Nos regards
Il a glissé chef...

> 21 mars 2020

Il a glissé chef...

Lorsque l’on découvre l’histoire d’Agamemnon, de Clytemnestre et d’Electre rapportée sur le mode burlesque,1 sous la plume de Jean Giraudoux, on ne peut s’empêcher de penser à la célèbre réplique de Pithivier dans l’inénarrable « La Septième Compagnie au clair de lune »... car effectivement tout se joue à une savonnette près et ça va déraper !

Agamemnon est le roi d’Argos ; il meurt bêtement dans sa piscine en revenant victorieusement de la guerre de Troie. C’était bien la peine ! C’est quand même trop bête de chuter et de tomber malencontreusement sur une épée qui a tué tant d’assaillants. « Il prit son bain après sa mort. A deux minutes près. Voilà la différence » dit une petite fille facétieuse engagée par Giraudoux pour faire du mauvais esprit.

Agamemnon a pour femme Clytemnestre, une veuve qui accuse le coup et vieillit mal semble-t-il. « La reine Clytemnestre a mauvais teint. Elle se met du rouge. Elle a mauvais teint parce qu’elle a mauvais sommeil. Elle a mauvais sommeil parce qu’elle a peur. [...] La reine Clytemnestre a mauvais teint. Elle se met du sang ! » Entre Clytemnestre et Electre, la haine est tenace, épaisse. La mère accuse la fille d’avoir entraîné la chute de son frère (les deux enfants étaient dans les bras de leur mère, l’un aurait poussé l’autre). Ah cette histoire de « poussé ou pas poussé »... La fille accuse la mère d’adultère (cette femme a le sourcil d’une femme qui « a eu un amant ») et de meurtre.

Agamemnon est le rival d’Egisthe. Celui-ci a mis la reine dans son lit pour prendre le pouvoir et décidé de donner Electre, la fille de Clytemnestre et d’Agamemnon à un jardinier, « aux ongles noirs », afin de s’en débarrasser. Le jardinier en question se défend d’ailleurs d’avoir des ongles sales ; pour préparer son mariage il a passé sa maison à la chaux et en a les « ongles lunés de blanc ».

Ajoutons à ces augustes personnages, Agathe et son mari, le Président. Agathe est visiblement mal mariée et souffre de sa condition féminine. « Je lui cire ses chaussures. Pourquoi ?... Je lui brosse ses pellicules. Pourquoi ?... Je lui filtre son café. Pourquoi ? » Lorsqu’il n’y a pas d’amour, pourquoi, en effet, réaliser toutes ses tâches rébarbatives ? Agathe n’est, malgré tout, pas femme à subir. Elle trompe son mari avec tout et tous... le bois du lit en olivier, la lumière qui pointe derrière les persiennes, l’eau du bain à température délicieuse (« quand mon pied touche l’eau du bain »).

Au final... et après bien des tergiversations, on apprend de source sûre qu’Agamemnon est tombé dans un piège « cosmétique » tendu par Clytemnestre. Celle-ci a fait savonner, par ses servantes, les dalles qui descendaient à la piscine afin de provoquer la chute du roi à la barbe impeccablement « bouclée ». Plus que les dalles Clytemnestre a savonné le « le seuil de la mort » d’Agamemnon. Reste à Egisthe à pratiquer le geste fatal ; le coup d’épée est si violent que le marbre en restera entaillé irrémédiablement.

Il ne faut pas hésiter à lire ou relire Jean Giraudoux pour découvrir ou redécouvrir la tragédie antique sous des couleurs bien différentes de celles qu’on lui applique habituellement.

Enfin, en cette période d’épidémie où les gestes barrières nous sont rappelés quotidiennement il est intéressant de voir à quel point le mendiant déjanté qui se promène dans la tragédie antique modernisée par Giraudoux était visionnaire. « J’éternue toujours trois fois quand la lune prend sa hauteur, et éternuer dans ses mains c’est prendre un risque incroyable ». Etonnant, non ?

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour cette "antique" illustration !

Bibliographie

1 Giraudoux J. Electre, Bernard Grasset, 179 pages

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