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Monologue du vagin : - " Alors, le talc pour ou contre ?"

> 30 mai 2017

Monologue du vagin : - " Alors, le talc pour ou contre ?"

Les organes génitaux externes sont un lieu d’application d’un certain nombre de principes actifs dans le cadre thérapeutique ou d’actifs dans le domaine cosmétique.

Au début du XXe siècle, certains médecins voient dans les bains et douches une mesure d’hygiène indispensable mais également un moyen « d’augmenter la vigueur des muscles » ou « d’augmenter les défenses »… Selon la température de l’eau, le bain sera excitant ou bien sédatif. « Les bains chauds souvent répétés sont débilitants »… Le protocole idéal doit donc être suivi à la règle sous peine de détruire le bel équilibre que l’on cherche à atteindre. L’eau n’est pas le seul « excipient » utilisé. On reconnaît beaucoup de bienfaits aux « bains solides » (bains de sable et bains de boue)…1

Après le bain, on talque la peau pour éliminer toute trace d’humidité et pour laisser un film doux à la surface cutanée. Le talc est présenté comme « la poudre de toilette idéale ». Utilisée pour réaliser un « massage après le bain », la poudre parfumée ou non convient aussi bien aux enfants qu’aux adultes. Chaque société sait vanter ses produits et « dénigrer » au passage les concurrents. Le talc parfumé Clarks, par exemple, est « la meilleure des poudres de toilette » ; « il remplace dans tous les cas et avec grand avantage les talcs du commerce plus ou moins purs […] »2

Au XXIe siècle, le poudrage de la région génitale après le bain reste une pratique courante dans certains pays. Aux Etats-Unis, par exemple, 40% des femmes utilisent un talc aux propriétés émollientes après le bain ou la douche. C’est le talc pour bébés qui est le plus souvent employé ; certaines ont, pourtant recours, à des cosmétiques spécifiques.3

Le bain, le talc, les impuretés contenues dans ce dernier… voici les acteurs de la pièce qui se joue depuis une soixantaine d’années… La mise au contact du talc (ou du cosmétique présenté comme tel) avec la région génitale est l’objet de débats récurrents…

Il faut rappeler que le cancer des ovaires est le 7e cancer féminin et la 8e cause de décès par cancer chez la femme, dans le monde. Les facteurs de risque sont nombreux. Certains sont bien établis ; c’est le cas, en particulier, du terrain génétique (facteurs de risques familiaux), de certaines pathologies tels que l’endométriose, l’obésité, le fait de fumer... D’autres facteurs sont plus controversés, comme l’usage du talc au niveau génital.4

La suspicion de lien entre utilisation de talc au niveau génital et développement de cancer des ovaires est un thème sur lequel se penchent les chercheurs depuis les années 1960. On sait, en effet, que le talc peut être mélangé à de l’amiante au niveau de certains gisements. En 1967, Graham & Graham démontraient l’implication de l’amiante administré par voie intrapéritonéale dans le développement d’hyperplasies ovariennes chez le cochon d’Inde et le lapin.

En 1971, Henderson détecte la présence de talc dans 75 % des tissus cancéreux étudiés par ses soins. Il est utile de préciser que l’échantillon est de petite taille, puisqu’il ne concerne que 13 patientes atteintes de cancer épithélial de l’ovaire. Il est bon de préciser que ce n’est pas parce que l’on trouve une substance dans un organe malade que cette substance est forcément impliquée dans le processus pathologique.

En 1999, Wong publie les résultats d’une étude, menée au Roswell Park Cancer Institute, entre octobre 1982 et octobre 1995, concernant le comportement vis-à-vis du poudrage à l’aide de talc d’un échantillon de 499 femmes atteintes de cancer des ovaires et d’un échantillon de 755 femmes traitées pour une autre pathologie qu’un cancer gynécologique. L’analyse des données ne permet pas de déceler de différences significatives entre les 2 populations.5

En 2013, l’Ovarian Cancer Association Consortium fait le bilan de 8 études regroupant en tout 8525 femmes souffrant de cancers des ovaires et 9859 femmes-témoins. Il apparaît que l’utilisation de talc est associée à une augmentation modeste, mais significative, du risque de développer un cancer épithélial des ovaires (augmentation de l’ordre de 20 à 30 %). Il est toutefois difficile de se faire une idée juste de l’impact du talc sur le risque de développer un cancer des ovaires. En effet, dans cette étude, est prise en compte l’utilisation de poudres au niveau génital, périnéal ou rectal après le bain ou indirectement par le biais de sous-vêtements, de serviettes hygiéniques, de tampons, de dispositifs contraceptifs…6 Si dans la grande majorité des cas les femmes ont pu répondre de manière globale concernant leur consommation de tel ou tel produit, il n’est pas possible d’avoir accès, a posteriori, aux compositions exactes des produits incriminés.

Le fait que le talc soit un ingrédient ubiquitaire explique les résultats surprenants d’une étude datant de 1996. Sur 100 % des prélèvements réalisés, que la femme indique utiliser un talc ou non, l’on retrouvait du talc. La faible taille de l’échantillon (n = 24) est certes source de discussions, il n’en reste pas moins que le talc présent au niveau ovarien a une origine autre que cosmétique.7

Le problème du talc, une affaire d’argent : en février 2016, la famille d’une patiente atteinte d’un cancer des ovaires obtient des dédommagements de la part de la société Johnson & Johnson à hauteur de 72 millions de dollars, ce qui ne manque pas de déclencher un certain nombre de réactions. Mai 2016, même scénario avec une plaignante de 62 ans en rémission d’un cancer des ovaires : 110 millions de dollars à la clé !

Ces décisions semblent bien étonnantes lorsque l’on sait que les chercheurs eux-mêmes n’osent pas affirmer de façon péremptoire l’existence d’un lien entre usage de talc et cancer des ovaires. Comment prouver l’utilisation quotidienne d’un cosmétique sur une longue période ? Comment réduire une association de différents facteurs en un seul et unique ?

Alors, pour ou contre le talc ?

Pour cet ingrédient, lorsqu’il est utilisé de façon raisonnable. L’application d’une poudre après le bain (geste qui ne doit pas être très fréquent en France du fait du peu de références retrouvées sur le marché) doit être effectuée avec légèreté, en évitant, par précaution, la région génitale.

Pour cet ingrédient, qui entre dans la composition des fonds de teint, des déodorants… et plus généralement dans les cosmétiques où l’on cherche un effet absorbant, matifiant (Voir regard « Le talc un peu de douceur dans un monde de brutes »).

Pour cet ingrédient, dont la qualité sera rigoureusement contrôlée.

Contre cet ingrédient, lorsqu’il est utilisée de manière abusive et selon un protocole qui ressemble fort à un mésusage !

Contre cet ingrédient, si sa qualité est douteuse !

Bibliographie

1 Lusi, La femme moderne, 1905, 310 pages

2 G. Clarks, Le nouveau bréviaire de la beauté, Paris, 1912, 192 pages

3 John Whysner, Melissa Mohan, Perineal application of talc and cornstarch powders: Evaluation of ovarian cancer risk, American Journal of Obstetrics and Gynecology, 182, 3, 2000, 720-724

4 Penelope M. Webb, Susan J. Jordan, Epidemiology of epithelial ovarian cancer, Best Practice & Research Clinical Obstetrics & Gynaecology, 41, 2017, 3-14

5 Cheung Wong, Ronald E Hempling, M.Steven Piver, Nachimuthu Natarajan, Curtis J Mettlin Perineal talc exposure and subsequent epithelial ovarian cancer: a case-control study, Obstetrics & Gynecology, 93, 3, 1999, 372-376

6 Steven A. Narod, Talc and ovarian cancer, Gynecologic Oncology, 141, 3, 2016, 410-412

7 Debra S. Heller, Carolyn Westhoff, Ronald E. Gordon, Norman Katz, The relationship between perineal cosmetic talc usage and ovarian talc particle burden, American Journal of Obstetrics and Gynecology, 174, 5, 1996, 1507-1510

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