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Quand Jane cherche Tarzan version Charlotte Brontë !

> 09 mai 2024

Quand Jane cherche Tarzan version Charlotte Brontë !

Qui n’a pas lu, un jour, Jane Eyre de Charlotte Brontë ? Un drôle de roman, dans lequel on entend souffler le vent sur la lande anglaise. Il y a un vieux manoir étrange, dans lequel vit, cachée aux yeux de tous, une folle.1 Il y a son époux, M. Rochester, un gentleman, qui a recueilli une petite fille (Adèle Varens) dont on ne sait pas grand-chose. Et puis, il y a une jeune institutrice qui arrive parmi tout ce beau monde et qui crée la révolution dans un univers jusque-là sclérosé. Jane Eyre, puisque c’est d’elle dont il s’agit, possède un grand cœur. Orpheline, elle a connu les mauvais traitements d’une marâtre de compétition, la rudesse d’un orphelinat sans aucun confort, avant de découvrir, avec bonheur, les joies de l’enseignement. A Thornfield, Jane va découvrir l’amour… Une histoire où beaux et laids se heurtent les uns aux autres, comme des boules de billard, jusqu’à ce que la partie soit finie !

Un bon apothicaire

Chez les Reed, la pauvre Jane est malmenée. Punie à tout bout de champ, elle n’est aimée que d’une seule personne, une bonne (Bessie). Et puis, il y a aussi un apothicaire, qui est mandé lorsque Jane souffre de crises d’angoisse. Grâce à M. Loyd, l’apothicaire compatissant, elle va pouvoir quitter l’enfer dans lequel elle vit.

Une toilette sommaire

Chez sa tante (Mrs Reed), Jane se lave et s’habille au plus vite (« « J’étais depuis longtemps lavée et habillée […]).

A l’orphelinat, les conditions d’hygiène ne seront guère meilleures. L’hiver est glacial et l’eau gèle dans les brocs à eau, obligeant les fillettes à partir en cours, sans avoir fait leur toilette. « Le lendemain matin, il nous fut impossible de nous laver, car l’eau avait gelé pendant la nuit. » Ce qui n’empêche pas les maitresses de se montrer injustes vis-à-vis de leurs élèves, en leur reprochant leur manque de propreté. « Burns, lui dit le professeur (s’adressant à elle par son nom de famille, selon la coutume de Lowood, relevez la tête, vilaine fille. Et vous ne vous êtes pas nettoyé les ongles, ce matin… » Jane s’étonne du manque de réaction des élèves invectivées… Son tempérament impétueux ne supporterait pas, quant à lui, ce genre de remontrances injustifiées. « Burns ne répondit pas et je m’étonnai de constater qu’elle ne cherchait pas à expliquer la raison pour laquelle elle n’avait pu se laver, l’eau étant gelée. »

Des cheveux strictement attachés

M. Brocklehurst est le trésorier de l’orphelinat où Jane est recueillie. Tout est bon pour faire des économies. Les portions alimentaires sont réduites. En outre, M. Brocklehurst s’avère impitoyable quant à la bonne tenue des jeunes pensionnaires. Toutes les jeunes filles doivent arborer un « chignon serré » fort disgracieux. Gare aux cheveux roux ondulés susceptibles de s’échapper d’un chignon un peu trop lâche ! Julia, qui possède des cheveux qui « ondulent naturellement », a bien du mal à suivre le règlement à la lettre. M. Brocklehurst, impitoyable, ne voit alors qu’une solution à cette attitude jugée vulgaire : « J’ordonne que cette chevelure soit tondue dès demain. D’ailleurs, toutes ces jeunes filles attachent, semble-t-il, beaucoup trop d’importance à leur coiffure. Il faut que je voie cela de près. Et il ordonna que toutes les tresses de la classe des grandes fussent coupées dès le lendemain. » M. Brocklehurst considère que sa mission consiste à « mortifier » « tout esprit de complaisance envers la chair » chez les jeunes filles confiées à l’établissement. Pour arriver à son but, il n’hésite donc pas une seconde à employer les grands moyens !

Un physique franchement ingrat pour lui

Le maitre de Thornfield, M. Rochester, est un homme très riche et très… laid ! Trente-cinq ans (cela semble bien vieux pour l’époque !), une forte carrure, des « traits sévères »… le héros de cette histoire n’est pas un prince charmant tel qu’on nous les présente habituellement. Un visage « taillé dans le roc et des plis d’amertume », pleins le front… M. Rochester ne semble pas un hôte bien agréable pour une jeune fille de 18 ans à peine ! Un homme qui n’a pas été gâté par la vie ! Mais qui découvrira, pourtant, l’amour, lorsqu’un nouveau coup du sort l’aura frappé.

Un physique franchement ingrat pour elle

Jane Eyre rivalise de laideur avec son employeur, M. Rochester. D’ailleurs, celui-ci ne s’encombre pas de politesse, en remarquant que Jane est aussi laide que lui-même n’est pas beau ! « Cela vous va bien, d’ailleurs, bien que vous ne soyez pas plus jolie que je ne suis beau. » « Petite et laide », voilà comment Jane aime à se définir ! Mais un cœur d’or !

Un physique franchement délicieux pour une jeune fille prénommée Blanche

Blanche Ingram est la plus belle jeune fille du comté. A ce titre, elle est la fiancée de M. Rochester. « Grande, mince, de grands yeux noirs comme ceux de notre maître, une chevelure de jais… Elle a un port de reine. » Grande et belle, voilà comment tout le monde considère Blanche ! Mais un cœur sec et dur !

Et un petit cordial

M. Mason est venu voir sa sœur, en pleine nuit. Drôle d’idée ! La folle en profite pour le mordre au sang ! Pour le faire renaître à la vie l’on utilise alors des « sels » et un « petit cordial », qui le requinque immédiatement.

Et un jeune homme d’une beauté extraordinaire

Celui-ci entre en scène, alors que Jane s’est enfuie dans la lande, alors que son mariage avec M. Rochester vient d’échouer au pied de l’autel. Un homme a élevé une opposition absolue à ce mariage : M. Rochester est déjà marié. La folle, qui se cache dans une chambre obscure de son manoir, est son épouse légitime.

Jane s’enfuit et est recueillie par un pasteur (M. Rivers) et par ses sœurs. Le pasteur est « un homme jeune d’une beauté extraordinaire » et ses sœurs sont des « jeunes filles d’une beauté extrême » !

Et une jeune fille d’une beauté extraordinaire

Miss Oliver est une jeune fille d’une beauté angélique. Son teint parfait est « semblable au pétale d’une rose ». « Tout était beau dans ce visage et dans cette allure. » Miss Oliver aime passionnément M. Rivers, mais, malheureusement, cet amour n’est pas réciproque, puisque le sérieux pasteur ne rêve que de missions à l’autre bout du monde. Cet homme orgueilleux, qui souhaite vivre le martyr, ne cherche pas du tout à s’encombrer d’une personne aussi frivole que sa charmante voisine.

Jane Eyre, en bref

« La beauté sauvera le monde »… c’est du moins la morale de cette histoire. La beauté de l’âme de Jane Eyre a fait fondre la dure carapace, qui empêchait le cœur de M. Rochester de battre à l’unisson du sien. Tout est bien qui finit bien dans ce conte, où beaux et laids se croisent et se recroisent à toutes les pages. La beauté du cœur est ici magnifiée ; la beauté du cœur arrive à faire fondre la glace, qui entourait le cœur de M. Rochester. Un réchauffement climatique, qui survient durant l’époque victorienne… il fallait bien une Charlotte Brontë, pour arrêter le Gulf Stream de la littérature mondiale, en y instillant des notes délibérément modernes !

Bibliographie

Bronté C., Jane Eyre, Lecture et loisir, Dargaud Jeunesse, 1979, 189 pages

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