> 09 juillet 2017
En 1932, lorsqu’il fait paraître son roman d’anticipation « Le meilleur des mondes », Aldous Huxley projette ses lecteurs six siècles en avant. En 1961, il constatera qu’un certain nombre de ses divagations littéraires se sont réalisées plus vite qu’il ne pouvait le supposer réellement.
Pour notre part, nous nous sommes intéressées aux habitudes cosmétiques des Hommes des générations futures.
Le meilleur des mondes est un monde parfumé où les capitons, la cellulite n’ont plus leur place. Jusque-là tout va bien et on ne peut que s’en féliciter !
Le bonheur est assuré grâce à des manipulations génétiques savamment orchestrées. Chaque classe sociale est programmée pour être heureuse, dans la condition qui est la sienne. Vieillissement de la population et maladies sont contrecarrées à l’aide de cocktails hormonaux administrés en temps voulu. La technologie est au service de l’Homme, jusque dans sa salle de bains. « Lénina sortit du bain, s’essuya avec la serviette, saisit un long tube flexible raccordé à un ajutage ménagé dans le mur, s’en présenta l’embouchure devant la poitrine, comme si elle voulait se suicider, appuya sur la gâchette. Une bouffée d’air tiédi la saupoudra de talc le plus fin. Il y avait une distribution de huit parfums différents et d’eau de Cologne au moyen de petits robinets, au-dessus de la cuvette du lavabo. Elle ouvrit le troisième à partir de la gauche, s’imprégna de chypre […] »
S’inspirant sans doute des pratiques des femmes de sa famille (mère, grand-mère, épouse), Aldous Huxley rend compte de l’habitude prise par les femmes de poudrer leur corps à la sortie du bain. Cette façon de faire (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/monologue-du-vagin-alors-le-talc-pour-ou-contre-234/), qui n’est pas encore controversée, est alors très appréciée, car elle permet de sécher parfaitement la peau, de la rendre douce et d’enfiler ses vêtements à vitesse express…
Lorsque les personnages d'Aldous Huxley souhaitent s’amuser, ils peuvent se rendre dans des boîtes de nuit où le conditionnement au bonheur continue à être pratiqué par le biais de refrains repris en boucle. La nouvelle Abbaye qui revendique « Le meilleur orgue à parfums et à couleurs de Londres » est l’un de ces lieux. « L’air semblait chaud et presque étouffant, tant il était chargé du parfum d’ambre gris et de santal […] » Les musiciens jouent un air qui n’est pas si anodin qu’il peut y paraître au premier coup d’oreille. « Flacon que j’aime – C’est toi que j’ai vanté ! Flacon que j’aime – Que m’a-t-on décanté ? […] » Il ne s’agit, toutefois, pas d’un flacon de parfum ordinaire, mais d’une flasque d’où naît désormais chaque nouvel individu.
Ce monde « parfait » à faire peur produit des êtres stéréotypés qui ne s’appartiennent plus. Chacun est à tous. Pour cette raison, il n’est pas d’usage de tomber amoureux. L’exclusivité n’a pas sa place dans un milieu en open space permanent… Toutefois, lorsque, par malheur, cela se produit, ressurgissent les vieux réflexes de l’Homme ancien. Un simple effluve suffit pour évoquer l’être chéri. « Ouvrant une boîte, il répandit un nuage de poudre parfumée. Il en eut les mains blanches comme s’il les avait trempées dans la farine. Il se les essuya sur la poitrine, sur les épaules, sur les bras nus. Parfums délicieux. Il ferma les yeux ; il se frotta la joue contre son propre bras poudré. Contact d’une peau lisse contre son visage, parfum de poussière musquée des marins – sa présence réelle ! » Enfin, puisqu’il faut bien mourir, même si l’on vit dans le meilleur des mondes, les conditions de fin de vie sont optimisées. Un « robinet à patchouli entrouvert de façon à laisser couler le parfum goutte à goutte » et l’administration de comprimés de soma, un médicament qui met l’esprit en congé, constituent pour les mourants le moyen idéal de quitter un monde non moins idéal.
Concernant le patchouli, rappelons que c’est un parfum obtenu par distillation des feuilles séchées d’une plante de la famille des Labiées, Pogostemon patchouli. Cette plante est cultivée dans des contrées exotiques comme Penang ou Java… Du fait de l’adultération des huiles essentielles par les exportateurs asiatiques, les parfumeurs grassois prennent la décision dans les années 1930 de ne plus accepter que la matière première sèche à partir de laquelle ils réaliseront, eux-mêmes, la distillation (Natural perfumes, The Lancet, 223, 5779, 1934, Pages 1181-1182). Preuve est faite par ces falsifications que l’on ne vit pas, alors, dans le meilleur des mondes !
Le monde d’Aldous Huxley est un monde qui ignore la cellulite. « Vibromamassage par le vide » après chaque douche, « caféine en solution bouillante » mise à disposition dans les hôtels, autant de moyens pour conserver ou retrouver un corps parfait. Aldous Huxley s’est parfaitement renseigné sur les caractéristiques de la caféine. François Dorvault nous indique que celle-ci est soluble dans 80 parties d’eau à 15°, dans 50 parties d’eau à 20°, mais dans seulement 2 parties d’eau bouillante… il est donc évident que plus l’on chauffe l’eau, plus la caféine se dissoudra facilement !
Rides, capitons, bourrelets, sont exclus de ce monde parfait. Le prix à payer est, toutefois, un peu cher… il s’agit, en effet, de perdre son âme, à grand renfort de procédés de conditionnement !
Alors non merci, vivent les rides et les capitons !
En revanche, un immense merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour l'illustration de ce Regard !
En vous souhaitant... le meilleur des dimanches...