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Eloge de la propreté et de la toilette soignée !

> 28 décembre 2019

Eloge de la propreté et de la toilette soignée !

Aldous Huxley n’est pas un voyageur ordinaire.1 Loin d’être béat devant des cultures étrangères, il s’étonne, critique, met son grain de sel... L’un est sale, l’autre laide ! Le Taj-Mahal est un bâtiment bien ordinaire... les voyages à dos d’éléphant particulièrement inconfortables. Sur son passage, de pauvres gens en récoltent les excréments. Coup de blues ! A croire qu’ils ont été mis sur terre pour se charger de cette mission particulière. « Est-ce pour aller à la recherche du fumier - bouse de vache, crottin de cheval, excréments énormes et princiers des éléphants » que ces Hommes ont été mis sur terre ? Pour s’endormir, Aldous comptent les hommes enturbannés... les turbans sont de toutes les tailles et de toutes les couleurs. Il est parfois saisi d’accents proustiens... en particulier lorsqu’il déguste un café à base de chicoré qui le catapulte illico en France. « La France entière d’un seul coup, et à travers vingt ans de son histoire. »

Ce qui frappe Aldous, lors de son arrivée en Inde, c’est le sentiment de supériorité des blancs par rapport aux autochtones. « La supériorité aux Indes est affaire d’épiderme. »

Dans les journaux indiens pourtant, comme dans les journaux anglais, l’œil est attiré par des publicités vantant les mérites de cosmétiques miracles. « L’huile d’amandes parfumée du Dr... La meilleure préparation capillaire pour travailleurs intellectuels. L’effet de l’huile d’amandes sur le cerveau est universellement connu. »

A Bombay, des dames Parsis, fort laides, se protègent du soleil à l’aide de parapluies noirs. Le ciel est rempli de milans et de corbeaux. Rien de très gai à l’horizon ! Heureusement, il y a le parfum qui emplit la chambre d’hôtel, un parfum magique qui provient des tubéreuses et des « champaks » qui forment les guirlandes de fleurs que l’on accroche autour du cou des touristes qui débarquent dans la ville. Ce n’est pas l’odeur « douceâtre », la « caricature malsaine d’un parfum » qu’Aldous sent parfois lorsque l’on réalise la combustion d’une « saleté exotique ». Cette odeur spéciale intrigue autant ses sens que sa mémoire. Impossible de savoir quel souvenir précis est lié à cette odeur maléfique. Sur l’Irraovaddy, c’est le « parfum frais et délicieux provenant des fleurs de tabac » qui ravit le globe-trotter.

A Srinagar, Aldous peste contre la « saleté congénitale des Kashmiriens ». Alors que dans le jardin une eau très pure coule d’un robinet, tous les domestiques de la maison réalisent leurs ablutions dans un petit bassin d’une propreté douteuse. Le lavage des mains, des pieds, de la figure, le rinçage de la bouche, la douche du nez... tout finit dans le charmant bassin et l’on termine sa toilette, en buvant la bonne eau... du bassin !

Dans le train en direction de Campbellpur, Aldous à court d’argent, se retrouve en seconde classe. Il y rencontre une sorte de saint local, « un auguste personnage », « en robe jaune » et « bonnet à oreilles » sur la tête. Le saint en question est vénéré par une foule de fidèles qui s’empressent à ses pieds, implorant une bénédiction. Le saint est sale et exhale « l’âcre puanteur des vêtements trop longtemps portés ». A croire que ce saint anonyme a lu Tolstoï... « Etre trop propre est un signe de classe ». Seuls les riches ont le temps et les moyens de se laver et de changer de linge au moment opportun. Le travailleur qui exerce un métier physique et ne dispose ni de salle de bains ni de dressing bien garni « se doit de puer ». C’est le minimum ! Si « travailler c’est prier », « travailler c’est aussi puer. Par conséquent, prier c’est puer ». Syllogisme huxleyen ! Notre saint homme est donc parfaitement en phase avec la pensée tolstoïenne. Il n’en est pas de même de notre guide Aldous et ce d’autant plus qu’il voyage en seconde classe. Dans l’air empuanti du compartiment, il est difficile de philosopher. « On peut avoir de solides principes humanitaires et démocratiques ; mais si on est habitué depuis l’enfance à prendre des bains, à changer de chemise, à aimer l’air pur, on aura à vaincre une certaine répugnance physique avant de mettre les principes en action [...] ». Décidément, l’esprit est fort, mais la chair est faible ! Afin de mettre tout le monde à l’aise, il ne reste plus que deux solutions : « puer tous ensemble » ou bien embaumer tous ensemble ... Aldous aimerait que cette deuxième option soit partagée par tous. A défaut d’y réussir et en constatant que le saint qui empeste le compartiment rote et crache à qui mieux mieux, Aldous choisit la fuite et passe en première classe.

A Bikaner, dans les riches palais des ploutocrates, on se croirait dans un bazar à deux sous. C’est un bric-à-brac d’objets inutiles et vulgaires. « Une poupée de porcelaine, vêtue à la mode parisienne de 1900, précieusement mise sous globe, [qui] portait une houppette à son nez et de son nez à sa boîte de poudre » attire l’œil du visiteur.

Au lac de Pushkar, la purification des pèlerins se fait au milieu des crocodiles, sous un « voile d’écume verte et brillante ». Rien de très engageant. Sur le Gange, les jours d’éclipse sont des jours sacrés. Des millions de pèlerins affluent, se lavent, se gargarisent, se mouchent, crachent, boivent l’eau du fleuve... La baignade est réglementée par les forces de l’ordre qui craignent la formation de bouchons, comme sur les autoroutes la veille des vacances.

A Calcutta, Aldous visite le laboratoire de Sir JC Bose, un chercheur qui s’intéresse de près aux mécanismes de la croissance végétale. A l’aide d’un instrument particulier, il enregistre « les battements de cœur » des plantes. « Les âmes sensibles qu’une visite aux abattoirs a converties au végétarisme, feront bien de ne pas approcher de l’institut Bose si elles ne veulent pas voir leurs menus s’appauvrir encore. » Bose offre, en effet, à voir l’agonie de belles plantes, provoquée par des poisons plus ou moins violents.

Entre Penang et Singapour, Aldous roule au milieu des plantations de caoutchouc. « Nous roulâmes littéralement à travers des centaines de kilomètres de Dunlop potentiels, de balles de golf, de futures bouillottes. »

A Shanghai, le temps n’a pas de prise sur les choses. Tout semble figé. Les pharmacies regorgent de « bocaux pleins de lézards desséchés, de moustaches de tigres, de cornes de rhinocéros et de salamandres confites », comme aux temps immémoriaux.

A Kyoto, tout semble factice. Les kimonos en soie ont des allures synthétiques ; les ivoires se confondent avec le celluloïd. Heureusement, il y a les geishas, leurs gestes lents, leurs « visages fardés »... Le Japon est là, tout entier, pittoresque durant la cérémonie du thé ou la « danse des cerises ».

A San Francisco, Aldous est aux prises avec des journalistes qui, à défaut de retoucher ses photos, retouchent ses propos !

Hollywood lui ouvre ses portes. Une starlette qui se poudre le nez est en plein tournage.

Puis, c’est Los Angeles et les flappers, ces jeunes filles qui ont sacrifié leur chevelure dans les mains du coiffeur. « Potelées à ravir », ne cachant pas leur joie de se « peindre les joues » et « d’exposer des mollets et une ligne désirables », ces jeunes filles prennent du bon temps.

La fin du voyage ramène Aldous à Londres. Le monde n’est peut-être pas aussi propre qu’il le souhaiterait, mais il a le mérite d’exister. Après nous en avoir montré les limites, notre guide nous encourage à ouvrir les yeux et à partir à la découverte de ce « monde merveilleux ». Il nous conseille également vivement de réaliser une toilette soignée. « Personne ne s’imagine entrer en communication directe avec la divinité quand il fait sa gymnastique suédoise ou se lave les dents. Si nous prenons l’habitude de Muller et du Pepsodent, c’est parce qu’ils nous tiennent en forme. » Lorsque l’on pose nos bagages, après ce tour du monde, on est délesté de certaines « convictions », mais riche d’expériences. Ce dont on est sûr du moins c’est qu’un monde sans savon, sans shampooing, sans dentifrice, sans déodorant... est un monde qui ne facilite ni la concorde, ni les échanges paisibles entre peuples !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien pour cette version d'Aldous Huxley... dite "au savon de Marseille" !

Merci également à François-Régis qui nous a conseillé, à juste de titre, de lire cet ouvrage, si plein de références cosmétiques !

Bibliographie

1 Huxley A. Tour du monde d’un sceptique, Petite biblio Payot voyageurs, 2005, 284 pages

 

 

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