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Du vernis à ongles sur les moustaches du chat, c’est Holly qui fait du cat grooming !

> 04 mai 2024

Du vernis à ongles sur les moustaches du chat, c’est Holly qui fait du cat grooming !

Un écrivain se souvient de son premier appartement New-Yorkais dans le quartier des Est-Soixante-Dix… C’est là, en effet, que s’est fait la rencontre de sa vie.1 Une petite jeune fille, Holly Golightly, bruyante et voyante, fait alors grand tapage dans un immeuble plutôt calme par ailleurs. Rapidement, le narrateur âgé d’une cinquantaine d’années va nouer des liens d’amitié profonds avec sa charmante voisine d’à peine 19 ans (elle occupe le logement situé juste en dessous) ; le bar de Joe Bell va, par ailleurs, devenir son QG favori ! Les évènements vont s’enchaîner et bientôt le narrateur va se retrouver seul, comme il l’a toujours été. Son âme-sœur a pris la poudre d’escampette, le laissant là comme un sot !

Joe Bell, ses hobbys, son Holly !

Joe Bell est un cafetier caractériel, « petit avec une belle toison de cheveux blancs » et un teint « hâlé », qui s’adoucit toutefois grâce au caractère émollient de la jolie Holly. Un tantinet grognasson, Joe possède différents hobbys, en plus de son affection pour Holly. Il aime ainsi « le hockey sur glace, les chiens de Weimaraner, « La fille du dimanche », une série offerte par une marque de savon et qu’il écoute depuis quinze ans, et Gilbert et Sullivan. » Cet adepte des soap operas radiophoniques n’est plus vraiment le même depuis que Holly a disparu du jour au lendemain. Aussi lorsqu’il apprend, grâce à un photographe japonais, qu’elle est vraisemblablement en Afrique, dans la tribu Tococul, son sang ne fait-il qu’un tour ! Il s’en faut de peu pour que le brave homme ne prenne le premier avion en partance… Il faut dire que Holly n’est pas n’importe qui !

Holly Golightly, ses cheveux bigarrés, son teint acidulé !

Holly, la jeune héroïne de 19 ans du roman, possède les cheveux coupés court. Des cheveux qui ont subi l’action de traitements variés aboutissant, sur sa tête, à la création d’un patchwork extraordinaire. Des mèches « fauves », « blond blanc » et « blond jaune » cohabitent jovialement ensemble, afin de créer une atmosphère capillaire joyeusement bigarrée. La décoloration de ces mèches (« son bariolage capillaire n’était point exempt des secours de l’art ») se fait les jours de grand soleil. Ces jours-là, Holly « se lavait la tête » et allait s’installer sur « l’échelle d’incendie pendant que ses cheveux séchaient », tout en jouant de la guitare. Un air de guitare qui se poursuit longtemps, longtemps après que ses cheveux soient parfaitement secs. Les cheveux, une fois séchés, étaient le plus souvent aussi brillants que ceux d’une « réclame de shampooings » !

Très mince, Holly est d’une fraîcheur désarmante. Comme point de comparaison, on pourrait dire qu’elle évoque « l’air de propreté des savons au citron ». Fraîche, mais maquillée, tout de même, avec pour le moins une touche de blush, appliquée au niveau des pommettes. Un blush qui n’est pas posé avec délicatesse, mais qui semble plutôt distribué à la hâte (« des joues assombries d’un rouge sommaire »).

Holly Golightly, ses cheveux bien peignés, ses yeux bleus et… bigles !

Holly n’est pas une fille très polie… Elle peigne ses cheveux en public et n’en fait qu’à sa tête. Une tête pleine de rêves, une tête avec des yeux bleus, qui se cachent derrière des lunettes noires, du fait d’un strabisme convergent.

Holly Golightly, son air propre et ses à-côtés au lavabo

Chaque semaine, Holly se fait belle pour aller à la prison de Sing-Sing. « Tous les visiteurs font un effort pour se mettre sur leur trente et un et c’est gentil […] ». Les femmes se mettent en frais, afin de « sentir bon » !

Une connaissance lui a proposé cent dollars par semaine pour aller visiter le parrain de la mafia, Sally TomatoHolly a hésité un peu (ces 100 dollars, elle est habituée à les obtenir en allant « se repoudrer aux lavabos », ce qu’elle appelle parfois des « petites excursions aux lavabos », avec un « gentleman »).

Holly Golightly, son amour des chats et du vernis à ongles

Holly n’est, après tout, qu’une gamine facétieuse, toujours prête à faire une bêtise, comme ce jour où elle se met à passer « son pinceau à vernis sur les moustaches du chat » ! Un travail long et fastidieux, qui consiste à « vermillonner les moustaches du chat », avec une grande application !

Holly Golightly, son amour du rouge à lèvres et ses envies d’ailleurs

Tout à coup, Holly a comme des envies de voyage. Là voilà qui se fait rat de bibliothèque, pour se renseigner sur le Brésil. Tout en manipulant un « bâton de rouge » à lèvres, elle feuillette des ouvrages comme « Les chemins détournés du Brésil. »

Holly Golightly, son amour des plats caloriques et des parfums capiteux

Holly aime le parfum ; lorsqu’elle part en soirée, elle en fait couler des « flots ». Et lorsqu’elle apprend la mort de son frère à la guerre, ce sont ses flacons de parfum qui seront les premières victimes. « Dans la chambre, l’odeur des bouteilles de parfum brisées me suffoqua. »

Après la mort de Fred, son frère chéri, Holly se laisse aller… Elle prend du poids et cesse d’aller s’exposer au soleil, laissant ses cheveux reprendre leur teinte d’origine, plus foncée. « Négligente » en ce qui concerne sa toilette, Holly se met « à traînailler dans le bain turc de sa minuscule cuisine ».

Holly Golightly, le tragique derrière le sourire

Mariée à 14 ans, en 1938, à un vieux vétérinaire ! Holly se nomme en réalité Lulamae Barnes. En épousant le vieil homme, Lulamea devient la belle-mère de filles plus âgées qu’elles. Une vie relativement paisible, si l’on en croit les dires du vétérinaire, qui nous explique que, pendant que les filles faisaient toutes les tâches domestiques, Lulamae, déjà coquette, se mirait dans la glace ou se lavait les cheveux ! Le bonheur, quoi !

Mag Wildwood, tragiquement et spectaculairement laide

Mag est une amie de Holly. Elle est d’une laideur exceptionnelle. Cette laideur fait tout son charme, car, au lieu de chercher à gommer ses défauts, elle s’est appliquée à les exagérer à souhait. Ainsi « des cheveux tirés en arrière » augmentent la « siccité, l’émaciation de son visage » ! En outre, Mag est affectée de bégaiement !

Lorsqu’elle est prise d’ivresse, Mag se laisse aller. « Et le gin agissant sur les artifices » (ces artifices sont des talons hauts et un corset serré à outrance), « comme le mascara sur les larmes, ses attraits » partent à « la débandade ».

Lorsqu’elle est en confiance, Mag tricote, pendant que Holly est « à vernir ses ongles. »

Tout ira pour le mieux pour Mag, qui finira par épouser Rusty Trawler, un « playboy millionnaire » !

Sid Arbuck, celui qui abuse d’autobronzant

Sid Arbuck est le pigeon de service. Il a payé la note au restaurant où il a rencontré Holly, croyant que tout se terminerait gentiment entre deux draps… et il se fait planter, là, sur le trottoir !

Un homme, « court et large, bruni artificiellement et pommadé », qui va recevoir une belle leçon de la part d’une jeune fille de 19 ans : ne jamais vendre la peau de l’ours…

Juste avant de lui claquer la porte au nez, Holly y va de son dernier petit conseil : « La prochaine fois qu’une fille vous demandera de la monnaie pour aller se refaire une beauté, cria-t-elle cessant de plaisanter, suivez mon conseil, chéri. Ne lui donnez pas 20 francs. »

O.J. Berman, celui qui abuse d’eau de Cologne

O.J. Berman est « agent théâtral », à Hollywood. Chez Holly, il semble être chez lui, ouvrant la porte d’entrée aux visiteurs, lorsque la propritaire est sous la « douche ». Berman distille une odeur complexe, fruit du mélange de ses cigares et de « l’eau de Cologne de Knizé ».

Un latin qui abuse d’après-rasage ou de lotion capillaire

Ce « latin » sonne un jour, par hasard, chez Holly. Il cherche Mag et traîne, derrière lui, « une vivifiante odeur de lotion » ! Ce Brésilien, du nom de José Ibarra-Jaegar, va désormais faire une cour assidue à Mag, avant de mettre enceinte Holly.

C’est un curieux personnage, qui ne supporte pas sa « petite odeur » personnelle et « se baigne 50 fois par jour », pour en venir à bout !

Lorsque les mauvais jours arriveront, José laissera tomber Holly, sans le moindre remord.

Le cousin du latin qui abuse de gomina

Ce cousin de José possède des « cheveux gominés », comme son statut de latin le laisse supposer.

Tiffany, mieux que l’aspirine ?

Et le rapport entre Tiffany et Holly ? Lorsque Holly est « dans le cirage », rien n’y fait. Pas plus l’aspirine que la marijuana. Pour se remettre d’aplomb, la seule solution est d’aller chez Tiffany admirer les bijoux. Un bain scintillant qui lui redonne la pêche.

Tiffany, plutôt pour les vieilles dames

Une fois chez Tiffany, Holly se revigore, même si elle n’achète jamais. La joaillerie de luxe, c’est pour les vieilles dames… « Des os, des rides, des cheveux blancs, des diams » !

Et une histoire de bronzage raté

Mag et Holly n’ont pas le même phototype. Pour une même exposition solaire, lors d’une croisière, Holly revient « couleur d’iode, ses cheveux blanchis par le soleil spectralement », alors que Mag souffre le martyr et doit être hospitalisée, pour des « brûlures solaires au premier degré ! Une horreur. » Mag, couverte de « cloques » et fleurant « la citronnelle », doit être conduite à l’hôpital, pour une prise en charge médicalisée.

A son retour à New-York, le bronzage de Holly s’affadit, obligeant la jeune fille pour « préserver ses couleurs tropicales », à placer son épiderme « sous une lampe solaire ».

Une exposition sous une lampe qui se pratique alors en ayant préalablement étalé « un peu d’huile » sur la zone concernée. Holly se fait masser le corps par son voisin écrivain, tout en dénigrant le roman dont il est l’auteur et qu’il vient de lui soumettre. On imagine aisément dans ces conditions que la main de l’écrivain se fait lourde (« Ma main qui pétrissait l’huile dans son dos semblait animée d’une humeur indépendante »), risquant même, à un certain moment, de s’abattre sur les fesses, pour une claque magistrale bien méritée !

Et une histoire qui finit mal

On pouvait s’en douter… En allant à Sing-Sing et en servant de boîte aux lettres entre les membres d’un gang, Holly jouait gros. Là voilà, un beau matin, arrêtée par la police, alors qu’elle est en train de jouer les infirmières pour le narrateur de l’histoire. « Holly n’avait pas été arrêtée dans son luxueux appartement, mais dans ma propre salle de bains. J’y noyais bénéfiquement les douleurs de ma randonnée à cheval dans une baignoire d’eau bouillante enrichie en sel d’Epsom. Holly, infirmière attentive, était assise sur le rebord de la baignoire, attendant le moment de me frictionner d’embrocation et de me border dans mon lit. » Forcément une arrestation, dans une salle de bain, un flacon de liniment à la main, ça fait du vilain… La bouteille vola en éclat et le narrateur manqua de perdre deux doigts de pied !

Où l’on apprend comment se conduire pour la lecture d’une lettre de rupture

Lorsque José plaque Holly, c’est le narrateur qui se charge de lire sa lettre de rupture. Holly se remaquille pour l’occasion. « Une fille bien ne lit pas ce genre de lettres sans se mettre de rouge aux lèvres. Guidée par le miroir du poudrier elle se poudra, se farda, effaça de son visage le dernier reflet de la douzième année. Elle dessina ses lèvres avec un bâton, colora ses joues avec un autre, crayonna la bordure de ses yeux, bleuit ses paupières, vaporisa son cou avec du parfum, attacha des perles à ses oreilles et arbora ses lunettes sombres. » Sous sa cuirasse cosmétique, « son masque de cosmétique », Holly ne bronche pas et reste forte, même lorsqu’il est question de la perte de son enfant (en effet, elle vient de faire une fausse couche). José fuit… Pendant ce temps, Holly répartit son blush, « avec son petit doigt » !

La fuite, enfin

Holly fuit la police. Holly fuit son passé. Holly quitte ses amis et c’est le narrateur qui est chargé de lui faire ses valises. Holly réclame « ses bijoux, sa guitare, des brosses à dents ». Le narrateur y ajoute les flacons de parfum, qui lui sont si chers. Malheureusement, les flacons se renversent et se brisent dans la rue.

Petit déjeuner chez Tiffany, en bref

Holly aurait été vue en Afrique, en 1956… Depuis le narrateur n’a plus de nouvelle. Il a reçu, il y a bien longtemps, une petite carte du Brésil, « gribouillée au crayon et signée d’un baiser au rouge à lèvres », mais on ne sait rien de plus. Dommage, on s’y était drôlement attachées à cette môme pas ordinaire, qui raffole des produits de beauté et n’est jamais parcimonieuse en ce qui concerne leur utilisation.

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 Capote T., Petit déjeuner chez Tiffany, Folio, Gallimard, 2010, 188 pages

 

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