Nos regards
Aurore Dupin ou la beauté au naturel

> 18 février 2018

Aurore Dupin ou la beauté au naturel

George Sand ou plutôt Amantine-Lucile-Aurore Dupin, épouse Dudevant, est la petite-fille du maréchal de Saxe et l’arrière petite-fille d’Auguste II, roi de Pologne du côté paternel et la petite-fille d’Antoine Delaborde, un oiseleur parisien, du côté maternel. Aurore se situe donc à l’interface de deux mondes, deux mondes qui entrent fréquemment en collision, durant toute son enfance et sa jeunesse. « Elle est née en musique et dans la rose ; elle aura du bonheur » dit sa tante Lucie, le jour de sa naissance. L’avenir montrera que tante Lucie n’était pas une voyante extralucide ; Aurore souffrira du spleen toute sa vie durant... Sa mère, une femme de caractère à laquelle il vaut mieux ne pas « piquer l’épiderme », portait bien lors de sa naissance une « jolie robe couleur de rose » et dansait le quadrille au son du violon de Crémone de son père, mais tout ne sera pourtant pas rose dans la vie de la petite fille. La mort du père va plonger son enfance dans le chaos. Sa mère, « pauvre enfant du vieux pavé de Paris » et sa grand-mère, une femme de l’Ancien Régime se chamaillent alors son affection au point de lui rendre la vie, bien souvent, insupportable. L’« Histoire de ma vie » est le fruit d’un examen de conscience (« l’examen que je vais faire de ma vie »). Aurore se plaît à s’y façonner une image lisse et sans aspérité, loin de la réputation sulfureuse qui colle à son nom. Elle prévient son lecteur : « amateurs de scandale, fermez mon livre dès la première page ». Nous ferons nous aussi la même mise en garde. Amateurs de scandale, fermez ce Regard... Laissons Aurore nous dévoiler un monde plein d’amour, de senteurs, de fleurs, mais également de deuils, de combats et de peines.

Signe particulier : une très petite taille - Aurore se décrit de la manière suivante : « yeux noirs, cheveux noirs, front ordinaire, teint pâle, nez bien fait, menton rond, bouche moyenne, taille de quatre pieds dix pouces (soit 1 m 52) [...] ».

Une aïeule maternelle, témoin d’un monde révolu - La mère d’Aurore, Sophie-Victoire, a été élevée par une grand-mère maternelle « bonne », « pieuse » et « royaliste ». Un jour, elle est repérée comme étant « la plus jolie fille du district ». On vient la chercher « pour l’habiller tout de blanc, la poudrer, la couronner de roses et la mener à l’hôtel de ville. » C’est là qu’elle récite un compliment aux citoyens Bailly et La Fayette, deux personnalités qu'on ne peut qualifier de modèles royalistes.

Une aïeule paternelle qui, malgré sa petite taille (elle ne mesure que 5 pieds soit 1 m 47), occupe une place considérable dans sa vie - Sa figure est « blanche et rosée ». Elle porte une « perruque blonde et crêpée en touffe sur le front. » « Sa chambre sombre et parfumée » est source de « migraine et de bâillements spasmodiques » pour qui s’y attarde un tant soit peu. Elle réalise tous les soirs une toilette de deux heures. Son coucher, tel celui des rois de France du temps jadis, suit un cérémonial inébranlable. « [...] des camisoles de satin piqué, des bonnets à dentelle, des cocardes de rubans, des parfums, des bagues particulières pour la nuit, une certaine tabatière, enfin tout un édifice d’oreillers, car elle dormait assise, et il fallait l’arranger de manière qu’elle s’éveillât sans avoir fait un mouvement. » Ah, la bonne grand-mère n’est pas comme Marylin... une seule goutte de parfum ne suffit pas pour l’envelopper pour la nuit ! Alors que sa grand-mère vient de mourir, Aurore lui rend un ultime hommage en rangeant les fioles de parfum qui faisaient ses délices. Celles-ci contiennent du benjoin « qu’elle avait toujours préféré pendant sa vie, et qui lui avait été rapporté de l’Inde, dans une noix de coco par M. Dupleix. »

Un illustre ancêtre qui sent le beurre suri à plein nez - Le maréchal de Saxe « exhalait une odeur de beurre rance qui répugnait à la précoce délicatesse » de l’odorat de sa petite-fille de deux ans. « [...] le héros aimait de passion le beurre fort, et pour le satisfaire on n’en trouvait jamais d’assez nauséeux. »

Une beauté au naturel qui ne fait pas de chichi - Aurore est une sauvageonne qui ne supporte aucun carcan. « Autant j’aime l’extrême propreté, autant les recherches de la mollesse m’ont toujours paru insupportables. » « Se priver de travail pour avoir l’air frais, ne pas courir au soleil quand ce bon soleil de Dieu vous attire irrésistiblement, ne point marcher dans de bons gros sabots de peur de se déformer le cou-de-pied, porter des gants, c’est-à-dire renoncer à l’adresse et à la force de ses mains, [...] vivre enfin sous une cloche pour n’être ni hâlée, ni gercée, ni flétrie avant l’âge, voilà ce qu’il me fut toujours impossible d’observer. » Aurore possède un capillaire d’exception (de « très grands cheveux bruns qui flottaient sur mes épaules et frisaient naturellement pour peu qu’on me passât une éponge mouillée sur la tête. ») qu’elle n’aime pas contrarier dans des chignons. De la manière de se coiffer jusqu’à son éducation, tout est motif à querelles entre les deux femmes qui partagent sa vie. « Ma mère tourmenta si bien ma bonne maman qu’il fallut la laisser s’emparer de ma pauvre tête pour me coiffer à la chinoise. » (« [...] une boule allongée surmontée d’une petite boule de cheveux »). Aurore se compare à une « brioche ou à une gourde de pèlerin » et n’a qu’une hâte, retrouver sa liberté de mouvement...

Un séjour au couvent pour dresser la sauvageonne - « On se lavait dans de l’eau dont il fallait briser la glace et qui ne lavait pas. On avait des engelures, les pieds enflés saignaient dans les souliers trop étroits. »

Une visite au pensionnat - Ce n’est plus la jeune fille qui est concernée, mais la mère attentive. Maurice est admis au collège et a du mal à trouver sa place dans un univers hostile. Les jeunes pensionnaires portent les « vieux habits de ceux qui sortent ». Aurore lave, nettoie, pomponne son fils chéri. « Je passais une grande heure à le laver et à le peigner, car la malpropreté qu’il apportait du collège était fabuleuse. »

Les parfums, des souvenirs en flacon - Les senteurs, qu’elles soient agréables ou non, transportent Aurore dans un album de souvenirs, bons ou mauvais, réels ou inventés... « [...] je ne respire jamais des fleurs de liseron-vrille sans voir l’endroit des montagnes espagnoles et le bord du chemin où j’en cueillis pour la première fois. » Le domestique de son père, un dénommé Weber, sent si mauvais qu’elle défaille à chaque fois qu’il la prend dans ses bras. Alors qu’elle revient d’Italie avec ses parents et qu’elle est présentée pour la première fois à sa grand-mère, Aurore souffre d’une affection cutanée. Deschartes, l’homme à tout faire de sa grand-mère, diagnostique la gale. Il recommande de « la nier », « afin de ne pas jeter l’effroi et la consternation dans la maison ». Le traitement est à base de soufre. « Pourtant ce soufre m’était odieux, et je lui (à sa mère) disais de me fermer mes yeux et de me pincer le nez pour me le faire avaler. » La mort de son petit-frère est associée pour Aurore à une débauche de parfums. Aurore décrit une scène macabre au cours de laquelle ses parents déterrent l’enfant, afin de s’assurer qu’il est effectivement décédé. « [...] elle frotta de parfums ce petit cadavre, elle l’enveloppa de son plus beau linge et le replaça dans son berceau pour se donner la douloureuse illusion de le regarder dormir encore. » C’est dans une « atmosphère de vieux musc » que s’écoule son enfance. Bien plus tard, elle s’insurgera contre les écrivains qui pensent que c’était mieux avant et qui produisent une « littérature toute poudrée à l’image des nymphes de Trianon. »

Deschartes, l’instigateur de son look masculin - C’est à Deschartes, devenu son précepteur, qu’Aurore doit son goût du travestissement. Celui-ci lui donne ses leçons dans sa chambre, un antre où règne « une odeur de savonnette à la lavande », qui devient bientôt odieuse à son élève insoumise. Aurore est une élève peu attentive, qui préfère la nature aux calculs d’arithmétique. Elle sait « dans quel blé poussaient les plus belles nielles et les plus belles gesses sauvages, dans quelle haie » l’on peut trouver « des coronilles et des saxifrages », mais ne parvient pas à calculer le périmètre des champs en question. Afin de pouvoir profiter au maximum des « promenades pédagogiques » dont il est l’inventeur, Deschartes habille son élève en garçon et court les prés à ses côtés. Devenue Parisienne, Aurore se souviendra de la liberté de mouvement que lui permettaient les vêtements masculins... elle y reviendra « par économie » (les vêtements féminins s’usent à grande vitesse lors de ses grandes randonnées dans la capitale) et par curiosité. Sous ce « déguisement », Aurore se fondra dans tous les milieux. Aurore n’est pas attirée par « la stupide vanité des parures ». Elle n’est pas de « celles que censurent et raillent les moralistes ».

Des concombres pour jouer au charcutier - L’odeur inimitable du concombre ne manquera sûrement pas de ramener Aurore dans le jardin de son enfance. Les concombres de Nohant n’étaient alors pas utilisés à des fins esthétiques, mais à des fins expérimentales. Son frère Hippolyte en extrayait, en effet, le jus afin de réaliser une recette-maison de boudin, grillé sur un feu fictif.

Une épouse qui se coupe les cheveux en signe de deuil - Suite à l’assassinat de son époux, la duchesse de Berry est désespérée. En témoigne le fait qu’elle se coupe « ses blonds cheveux sur sa tombe ». Par parenthèse, cela n'empêchera pas la même duchesse d'accoucher, sept mois plus tard, de « l’enfant du miracle », également appelé « enfant de la Vendée »...

Une belle-mère aussi astringente qu’un actif anti-transpirant - Mme Dudevant est de « la nature des lièges ; elle avait une écorce très épaisse qui la garantissait du contact des choses extérieures ; seulement cette écorce tenait bien et ne tombait pas. »

Un bon écrivain se doit d’arborer une belle barbe - Alors qu’elle rencontre des difficultés à percer en tant qu’écrivain, elle rencontre Henri de Latouche. « La littérature est une ressource illusoire, et moi qui vous parle, malgré toute la supériorité de ma barbe, je n’en tire pas quinze cent francs par an, l’un dans l’autre. »

L’actrice Marie Dorval ou un roseau déclamant - Aurore fait une discrète allusion à son amie. « Elle était encore mince, et sa taille était un souple roseau qui semblait très balancé par quelque souffle mystérieux, sensible pour lui seul. »

Une activité de coloriage apaisante - On pourrait penser que le coloriage pour adulte est une activité récente. Il n’en est rien. Alors que sa mère va mourir, Aurore constate qu’elle « s’apaise en coloriant des lithographies. »

L’art de la formule - Le poète de Rencogne est ainsi comparé à un « charmant poète inédit [...] » qui « avait toujours des roses dans l’esprit et jamais d’épines dans le cœur [...] ».

Un vrai souci des autres - La bonne dame de Nohant joue les médecins et les pharmaciens bénévoles au pays de son enfance. « Par économie, je m’étais faite aussi un peu pharmacien, et quand je rentrais de mes visites, je m’abrutissais dans la confection des onguents et des sirops. » Entre ses lectures et ses juleps, Aurore ne voit pas le temps passé.

« Histoire de ma vie » nous donne à découvrir une Aurore Dupin très différente de la George Sand, connue pour ses amours tumultueuses. La scandaleuse s’y révèle en recherche permanente de pureté. Elle se dévoile comme un grand esprit « qui se livre à nous » et « nous donne à respirer comme un bouquet de fleurs où certains parfums, qui nous seraient nuisibles isolés, nous charment et nous raniment par leur mélange avec les autres parfums qui les modifient. »

C’est grâce à un reader digest (de quelques 863 pages tout de même !) établi par Brigitte Diaz que nous avons pu nous glisser, avec délice, dans l’univers plein de poésie d’Aurore (Les classiques de Poche, 2004).

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour ce petit résumé, en collage, d'un fragment de la généalogie de George Sand !

Retour aux regards