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Joyeux maquillage pour un petit rat nommé Odette !

> 07 mars 2024

Joyeux maquillage pour un petit rat nommé Odette !

L’âge heureux, pour Odette Joyeux, se situe autour de 10 ans.1 C’est à cet âge, en effet, que la petite Odette, après un séjour au sanatorium, débute des cours de danse à l’Opéra de Paris, selon la volonté d’une maman, qui souhaite voir sa fille au sommet de la gloire. Pour y parvenir, les places sont chères, les pieds saignent, les petites filles transpirent à grosses gouttes. Mais… il y a la récompense, sur scène, lorsque le petit rat brûle les planches et côtoie les plus grands !

Première leçon de danse, des petites filles trop sophistiquées

La petite Odette découvre avec stupeur toute une horde de fillettes agitées. Quelle excitation ! « Elles paraissaient toutes endimanchées : cheveux trop frisés, robes excessives. L’une d’elles était fardée. »

Premiers pas sur scène, des petites filles savamment maquillées

Pour la première fois, Bernadette et Odette vont monter sur scène pour un vrai spectacle. Une « grande » est chargée de procéder à leur mise en beauté. Dans son « coffret », sont alignés des « boîtes, des crayons, des houppes », tout ce qu’il faut pour transformer les petites filles en charmants petits pages, couronnés de bleuets. C’est Bernadette qui passe d’abord entre les mains expertes de la grande. « Elle posait des taches rouges sur ses joues, étalait des flaques bleues sur ses paupières. Elle arquait ses sourcils ; elle la poudrait dans un petit nuage parfumé. » Bernadette est comme pétrifiée. Elle ne parle pas, pour une fois. Odette de même. Le trac sans doute ?

Deuxièmes pas sur scène, des petites filles affreusement maquillées

Dans la loge, Bernadette et Odette doivent désormais se maquiller elles-mêmes. « Nous nous sommes conseillées mutuellement, car pour la première fois nous devions nous maquiller sans secours. Nous avions chacune des fards différents. Nous nous sommes empressées de les échanger, de les mélanger. Notre maquillage devait laisser peu de doute sur nos habitudes de coquetterie. Le rouge, le noir, la poudre et le bleu », tout y passe pour un résultat… bariolé. La « grande », chargée de contrôler la séance d’auto-maquillage, n’en revient pas : « Mais vous êtes affreuses ! Laissez-moi vous arranger. »

Bernadette et Odette ne sont pas les seules à user des fards avec maladresse. La plupart des petits rats se « barbouillaient de fard devant les miroirs de leurs cases » !

Toujours des petits pas sur scène, une petite fille qui ne sait pas se maquiller en faune

Odette sera remplaçante dans un ballet qui manque de faunes. « Une perruque parée de deux cornes » est enfoncée sur sa tête. On lui commande : « Fais-toi une tête », sous-entendu de « faune » ! Sur leur peau, les autres petites filles ont dessiné tout un réseau de rides, simulant « une précoce vieillesse ». Un maquillage, jugé trop « artificiel » par Odette, qui improvise, en dessinant, sur son visage, « au crayon bleu deux longues moustaches tombantes ». Colère du régisseur : « Tu te fous de moi ou tu veux jouer les mandarins. ». Quelle idée d’innover un soir de première ! Un petit rat vient au secours d’Odette, en lui frottant les joues et en estompant les fameuses moustaches bleues. C’est « mieux comme ça », affirme-t-elle à une Odette mortifiée. La leçon du jour : « La prochaine fois, tu te maquilleras comme les autres. »

Des petits rats qui grandissent

Et mettent « du rouge sur leurs lèvres », comme des femmes ! « Un peu de rouge artificiel fardait leurs lèvres. » « Les franges et les cheveux sages avaient fait place à des ondulations. »

Et un bonus pour frais de maquillage

Du moins… de maquillage spécial. Lorsque le rôle interprété nécessite de se « barbouiller de noir », une compensation est offerte à l’apprentie-danseuse.

Et un bon mal de tête en sus

L’excitation, la chaleur, l’attente interminable en coulisse, donnent à Odette d’affreux maux de tête, traités, par ses compagnes, à l’aide de « compresses froides » sur le front, de « cachet d’aspirine, de sucre trempé d’alcool de menthe ». Les jeunes « infirmières » prennent leur rôle très au sérieux !

De santé fragile, la pauvre Odette est au régime « fortifiants, biftecks crus et hachés, huile de foie de morue » !

Et une soirée privée en plus

Mme D. emprunte parfois des petits rats pour des ballets privés qui ont lieu dans son vaste appartement. Cette femme élégante et richissime se déplace dans un halo de « parfum délicieux », un boa rose et noir autour du cou !

Et une Odette privée d’Opéra

Odette a désobéi ; elle a relevé le bas qui lui couvrait le visage (elle avait trop chaud la pôvre !), durant le ballet. (« Je figurais un des négrillons de la suite de la princesse. Un bas noir percé de trois trous remplaçait le maquillage. Deux yeux noirs, une bouche grenat. J’avais relevé mon bas qui me tenait chaud à la figure. »). Pour cette faute anodine, Odette est renvoyée. La honte totale !

Et une Odette sous protection

Mme D. (la femme au boa) a pris Odette en affection. Elle obtient ainsi pour sa protégée un petit rôle à l’Odéon. L’Oiseau bleu de Maeterlink permet à Odette de retrouver les planches avec bonheur. Elle y figure « une heure » et « un parfum », entre autres…

Et une cartomancienne bien sympathique

Odette va souvent voir une certaine Mme Rita, une cartomancienne qui prédit l’avenir à tout un peuple de femmes pleines d’interrogations. Des « femmes de chambre, des petites bourgeoises », « quelques jeunes femmes coquettes et parfumées, sans profession définie » !

L’âge heureux côté jardin, en bref

Pour faire plaisir à sa mère, Odette se met à la danse. Un métier difficile, qui arrache des larmes au corps et fait souffrir les pointes de pied. Dans cet univers, elle découvre, avec ravissement, des célébrités. Ida Rubinstein, Jean Cocteau, Marie Laurencin… et une certaine Mme D. qui veille à sa carrière. Chassée de l’opéra, Odette y revient, malgré tout, pour figurer dans « L’éventail de Jeanne » ! Le bel âge, en somme !

Bibliographie

1 Joyeux O., L’âge heureux côté jardin, bibliothèque verte, Hachette, 1975, 184 pages

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