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Oedipe, Jocaste et Laïus recherche quatrième pour belote endiablée !

> 22 mars 2020

Oedipe, Jocaste et Laïus recherche quatrième pour belote endiablée !

Tic Tac Boum, à la fin de la partie j’explose, semble nous dire Jean Cocteau dans sa pièce La machine infernale.1 La bombe à retardement qui passe de main en main durant tout ce sinistre jeu attend son heure afin de pouvoir engendrer le maximum de dégâts.

Quelle que soit la façon dont Oedipe, Jocaste et Laïus vont battre et rebattre les cartes, la partie est fichue, irrémédiablement cuite. Réduit à la forme d’un fantôme apparaissant la nuit sur les remparts de Thèbes, Laïus lui-même ne parvient pas à se faire entendre de son épouse et à lui révéler l’horreur de la situation qui se prépare.

La situation est pourtant simple. Oedipe, le fils de Jocaste et de Laïus est maudit. Les oracles l’ont annoncé : il tuera son père, puis épousera sa mère. Afin de conjurer le sort, Jocaste prend le terrible parti de sacrifier ce fils en l’exposant ; attaché par les pieds à la branche d’un arbre, Oedipe est voué à une mort certaine, dévoré par les bêtes sauvages. Il est, heureusement ou malheureusement, sauvé par Polybe et Mérope, un couple sans enfant qui l’adopte.

Agé de 19 ans, et ayant connaissance de l’oracle maléfique, Oedipe fuit ses parents et arrive dans la ville de Thèbes ; la population y vit dans la terreur car le Sphinx sévit dans les alentours. Qui voit le Sphinx, voit son sang. Personne ne sait s’il s’agit d’une femme séduisante, d’une bête immonde ou d’un vieux vampire « avec une barbe et des moustaches ».

Le Sphinx dévore les jeunes hommes qui échouent à répondre à ses énigmes. Seul Oedipe va réussir à séduire la femme qui sommeille en lui ; celui-ci ou plutôt celle-ci confie au jeune homme la réponse à l’énigme posée... Oedipe a gagné la première manche.

En récompense, Oedipe se voit attribuer la main de la reine Jocaste, une reine âgée qui paraît toutefois beaucoup moins que son âge (seulement 29 à 30 ans !). Cette reine est une femme qui ne boude pas les cosmétiques, mais est boudée par son peuple qui ne l’apprécie guère. Elle raffole des parfums (sa « chambre embaume »), aime se maquiller et se parer. « Ils me détestent. Mes robes les agacent, mon accent les agace, mon noir aux yeux les agace, mon rouge aux lèvres les agace, ma vivacité les agace. » De près, le visage de Jocaste apparaît ridé par le temps. Ce visage fascine Oedipe qui en fait, toutefois, un peu trop pour convaincre la reine que son âge n’est pas un obstacle à son amour. « Un visage de jeune fille, c’est l’ennui d’une page blanche où mes yeux ne peuvent rien lire d’émouvant ; tandis que ton visage ! Il me faut les cicatrices, les tatouages du destin, une beauté qui sorte des tempêtes. Tu redoutes la patte d’oie, Jocaste ! Que vaudrait un regard, un sourire de petite oie, auprès de ta figure étonnante, sacrée ; giflée par le sort, marquée par le bourreau et tendre, tendre... » « Suis-je donc si vieille... si vieille », geint la pauvre femme qui a, pourtant, certainement, usé de bien des crèmes anti-âge pour effacer les outrages du temps.

Première fêlure lors de la nuit de noces. Jocaste découvre des cicatrices sur les pieds d’Oedipe... Accident de chasse ou traces anciennes d’une exposition ? Passons, personne n’y prend garde. Dommage...

Dix-sept ans passent. Des enfants naissent. L’annonce est faite de la mort de Polybe. Oedipe cache mal sa joie ; le sort est conjuré... il ne sera jamais l’assassin de son père. Oui, mais, en réalité, Oedipe n’est que le fils adoptif de Polybe et il a tué, il y a fort longtemps, par accident, un vieillard au carrefour de Delphes et de Daulie. Jocaste en comprenant ce qui s’est passé met fin à ses jours.

« J’ai tué celui qu’il ne fallait pas, j’ai épousé celle qu’il ne fallait pas. J’ai perpétué ce qu’il ne fallait pas. », ainsi s’achève la partie diabolique dans laquelle est engagé Oedipe.

Aux devinettes, Oedipe est le roi. Aux activités cosmétiques, Jocaste est la reine. Dès lors qu’il faut se déguiser en fantôme, Laïus est le roi. Chacun dans son genre est le meilleur, mais surtout ne les associez pas !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour l'illustration de ce trio... infernal !

Bibliographie

1 Cocteau J. La machine infernale, Le livre de poche, 1967

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