> 01 juin 2024
Le commissaire San Antonio est, cette fois, sur la piste du gang des kangourous, une équipe de malfaiteurs spécialisée dans « le trafic de documents ».1 Il va lui falloir mettre la main sur l’ampoule BZ 22, une ampoule qui contient un gaz, capable de désintégrer la matière. Une arme terrible, qui risque de faire basculer la guerre vers le camp qui entrera en sa possession. Avant d’apporter aux Alliés, en Angleterre, la fameuse ampoule, San Antonio va subir toute une série d’aventures, qui le mèneront bien souvent aux portes de la mort, mais également de… l’amour, tant notre brave commissaire possède un cœur d’artichaut ! De tentatives d’assassinat en baisers de cinéma, San Antonio surmonte toutes les embûches et atterrit à Trafalgar square, comme si de rien n’était. Trop fort ce commissaire !
L’incipit du roman Laissez tomber la fille est le suivant : « S’il existait un bovidé capable de me dire ce que je suis venu maquiller à Paris cet après-midi, je vous jure que je lui offrirais volontiers le premier étage des Galeries Lafayette. »
Pas de passage à tabac pour l’instant. Juste un bon coup de rasoir très nécessaire. San Antonio déprime… Sa barbe pousse « bleue » ! Pour se changer les idées, il décide de se raser et parle de lui à la troisième personne. « Alors j’ai rasé le cousin du négus et j’ai décidé de l’emmener promener. » Et puis, le voilà parti en goguette… vers la capitale !
Un sosie, qu’une bande de malfaiteurs tente de trucider. Echec à la première tentative. Succès à la seconde. Lors du premier attentat, c’est San Antonio qui dérouille. Lors du deuxième attentat, c’est le sosie (Louis Durand) qui y passe ! Et voilà les collègues du commissaire qui se mettent à pleurer à chaudes larmes et qui croient avoir la berlue lorsque San Antonio, en personne, vient reconnaître son cadavre ! C’est pas lui qu’est mort, c’est l’autre, bande de nazes !
Lorsque son collègue Vilent se met à lui dire qu’il n’y comprend rien dans cette histoire de sosie, San Antonio voit rouge. Et son collègue aussi… qui « pique un fard » !
Pas les cigarettes. Les filles « blondes platinées » !
Dans une rame de métro, le commissaire se fait tirer dans le ventre par un inconnu. Direction l’hosto… et prise en charge par une infirmière du tonnerre nommée… Gisèle Maudin. Une « môme sensationnelle », qui ne se farde que dans le civil et qui n’hésite pas à avoir des aventures avec ses patients.
Cette jolie infirmière utilise un rouge à lèvres au goût addictif. « Puisque nous sommes arrêtés, je l’embrasse. Son rouge à lèvres est juste à mon parfum préféré. Il a un petit goût de pâtisserie turque qui me plaît bigrement. »
Cette jolie infirmière va être kidnappée, afin de pouvoir faire pression sur le commissaire ! Elle passera de sales quarts d’heure, c’est certain !
Celle que l’on joue dans les petits bars. Et lorsqu’un saxophoniste se met à dialoguer avec la salle en morse… ([…] ce qu’il maquille, je vais vous le dire ; il s’amuse simplement à faire du morse ») San Antonio jubile. Il ne s’est pas trompé d’adresse !
Chez sa maman Félicie, San Antonio vient pour recharger ses batteries. Après une bonne nuit, due à « quatre comprimés » de gardénal, il fonce dans la salle de bain et ressort de l’eau « rose comme une côtelette de porc » !
Pour en arriver là, San Antonio s’est laissé séduire par une dénommée Florence, qui se nomme en réalité… Greta. Une blonde, avec « des cils de 34 centimètres » de long. Une femme sensuelle, qui dépose sur sa joue un baiser brûlant, plus efficace encore « qu’un cataplasme de farine de lin. » Un baiser que San Antonio aimerait bien voir se prolonger, dévier, se déplacer… sur la bouche, par exemple. « Je me souviens plus si votre rouge est à la groseille ou à la violette… » ? Un peu gros, comme technique d’approche !
Visiblement, Greta sait où est cachée l’ampoule BZ 22. Pour la faire parler, San Antonio n’y va par quatre chemins. Il se saisit de la paire de ciseaux qui se trouve dans le sac de la belle et menace de lui couper les cheveux au ras de la tête. « Tu as dû remarquer alors que tous les détenus, hommes ou femmes avaient les cheveux tondus ? Je vais te déguiser en détenue… ». Pas la peine, hurle Greta, qui se met illico à table.
Dans cette enquête complexe et touffue, on comprend, du moins, que la vie de San Antonio ne tient qu’à un fil. Toute une équipe s’est mise en devoir de le supprimer. Lui ou son sosie ! Un nain, en particulier, cherche à l’étrangler dans son sommeil. Un sommeil léger, qui sauve San Antonio, in extremis. Celui-ci se saisit d’un flacon d’eau de Cologne (il est sur l’étagère de son cosy), s’en gargarise et envoie un jet de parfum dans les yeux de son assaillant. San Antonio vient d’inventer le « lacrymogène » parfumé.
Evidemment, pour le commissaire, l’eau de Cologne ne rivalise pas avec le chambertin. L’idée n’est pas d’avaler le contenu du flacon, mais de s’en gargariser et de le « recracher dans les mirettes du gnome », qui a eu la mauvaise idée de s’attaquer à plus fort que lui !
Du coup, forcément, après cet épisode les baisers du commissaire sont estampillés « eau de Cologne » ! Et visiblement, c’est plutôt un succès !
Lors de son enquête, le commissaire va devoir côtoyer des milieux très variés. Dans l’escalier d’un immeuble modeste, il est ainsi accueilli par une odeur de « parfum de Prisunic ».
Le gars en question a « à peu près autant d’intelligence qu’un kilo de choucroute. Pendant que son cerveau met à assimiler les images inscrites sur sa rétine, nous aurions le temps de prendre un bain de pieds. »
Des gars résolus, qui mettent moins de temps à dégainer leurs armes que Gisèle à mettre du rouge à lèvres !
Comprendre un San Antonio n’est pas forcément toujours aussi simple que cela. Il y a des rebondissements, de l’action, des espions, des traitres. Tout cela à un rythme soutenu. Aussi, Frédéric Dard ne se prive-t-il pas d’invectiver un public un peu mou du cervelet. « Je ne suis pas curieux, mais je voudrais savoir si vous entravez quelque chose à ma façon d’agir ». Non, honnêtement, pas toujours. Et effectivement, il faut souvent prendre un comprimé contre le mal de tête, après une séance de lecture, tant tout s’embrouille dans notre tête !
« Y aurait jamais assez d’aspirine chez votre pharmago pour dissiper votre mal de tronche… »
Celui-là est un vieil instituteur à la retraite, peu versé dans l’hygiène. Il ne prend, en effet, qu’un bain de pieds par mois (« le premier samedi de chaque mois ») !
« Le passé c’est comme un mouchoir sale : je n’y fourre plus mon nez. » Voilà la devise du commissaire qui ne regarde jamais dans le rétro et préfère rêver d’un avenir « meû-meû » ! Il n’est pas du genre « mous-de-la-tronche qui pleurent de la vaseline en ruminant des souvenirs » ! Ceux-là sont « tout juste bons à balayer les waters » !
Quel embrouillamini. Il faut être surdiplômé pour arriver à résumer un San Antonio. Pour ceux qui n’en ont pas la capacité, on se propose juste de faire un reader’s digest cosmétique. Et rien qu’avec ça, on est servi ! Si on n’est pas aussi « amorphes qu’un morceau de boudin », on y prend plaisir à suivre ce San Antonio sans peur (mais pas forcément sans reproches), qui embrasse les filles aussi vite qu’il aligne ses ennemis. Sur ce, bon gargarisme !
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.
1 Dard F., San Antonio Tome 1, Laissez tomber la fille, Bouquins la collection, Paris, 2010, 1241 pages
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