Nos regards
Du cannabis en pot… et pas seulement sur le balcon !

> 17 janvier 2018

Du cannabis en pot… et pas seulement sur le balcon !

Le cannabis : « un supplément de rêve dans les soins de luxe new age », peut-on lire dans certaines revues de mode (http://www.vogue.fr/beaute/tendances-d-ailleurs/diaporama/tendance-ailleurs-cosmetiques-cannabis-whoopie-goldberg-craveskincare/41737). Les cannabinoïdes, des ingrédients incontournables dans les médicaments à usage dermatologique, proclament certaines publications scientifiques…

Mais qu’ont-ils donc tous à vouloir mettre de la marijuana dans nos crèmes de jour ?

Rappelons que le cannabis est connu depuis l’Antiquité ; il fait partie de l’arsenal médical chinois depuis des millénaires, les premières utilisations répertoriées datant de 3000 ans avant notre ère. Il s’agit de la drogue la plus consommée au monde, avec 182,5 millions de consommateurs recensés en 2014. C’est la France qui détient le triste palmarès du nombre de consommateurs. En 2014, 17 millions de Français déclaraient avoir déjà consommé du cannabis (4,6 millions une fois durant l’année en cours, 1,4 millions au moins 10 fois par mois et 700 000, quotidiennement). Les jeunes sont, sans surprise, les plus concernés (28 % pour la tranche d’âge 18–25 ans et seulement 2 % pour la tranche d’âge 55–64 ans). Si la consommation de cannabis est mise en relation avec le traitement de certaines affections ou la prise en charge d’effets indésirables liés à des traitements médicamenteux (prise en charge de l’anorexie et de la perte de poids chez les patients séropositifs au VIH ou des nausées et vomissements dus à certains traitements thérapeutiques, soulagement de la douleur chez les patients atteints de sclérose en plaque…), elle est également à mettre en relation avec certains effets indésirables tels que diminution de l’attention, troubles psychiatriques et phénomène de dépendance…1

Quelques mots sur le chanvre indien

Le chanvre indien (Cannabis sativa subsp. indica) est une plante très controversée en France. Le tétrahydrocannabinol (ou THC) est la molécule à activité psychotrope la plus emblématique, contenue dans la plante. Il s’agit de l’un des 90 phytocannabinoïdes isolés et identifiés depuis les années 1940. 500 autres molécules sont également connues. Des terpènes, des flavonoïdes, des stilbénoïdes, des acides aminés, des acides gras, des alcaloïdes, des hydrures de carbone, des sucres… viennent s’ajouter à cette liste déjà longue.2

Quel est son intérêt pour la peau ?

Juillet 2017. Jessica Mounessa et Julia Siegel chantent de concert les louanges des cannabinoïdes. Une personne sur dix aux Etats-Unis aurait recours à ce type de molécules, pour des raisons médicales (traitement de douleurs chroniques, prise en charge de l’anorexie, d’états nauséeux, de dermatoses accompagnées de prurit, de pathologies cutanées inflammatoires…). Les exemples abondent. Chez des patients en hémodialyse souffrant de prurit, l’application d’une crème émolliente à base de cannabinoïdes, deux fois par jour, pendant trois semaines, permettrait de mettre fin aux sensations désagréables, dans 38 % des cas. Chez 22 patients atteints de prurigo, de lichen simplex chronique et de prurit, une crème émolliente à base de palmitoyl éthanolamide (PEA) réduit les démangeaisons de 86%. Le PEA stimule la synthèse d’anandamide, un cannabinoïde endogène qui active le récepteur CB1. Le tétrahydrocanabinol (THC) est anti-inflammatoire et permet d’activer les récepteurs CB1, ce qui augmente la fonction barrière cutanée. Le champ d’action du THC est large : psoriasis, mélanome, dermatite de contact, pruritCannabidiol et cannabigerol seraient intéressants dans le traitement du psoriasis !3

La réponse de Walter Liszewski et de Ronda S. Farah ne se fait pas attendre. En septembre, ces dermatologues du Minnesota applaudissent au travail de leurs consoeurs, mais mettent, pourtant, un bémol aux résultats très optimistes qui ont été publiés. Tout n’est pas aussi simple et les cannabinoïdes ne sont pas les principes actifs idylliques que l’on pourrait nous présenter. Concernant par exemple le THC, il est considéré par certains auteurs comme une molécule pro-inflammatoire, susceptible d’augmenter la production de cytokines (Interleukine-1 et 6, TNF) et par d’autres équipes comme une molécule anti-inflammatoire qui diminue la production de TNF !4. Dr Jekill ou Mr Hyde... difficile de se faire une idée précise !

Ajoutons au passage qu’il est possible de doser les cannabinoïdes dans les cheveux. Ceci permet dans un cadre légal de déterminer l’imprégnation de l’organisme par ce type de drogues et d’évaluer l’ancienneté de la consommation.5

Notons enfin que l’anandamide affecte le cycle pilaire, en réduisant la pousse des poils, du fait de la réduction de la durée de la phase catagène.6 Les agonistes des récepteurs aux cannabinoïdes ne sont, sans doute, donc pas les molécules de choix à incorporer dans les produits destinés à contrer la chute des cheveux !

Gardons à l’esprit que cette plante n’a rien de cosmétique, puisqu’elle est interdite par la réglementation européenne7 et confions notre peau et nos cheveux à des ingrédients moins sulfureux…

Bibliographie

Benoît Schreck, Nicolas Wagneur, Pascal Caillet, Marie Gérardin, Caroline Victorri-Vigneau, Cannabinoid hyperemesis syndrome: Review of the literature and of cases reported to the French addictovigilance network, Drug and Alcohol Dependence, 182, 2018, 327-321.

Cinzia Citti, Daniela Braghiroli, Maria Angela Vandelli, Giuseppe Cannazza, Pharmaceutical and biomedical analysis of cannabinoids: A critical review, Journal of Pharmaceutical and Biomedical Analysis, 147, 2018, 565-5792.

Jessica S. Mounessa, Julia A. Siegel, Cory A. Dunnick, Robert P. Dellavalle, The role of cannabinoids in dermatology, Journal of the American Academy of Dermatology, 77, 1, 2017, 188-190.

Walter Liszewski, Ronda S. Farah, Response to: “The role of cannabinoids in dermatology”, Correspondence, Journal of the American Academy of Dermatology, 77, 3, 2017, e87-e884.

María José Burgueño, Amaya Alonso, Sergio Sánchez, Amphetamines and cannabinoids testing in hair: Evaluation of results from a two-year period, Forensic Science International, 265, 2016, 47-53.

Gabriella Czifra, Attila G. Szöllősi, Balázs I. Tóth, Julien Demaude, Tamás Bíró, Endocannabinoids Regulate Growth and Survival of Human Eccrine Sweat Gland–Derived Epithelial Cells, Journal of Investigative Dermatology, 132, 8, 2012, 1967-1976.

http://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.results

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