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Graham Greene, de l’importance des odeurs

> 18 juillet 2020

Graham Greene, de l’importance des odeurs

Graham Greene est doublement Greene, par son père d’une part, par sa mère d’autre part. Né à Berckhamsted en Angleterre, l’écrivain est très tôt sujet à l’ennui et à la dépression. Pour éviter de retourner à l’école, il tente de se taillader la jambe ; il essaie également différents moyens chimiques (hyposulfite, flacon de gouttes contre le rhume des foins, touffe de belladone, comprimés d’aspirine). Plus tard, l’ennui et la quête de Dieu lui feront tenter sa chance à la roulette russe. Très jeune, Greene se jette dans l’écriture ; à 16 ans, il rédige une pièce en l’honneur du thé, le « repas le plus esthétique de tous », avec « sa théière en argent, le haut présentoir à gâteaux à plusieurs plateaux » et ses déferlantes de cakes, scones, sandwichs... L’odeur de concombre vient titiller les narines des lecteurs qui s’installent à la table de l’écrivain. Après le thé, viendra la bière... en excès. Une psychanalyse... Une conversion au catholicisme afin de se marier avec Vivien. Des difficultés à trouver un emploi, à se faire publier... L’écrivain revient dans son autobiographie, Une sorte de vie,1 sur les moments forts de son existence. Les souvenirs olfactifs restent bien présents ; l’enfant d’autrefois a fait place à un sexagénaire ; pourtant, le parfum de l’eau de Cologne, de l’aubépine, du savon ou de la sueur continue à émouvoir celui qui se fie plus à son odorat qu’à tout autre de ses sens.

Souvenirs de Maman

A sa mère sont associés une odeur d’eau de Cologne et une saveur particulière. Des « biscuits de froment à la saveur pâle, pure et non sucrée » étaient conservés soigneusement dans une boîte en fer pour sa consommation personnelle. Graham y avait droit, quelquefois, « trempé dans du lait ».

Souvenirs de Nanny

Nanny est la vieille nourrice qui s’occupe de Graham. L’écrivain la revoit parfaitement « penchée » sur son bain, « cheveux blancs roulés en chignon, éponge à la main ».

Souvenirs du cousin Tututt

Avec son cousin, Graham partage de bons moments, à discuter de l’avenir, en consommant de « longs cylindres blancs, plus minces qu’aucune cigarette, et fourrés d’une pâte chocolatée de couleur très nourrie. » Bien des années plus tard, Graham se souvient parfaitement de l’impression ressentie lors de ces goûters improvisés ; ces cigarettes en chocolat ont tout simplement le « goût de l’espoir ».

Souvenirs de dortoir et de vestiaire

A 13 ans, Graham est malheureux dans le dortoir Saint Jean. Pensionnaire, le jeune garçon a du mal à se faire à l’odeur de « sueur et de vêtements rassis ».

Souvenirs d’école buissonnière

L’école buissonnière est pratiquée par Graham dans les règles de l’art, au creux d’un buisson d’aubépines. Soixante ans plus tard, l’odeur de cette cachette est restée gravée dans le cœur de celui qui, petit garçon, dévorait les livres en pleine nature, plutôt que de suivre les cours de manière conventionnelle. « Les odeurs ont pour moi un pouvoir infiniment plus évocateur que les sons et peut-être même que les choses vues, si bien que, sans que j’en ai conscience, l’odeur d’une encaustique ou d’un détergent peut exercer sur moi un véritable attrait, au point de me manquer un jour où j’ouvre la porte - et alors j’ai l’impression de ne plus être chez moi. »

Souvenirs de petits-déjeuners

Les petits-déjeuners ont laissé dans la mémoire de Graham des traces contrastées. Il y a, d’une part, les petits-déjeuners peu appréciés qui sentent mauvais, une odeur semblable à celle retrouvée chez un marchand de grain, une odeur qui peut également rappeler celle de la sueur des porteurs africains du Libéria, en 1935. Cette odeur, étonnamment, est une odeur sécurisante et aimée, puisqu’elle rappelle les nuits où tous dormaient en cercle pour se rassurer face au danger. Il y a également les petits-déjeuners au lit, apportés par une « femme de chambre en petit bonnet amidonné ». On peut penser dans ce cas-là que les odeurs associées sont plutôt celles du savon et du linge propre qui vient d’être repassé.

Souvenirs d’un questionnaire et d’un assortiment de tubes de peinture

A 7 ans, Graham répond à un questionnaire de la Gazette de l’école et remporte le second prix. A la question, « Quelles sont les qualités que vous admirez le plus chez l’homme ? », il a répondu « La beauté ». « Chez la femme ? La propreté ». A cette époque, il porte sur les filles un regard plein de « dédain ». La qualité de ses réponses lui a valu un assortiment de tubes de peinture.

Souvenirs d’un gant parfumé

En 1924, le gant parfumé de la « très jolie comtesse von Bernstorff » est conservé précieusement dans la boîte à souvenirs destinée à collecter les trophées féminins.

Approchez le nez des Mémoires de Graham Greene... Ceux-ci dégagent des odeurs variées. De l’eau de Cologne maternelle qui vous enveloppe tendrement au premier chapitre, à l’odeur voluptueuse d’opium qui vous saisit à la dernière page (« L’odeur de l’opium est plus agréable que celle du succès »), les parfums découpent les tranches de vie d’un écrivain qui se retourne sur le chemin de son passé et y recueille pieusement tous les souvenirs olfactifs qui y ont laissé une trace.

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour ton illustration du jour !

Bibliographie

1 Greene G. Une sorte de vie, Laffont Ed., 1975, 219 pages

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