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Angelina del Dongo, celle qui met le feu aux poudres !

> 19 juillet 2020

Angelina del Dongo, celle qui met le feu aux poudres !

L’histoire de La chartreuse de Parme,1 c’est l’histoire d’un formidable gâchis, sur fond politique trouble. En ce début de XIXe siècle, l’Italie passe, alternativement, aux mains des Autrichiens et des Français, créant des conflits au sein même des familles. Le marquis del Dongo, pro-autrichien et sa femme pro-française - en particulier côté cœur, on pensera tout spécialement au charmant lieutenant Robert - ne cessent de se déchirer. Une tante qui aime trop son neveu, trop et mal. Un neveu qui aime toutes les femmes un peu jolies, un peu sémillantes, mais qui ne sait pas ce que c’est « qu’aimer d’amour », tout en acceptant d’endosser l’habit ecclésiastique... Tous les ingrédients sont réunis pour faire « boum » avant que l’on ne referme ce livre.

Gina, une réelle aversion pour la poudre

Angelina - Cornelia - Isola Valserra del Dongo, dite Gina, est « jeune, brillante, légère comme un oiseau ». Elle ressemble aux Hérodiade de Léonard de Vinci. Le marquis del Dongo, son frère, est un être ignoble ; il a l’outrecuidance de vouloir marier sa jeune sœur à un « personnage fort riche », portant de la poudre sur ses cheveux. Risible. Gina plante là son frangin et court se réfugier dans les bras du comte Pietranera. La poudre, Gina en a jusque-là ! Il va, pourtant bien falloir s’y faire car, lorsque l’on est veuve et sans le sou, il faut parfois faire contre mauvaise fortune bon cœur.

En venant s’installer au château de Grianta, la jeune veuve d’à peine 30 ans (Pietranera n’a pas fait long feu) retrouve un « cœur de 16 ans », qui se met à battre la chamade. Découvrant son frère et ses laquais portant de la poudre, elle en fait son « grand sujet de plaisanteries ». Pour elle, poudre rime avec « les ennuyants bien pensants ».

Lorsqu’Ascagne, l’aîné de ses neveux, se mêle à la compagnie des dames pour les espionner au compte de son père, Gina s’amuse à le décourager en jetant « de l’eau sur ses cheveux poudrés et » en inventant « tous les jours quelque nouvelle niche à lancer à sa gravité ». On comprendra, dans ces conditions, qu’Ascagne se mue rapidement en un ennemi mortel et ce d’autant plus que Tata Gina marque un penchant très visible pour le cadet, Fabrice ! Gina Pietranera en a vraiment marre de toutes « ces figures poudrées ».

Elle n’est pourtant pas au bout de ses peines en matière de cosmétiques capillaires. Le comte Mosca della Rovere Sorezana, ministre du prince Ernest IV, qui lui fait la cour a la curieuse manie lui aussi de s’enfariner la tête pour complaire à son maître. « Pourquoi donc, comte, portez-vous de la poudre ? lui dit Mme Pietranera la troisième fois qu’elle le voyait. De la poudre ! un homme comme vous, aimable, encore jeune et qui a fait la guerre en Espagne avec nous ! » Tout simplement, pour obéir à un prince qui ne conçoit pas un monde non amidonné. Au contact de Gina, le comte, qui a le double de son âge, maudit ses cheveux poudrés et s’étonne de retrouver des émois d’adolescent (« Quoi ! timide avec des cheveux couverts de poudre, et qui sans le secours de la poudre paraîtraient gris ! »). Qu’importe, avec ou sans poudre, le comte Mosca est un allié de choix qui se propose d’élever aux plus hautes places la tante et le neveu. Car oui, le comte l’a bien compris Gina et Fabrice c’est un pack à prendre tel quel ou à laisser ! Gina oublie la poudre « symbole de tout ce qui est lent et triste » et ne s’attache pas à ce « détail sans conséquence »... le comte Mosca en vaut la peine.

Afin d’avoir les coudées franches, le comte Mosca va marier sa belle maîtresse au duc Sanseverina-Taxis, un vieillard riche et désireux de décrocher une ambassade. Cet imbécile, qui fait venir « ses habits et ses perruques de Paris », assurera un paravent de choix.

Au fil des années et en constatant que Fabrice ne partage pas son amour, Gina va se flétrir. Vers la fin de sa vie, elle continue à séduire les puissants, mais a désormais besoin de l’aide des cosmétiques. « Avec du rouge et tous les secours que l’art fournit aux actrices, elle était encore la plus jolie femme de la cour. »

Fabrice, un réel goût pour la poudre

Elevé dans le culte de Napoléon, Fabrice ne se soucie guère de poudrer ses cheveux. La poudre... il en rêve, bien sûr, mais il ne s’agit pas de celle qui est distribuée généreusement sur les perruques paternelles ; il s’agit de la poudre destinée à bourrer la gueule des canons. Un petit tour à Waterloo, une légère blessure en passant, une saignée salutaire et un retour, à Grianta, dans les jupes de ces dames. Retour qui se fait, bien entendu, de nuit, « à l’heure où son père et tous les valets de chambre portant de la poudre étaient couchés depuis longtemps. » Cela n’empêche pas Ascagne de dénoncer son frère et de propulser celui-ci dans une série d’errances sans fin. Fabrice, que l’on peut comparer à un diamant brut, va multiplier les aventures féminines et se muer en un « diamant poli ». Tour à tour, d’une grande piété auprès de Monseigneur Landriani ou amoureux de la petite actrice Marietta, de la cantatrice la Fausta ou de la fille du gouverneur de la citadelle de Parme Clélia Conti, Fabrice hésite sans cesse entre des vocations bien différentes. En se battant contre Giletti, le protecteur de Marietta, Fabrice bascule du mauvais côté. Blessé à la joue - on lui conseille le recours à des sangsues pour traiter le mal - Fabrice prend la fuite et commence une vie de réprouvé. Il finira par être arrêté, puis par s’évader, puis par être acquitté, puis par devenir un prêcheur extraordinaire (ses prêches ont « un parfum de tristesse profonde ») qui remplit les églises de paroissiennes frémissantes (Anetta Marini est l’une d’elles), puis par découvrir le sentiment de paternité, puis par aller se cacher dans une chartreuse... la chartreuse de Parme.

Clélia Conti, un discret parfum poudré ?

Après bien des péripéties, Fabrice est arrêté et incarcéré dans la citadelle de Parme. Clélia Conti, la fille du gouverneur, une jeune fille d’une beauté céleste aux cheveux blond cendré et au teint pâle, va agrémenter au mieux la vie du prisonnier. Un charmant dialogue s’initie de la fenêtre de l’un à la volière de l’autre. Tout irait comme sur des roulettes si la rusée Gina ne venait pas lancer du sable dans les rouages. Ne voilà-t-il pas que cette grande amoureuse a eu vent des amours illicites et qu’elle est bien décidée à y mettre fin. Une évasion est organisée. Le gouverneur est mis KO avec une dose un peu forte de laudanum... Quelle idée néfaste ! Clélia promet de ne plus revoir Fabrice si son père guérit de cet empoisonnement. Et c’est évidemment ce qui se passe. La belle Clélia n’a plus qu’à se marier avec le marquis Crescenzi, le prétendant voulu par son père. Et voilà nos deux tourtereaux séparés pour longtemps. Fabrice n’est sans doute pas près de sentir de si tôt le « parfum très faible » (un parfum poudré ?) que Clélia « mettait dans ses robes ». Et bien si, tout de même... Il existe une solution au casse-tête amoureux. Clélia a promis de ne pas revoir son amant ; elle peut donc recevoir son amour dans une douce obscurité. C’est de cet arrangement que naîtra Sandrino !

Anetta Marini, de la poudre aux yeux !

Anetta Marini est la dernière conquête de Fabrice. Cette jeune fille, dont les « yeux semblaient faire la conversation avec les choses qu’ils regardaient », va déclencher chez Clélia une crise de jalousie qui va permettre aux deux amants de se retrouver après des mois de bouderies. Si Anetta s’imaginait jeter de la poudre aux yeux de Fabrice, c’est donc plutôt raté !

Le prince Ranuce-Ernest, un prince « sans poudre »... mais pas sans reproche

Ce prince qui aime la minéralogie est assez falot. Physiquement, il est de grande taille et arbore des cheveux, moustaches et favoris d’un « beau blond » selon les courtisans, de couleur « filasse » pour les autres. Contrairement à son père, le prince Ernest IV, Ernest V a laissé la poudre au vestiaire. Ce prince sans consistance va se laisser guider par ses conseillers. Pas de quoi vraiment pavoiser !

La marquise Balbi, comme une envie de poudre d’escampette !

A 25 ans, ce second rôle, qui ne fait que passer dans le roman, a la « peau parsemée d’un nombre infini de petites rides fines ». Sa maigreur est « extraordinaire », au point que les mauvaises langues disent d’elle qu’elle laisse « la marque d’une pincette sur le coussin des bergères après s’y être assise un instant ».

La chartreuse de Parme, en deux mots

L’histoire de Fabrice del Dongo, c’est l’histoire d’un homme qui pratique le péché de « simonie » (péché qui consiste à « se procurer par de l’argent les dignités ecclésiastiques ») sans le savoir, en écoutant trop souvent la voix du diable qui prend les traits envoûtants de sa tante Gina. A son contact, même les femmes les plus pures - c’est le cas en particulier de Clélia - perdent les pédales ! Au final, un gâchis sans pareil et un véritable feu d’artifices poudré à souhait.

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour !

Bibliographie

1 Stendhal, La chartreuse de Parme, Librairie générale française, 1972, 554 pages

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