> 16 janvier 2021
Dans son roman Une poignée de seigle, Agatha Christie fait référence à une comptine enfantine pour régler les comptes de la famille Fortescue. Tout débute à l’heure du thé, dans le cabinet de travail de Mr Fortescue, un homme d’affaires important. Miss Grosvenor, « une jolie blonde », que l’on peut qualifier de « capiteuse », est la secrétaire chargée du cérémonial du thé. On remarquera surtout ses « jambes gainées de nylon cristal ». A peine bu, déjà mort ! Mr Fortescue s’écroule, foudroyé, une poignée de seigle dans la poche. La « taxine », un « poison rare », qui se loge dans les feuilles et les baies d’if, est rapidement incriminée. C’est ensuite au tour de Mrs Fortescue de passer de vie à trépas. Puis de Gladys, la petite bonne. En allant fouiller dans sa chambre, c’est sûr, on trouvera la clé de l’énigme.
Rex Fortescue en est à son second mariage. Sa première femme lui a donné 3 enfants, des adultes pour l’heure. Mr Percival, le fils honnête et travailleur, est marié à une infirmière, Jennifer... qui en connaît sûrement un rayon sur les drogues. Mr Lancelot, le voyou, chassé un temps de la maison paternelle, du fait de sa capacité à imiter la signature du chef de famille, est marié à Pat, une femme très élégante, très à la mode. La fille, Elaine, encore une jeune fille, ne compte pas vraiment. La seconde Mrs Fortescue, Adèle, est une toute jeune femme, qui a quitté son métier de manucure, une fois la bonne fortune trouvée. « Consciente de sa beauté », Adèle est irritante à souhait. Une gouvernante, Mary Dove, jolie et discrète, arrondit les angles d’une voix douce. Reste à savoir si Dove est vraiment son nom.
L’assassin de Mr Fortescue ne manque pas d’humour. Pour tuer le vieil homme, qui réside à Baydon Heath ,dans une villa baptisée « Yewtree Lodge » (« Le pavillon des ifs »), quoi de plus adapté qu’une infusion de feuilles ou de baies d’if ? Le Dr Bernsdorff, consulté, confirme la nocivité de l’alcaloïde, contenu dans la plante. Des enfants, qui se sont dernièrement amusés à préparer un thé, « avec des baies d’if », ont été méchamment intoxiqués !
L’heure du thé ne convient visiblement pas aux Fortescue. Après Rex, c’est le tour d’Adèle de succomber au poison, une tartine de miel à la main.
La bonne, c’est Gladys (« Elle avait des taches de son et était sotte. »), l’ancienne protégée de Miss Marple. Celle-ci ne se fait d’ailleurs pas prier pour débarquer sur les lieux, afin de tirer au clair la sinistre affaire. Gladys a été étranglée ; on lui a fiché un cintre dans le nez ! Dans sa chambre, on trouvera un joyeux désordre et, pêle-mêle, des « recettes de beauté », « des chroniques de mode », des articles sérieux, traitant des « sérums de vérité ». Pour Miss Marple, tout est dit. Les jeunes filles des années 1950 sont, comme leurs mères et grands-mères, à la recherche de l’amour (d’où l’intérêt pour les recettes de beauté et pour les philtres d’amour) ; elles sont, par ailleurs, attirées par les sciences ou pseudosciences... Une « drogue de vérité »... de quoi faire rêver une petite bonne amoureuse !
Un roman rondement mené où secrétaires (de belles plantes aux jolies jambes qui se repoudrent régulièrement le nez (« Miss Chase se repoudrait le museau à la dérobée »), manucure (Adèle a bien manœuvré pour finir dans le lit du sévère Mr Fortescue) et bonne à tout faire (une petite bonne sotte comme un balai) se coulent magnifiquement dans les stéréotypes classiques. Un thé à la taxine, à Yewtree Lodge, Agatha Christie s’amuse et nous amuse...
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration !
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