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Cosmétiques, passez votre chemin, semble nous dire Kafka !

> 29 décembre 2019

Cosmétiques, passez votre chemin, semble nous dire Kafka !

On ne peut pas dire que Grégoire et Grete Samsa soient des personnages particulièrement sensibles aux cosmétiques.1 Il faut préciser, toutefois, que ce n’est pas tout le monde qui se transforme en insecte, la nuit.

Alors que Grégoire subvient aux besoins d’une famille qui vit consciencieusement à ses crochets suite à la faillite qui a frappé le commerce paternel - Grégoire est représentant en articles de confection - un événement peu banal se produit. Grégoire se réveille un matin dans une carapace et non plus dans sa peau. Ses multiples petites pattes s’agitent en tous sens, sans lui laisser la possibilité de se mouvoir à son aise. Bien qu’étant animal par le corps, Grégoire reste parfaitement humain par l’esprit.

Ce coup du sort réveille la famille de sa léthargie ; le père qui se laissait aller retrouve un travail d’employé de banque et endosse désormais chaque matin un splendide uniforme. Ses cheveux blancs, laissés jusque-là à l’abandon, sont désormais soigneusement peignés.

Petit à petit, Grégoire va devenir l’objet de la haine de son père. Celui-ci n’hésitera pas, lors d’une crise de colère, à le bombarder de pommes. L’une d’elles, en se fichant dans sa carapace, engendrera une douleur horrible pendant plus d’un mois.

Grégoire, une fois métamorphosé, perd l’appétit et devient de plus en plus myope. Sa chambre se transforme, au fil du temps, en un véritable débarras - il est indispensable de vider certaines pièces du logement pour faire de la place à trois locataires, « des hommes sérieux qui portaient toute leur barbe » - puis en dépotoir où l’on stocke la poubelle et les cendriers. Grégoire « était tout couvert de poussière, de bouts de fil, de cheveux, de restes de mangeaille qui se collaient sur son dos ou sur ses pattes et qu’il traînait partout avec lui [...] ». Alors qu’au début de sa métamorphose il s’obligeait à se nettoyer « plusieurs fois par jour », « en se frottant sur le tapis », le découragement s'empare de lui et il ne se force plus à respecter les règles d’hygiène les plus élémentaires. On sent que la fin est proche !

La mort de Grégoire est un soulagement pour l’ensemble des membres de la famille Samsa. Grete est de plus en plus épanouie et ce malgré les cosmétiques employés à tort et à travers. « En regardant parler leur fille qui s’animait de plus en plus, M. et Mme Samsa remarquèrent presque en même temps que Grete, malgré les crèmes de beauté qui lui avaient fait les joues pâles, s’était considérablement épanouie dans les derniers mois [...] ».

Chez Franz Kafka, chez les Samsa, rien ne se passe comme ailleurs. Les métamorphoses s’enchaînent. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ! Quand l’un va mal, l’autre va bien, selon le célèbre principe des vases communicants. Les produits d’hygiène inutiles, les crèmes éclaircissantes enlaidissantes sont laissés au placard... Vraiment, ces gens n’ont rien d’humain...

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour nous plonger, en image, dans un monde kafkaïen !

Bibliographie

1 Kafka F. La métamorphose, Gallimard, 1955, 177 pages

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