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Sur les traces du slugging, cette technique qui utilise la vaseline et non la bave d’escargot !

> 26 décembre 2022

Sur les traces du slugging, cette technique qui utilise la vaseline et non la bave d’escargot !

Le slugging est, nous dit-on, une technique consistant à appliquer, le soir, sur sa peau, une épaisse couche de vaseline, afin d’obtenir au petit jour une peau lumineuse et parfaitement hydratée.1 « Technique idéale pour les peaux déshydratées », titre Cosmopolitan, qui nous précise que cette mode nous vient tout droit de Corée !2 Sur la peau de leur visage ou de leurs mains, sur leurs cheveux, les adeptes de cette technique assez salissante (bonjour les taies d’oreiller !) ne reculent devant rien pour faire peau neuve au petit matin.3 Selon les sites, on trouvera des variantes quant au protocole recommandé. Dans certains cas, la vaseline est appliquée directement sur la peau, dans d’autres cas la vaseline est appliquée sur une peau préalablement enduite de « crème hydratante » adaptée au type de peau.4 Tout cela est bien joli, mais la vaseline est un dérivé de pétrole qui, bien que parfaitement toléré par l’épiderme, suscite des réactions contrastées. Pendant que certaines en consomment des tubes et des tubes, d’autres agitent le caractère anti-écologique de la matière première utilisée (« La vaseline est dans ce cas le produit parfait pour qui n'est pas regardant sur son origine. ») !5 Ingrédient que s’interdisent les chartes de cosmétiques biologiques, la vaseline peut-elle être utilisée en toute sécurité ? C’est à cette question que nous répondrons, aujourd’hui, en faisant un petit détour dans les archives d’un certain nombre de journaux scientifiques.

Pour le Dr Mac-Cormac, la vaseline est coincée entre un cataplasme à la mie de pain et un bonnet de lin !

En octobre 1875, dans The practitionner, le Dr Mac-Cormac considère la vaseline comme le meilleur remède pour venir à bout de la teigne ou d’autres affections d’origine fongique atteignant le cuir chevelu. La première étape consiste à raser les cheveux ou bien à les couper au plus court. La deuxième étape consiste à mélanger une partie de vaseline avec deux parties de saindoux, afin de mettre au point une pommade, qui sera appliquée doucement mais totalement (c’est-à-dire sans oublier un seul fragment de peau) une ou deux fois par jour. Un cataplasme de mie de pain ou de graines de lin peut tout à fait être glissé sous cette pommade mixte vaseline–graisse de porc. Un bonnet de lin propre (cela va sans dire, mais le Dr Mac-Cormac préfère le préciser) vient couronner le tout. Entre deux applications « grasses », un lavage à l’eau chaude et au savon est, bien sûr, plus que recommandé.6 Nous y voilà, nous sommes donc au XIXe siècle et le slugging thérapeutique, un slugging qui fait briller le crâne, est déjà d’actualité ! Sur la peau du cuir chevelu, on empile, déjà, un emplâtre, de la vaseline et le tout est hermétiquement fermé à l’aide d’un très esthétique petit bonnet !

En 1891, un certain Mr Luff rebondit sur cette notion d’excipient innovant susceptible d’être mélangé au lard ou de le remplacer pour la formulation d’excipient à usage thérapeutique. Son expérience personnelle lui montre que le phénomène d’absorption cutanée est beaucoup plus important lorsque l’on utilise de la vaseline à la place du lard et ce en ce qui concerne des principes actifs comme l’iodure de potassium, le phénol, le résorcinol...7 Nous y revoilà… La vaseline est donc considérée comme un ingrédient exhausteur de pénétration, qui offre les meilleures conditions pour optimiser le passage transcutané d’un certain nombre de principes actifs médicamenteux !

Pour le Dr Robinson, la vaseline est avalée dans un peu d’eau ou de jus d’orange

En 1904, dans la revue Atlanta J. Rec. Med., le Dr Robinson, qui est bien loin d’habiter sur une île déserte, rédige un très court article en l’honneur de la vaseline. Ce n’est, cette fois-ci, pas son action cutanée qui est mise en avant mais une action bien particulière obtenue par voie orale

Dans le cas du traitement de la constipation, le Dr Robinson recommande le cocktail vaseline-eau ou bien vaseline-jus d’orange comme lubrificateur intestinal. En cas de constipation sévère, ces cocktails donnent « d’excellents résultats », selon lui. Outre cet effet lubrificateur, il note un effet bénéfique sur le développement anarchique de la flore intestinale, du fait de la formation, sur la muqueuse, d’un film protecteur, peu favorable aux micro-organismes. Pour renforcer cet effet, il recommande, toutefois, l’ajout d’un antiseptique (le salol ou salicylate de phénol, par exemple).8 Un effet protecteur est donc clairement mis en avant.

1948, Hollander dit « attention, attention », l’occlusion n’est pas un phénomène anodin

Tout en disant beaucoup de bien d’une formule simplissime composée de vaseline (32 %), de bentonite (13 %), de méthylparaben (0,10 %), de laurylsulfate de sodium (0,50 %) et d’eau en tant d’excipient médicamenteux, voire même en tant que forme galénique active (ne nécessitant pas forcément l’adjonction d’ingrédient actif), Hollander se veut prudent du fait du caractère occlusif de la préparation et donc de sa capacité à augmenter le phénomène d’absorption cutanée des principes actifs associés. L’acide borique, en particulier, est pointé du doigt avec grande clairvoyance.9 On connait désormais, en effet, le profil toxicologique particulier de cet antiseptique aujourd'hui interdit d’usage cosmétique !10

Pour le Dr Knox, la vaseline remplace avantageusement les huiles végétales dans le bain !

En 1964, le Dr Knox, l’un des trois dermatologues texans a avoir inventé le concept d’huile lavante (une huile végétale additionnée de tensioactif non ionique)11 à destination des sujet souffrant de sécheresse cutanée, simplifie/raffine/modifie la formule, en creusant l’idée émise par Taylor, comme quoi les dérivés de pétrole adhèrent mieux à la peau que les huiles végétales. Partant de cette idée, Knox enfile la blouse du parfait chimiste et remplit des tubes à essais de kératine et de produits nettoyants de composition variée. Sa conclusion est sans appel : les dérivés de pétrole (la paraffine liquide, en particulier) possèdent plus d’affinité pour la kératine que l’acide oléique à 10 % dans l’huile minérale ou que l’huile d’olive. On comprendra dans ces conditions qu’un bain réalisé avec une huile lavante à base de dérivé de pétrole permettra de laisser à la surface de la peau un film protecteur plus important que celui laissé avec une huile lavante « végétale » !12 Un effet protecteur, surgraissant, une bonne affinité pour la couche cornée sont ainsi démontrés.

Pour le célèbre Dr Albert Kligman, la vaseline c’est aussi un ingrédient comédogène !

En 1972, Albert Kligman fait entrer le ver dans la pomme ! Certes, la vaseline est un excipient intéressant et ce tant dans le domaine pharmaceutique que cosmétique. Toutefois, il faut savoir que cet ingrédient peut être qualifié de « comédogène » et peut donc engendrer ce qu’il qualifie d’« acné cosmétique » !13 On parle aussi parfois de « vaselinodermie », pour dénommer cette acné particulière.14 A garder précieusement en mémoire.

Pour Batt et Fairhust, le principe d’hyperhydratation occlusive est étudié à l’aide de vaseline

En 1986, Batt et Fairhust s’intéressent au phénomène d’hydratation cutanée observée lorsque l’on place la peau sous occlusion, à l’aide entre autres d’une bonne couche de vaseline. La glycérine coincée entre la peau et la vaseline constitue alors un réservoir humectant, aboutissant à une peau parfaitement hydratée et beaucoup plus lisse que d’ordinaire.15 Le slugging redémontré un siècle après Mac-Cormac !

Pour Stuzin, la vaseline se substitue parfaitement au pansement occlusif dans le cadre de la médecine esthétique

1989 : Stuzin range dans ses tiroirs le pansement occlusif qui lui permettait jusque-là d’augmenter l’efficacité du peeling au phénol pratiqué. Pendant 18 mois, Stuzin et ses collaborateurs ont remplacé le pansement par une couche épaisse de vaseline et ont obtenu d’excellents résultats. Le confort du patient est optimisé ; le confort du médecin également car, avec la vaseline, il est possible de suivre l’évolution de la plaie plus aisément.16 Bref, la vaseline est adoubée en tant qu’adjuvant indispensable pour séance de rajeunissement optimisée ! Et on en remet une couche (épaisse) quant à l’effet occlusif de la vaseline. Un bon booster d’efficacité pour qui ne craint pas trop les effets indésirables du phénol !

Pour Yilin Fang, l’anti-rides, l’hydratant, le protecteur cutané d’aujourd’hui et de demain, c’est la vaseline !

En 2022, Yilin Fang vante les mérites de la gaze imprégnée de vaseline. Cette gaze, qui forme entre la peau et l’élastique de la charlotte (on parle ici de la charlotte protectrice utilisée par le corps médical) une barrière protectrice, constitue, à ses yeux, le dispositif le plus simple mais aussi le plus efficace. Solutions « lubrifiantes », « anti-pression », « anti-rides » les gazes imprégnées de vaseline revêtent ainsi un statut un peu spécial. A la fois dispositif médical permettant au personnel médical de se prémunir des agents pathogènes sans garder sur leur peau les traces des masques et charlottes utilisées et cosméto-textile (adieu les rides et la peau sèche), la gaze vaselinée semble bien séduire les chercheurs chinois.17 Les Chinois ne sont pas les seuls à chanter les louanges de la vaseline comme en témoignent les publications similaires émanant de collègues américains.18

Le slugging, en bref

Le slugging n’est, comme on peut le constater, pas une technique nouvelle ! Une simple promenade de santé dans une bibliothèque universitaire nous permet de trouver les réponses à toutes les questions que l’on peut se poser au sujet de cette curieuse mode. En résumé : la vaseline est effectivement un cosmétique (il s’agit d’une substance qui selon la définition-même du cosmétique peut être considéré comme tel) à caractère occlusif, qui permet d’hydrater la peau, en agissant comme un couvercle. L’eau qui bouillonne dans notre marmite cutanée ne pourra pas s’échapper tant que le couvercle restera en place. Si une préparation cosmétique (crème, sérum…) est glissée sous le couvercle, on optimisera le phénomène de pénétration cutanée des actifs (mais également d’autres ingrédients comme les conservateurs, par exemple). Donc, prudence. Enfin, la vaseline étant comédogène, il conviendra d’être prudent si l’on est un sujet jeune (susceptible de développer de l’acné) ou si l’on est un sujet plus âgé (susceptible de développer une acné cosmétique à force d’user de cette technique). Bon, ben voilà… c’est pas plus compliqué que cela. Pour en savoir plus sur les techniques dites « nouvelles », il suffit d’avoir une bonne connaissance du passé !

Bibliographie

1 https://madame.lefigaro.fr/beaute/tendance-slugging-astuce-beaute-a-base-de-vaseline-pour-hydrater-la-peau-280122-210594

2 https://www.cosmopolitan.fr/le-slugging-tendance-beaute-pour-peaux-deshydratees,2056315.asp

3 https://www.marieclaire.fr/tendance-slugging-skincare-peau-cheveux-hydratation,1426019.asp

4 https://www.journaldesfemmes.fr/beaute/conseils-soins/2700487-slugging-tendance-beaute-coree-risques/

5 https://www.beaute-test.com/mag/article-slugging-faut-il-craquer-pour-cette-technique-pour-peaux-seches.php

6 Petroleum in Skin Diseases. Atlanta Med Surg J. 1876 Apr;14(1):42

7 Lanolin and Vaseline. Hospital (Lond 1886). 1891 Jan 24;9(226):268

8 Vaseline in Constipation. Atlanta J Rec Med. 1904 Dec;6(9):646

9 Hollander L, McClenahan WS. Clinical investigation of bentonite-petrolatum ointments and ointment bases. J Invest Dermatol. 1948 Aug;11(2):127-36

10 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/l-acide-borique-le-loup-dans-la-bergerie-1102/

11 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/mercurochrome-une-huile-lavante-nickel-chrome-1721/

12 Knox JM, Ogura R. Adherence of bath oil to keratine. Br Med J. 1964 Oct 24;2(5416):1048-50

13 Kligman AM, Mills OH Jr. "Acne cosmetica". Arch Dermatol. 1972 Dec;106(6):843-50

14 Fisher AA. Contact dermatitis in black patients. Cutis. 1977 Sep;20(3):303, 308-9, 316 passim

15 Batt MD, Fairhurst E. Hydration of the stratum corneum. Int J Cosmet Sci. 1986 Dec;8(6):253-64

16 Stuzin JM, Baker TJ, Gordon HL. Chemical peel: a change in the routine. Ann Plast Surg. 1989 Aug;23(2):166-9

17 Fang Y, Wang L, Fang R. Using medical Vaseline gauze to alleviate the pressure injury caused by a mask and hat. J Am Acad Dermatol. 2022 Sep;87(3):e93-e94

18 Neill BC, Seger EW, Rickstrew J, Rajpara A. Use of petroleum jelly to improve surgical mask and eyewear associated skin irritation and fogging. Dermatol Online J. 2020 Dec 15;26(12):13030/qt4h05v29c

 

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