’avance pas. Un gros bébé de 5 kg qui épuise sa mère ; on apprend en même temps que Frederic que l’enfant est mort-né. Il y a aussi ces hémorragies qui se succèdent et qui auront raison de Catherine.

L’adieu aux armes, c'est pas seulement mettre l'arme à la bretelle, mais carrément au râtelier. Ernest avait compris que « tout était inutile » !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour l'illustration du jour !

Bibliographie

1 Hemingway E., L’adieu aux armes, Gallimard, 1948, 288 pages

2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/chez-hemingway-meme-la-lotion-capillaire-est-alcoolisee-1032/

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