Les cosmétiques, des générateurs d’émotions !

Si l’on utilise des cosmétiques pour avoir une belle peau ou pour améliorer des problèmes de peau ou pour éviter qu’une belle peau ne vieillisse trop vite (la recherche d’une peau parfaite est universelle, selon Desmond Morris),1 on a également recours aux cosmétiques pour d’autres raisons et en particulier pour se sentir bien.

La fonction psychologique du cosmétique est indéniable. En sont témoins, les ressentis négatifs liés à la claustration pendant l’épidémie de COVID. En se laissant aller, en ne soignant plus ni sa peau, ni ses cheveux, c’est bien plus que l’aspect de l’individu qui est touché, puisque celui-ci ressent une insatisfaction, mise en lien avec l’abandon des routines cosmétiques habituelles.2

De ce fait, si un cosmétique est capable de créer une émotion qui fait du bien, une émotion que l’on a envie de ressentir à nouveau, il est possible d’établir un lien entre le cosmétique et l’utilisateur. Un lien qui déclenche l’achat et engendre la fidélité.3 Dans ces conditions, on comprend l’engouement d’une partie de l’industrie cosmétique pour ce sujet plein de promesses.

L’aventure commence dès la boîte !

Le conditionnement et la sémantique utilisés jouent un rôle important en matière de sensations procurées. Ainsi des sujets, à qui l’on demande de comparer la sensorialité d’une crème de base par rapport à une crème « riche », trouveront-ils cette dernière plus agréable à appliquer, la notion de « richesse » étant un argument de poids en matière de psychologie.4

L’aventure commence dès le premier coup d’œil !

Il est important, en effet, que tout soit congruent dans le produit cosmétique. Argumentaire marketing, texture, couleur, parfum doivent marcher main dans la main, pour pouvoir déclencher une émotion… positive.5 Si l’un de ces éléments n’est pas au rendez-vous… difficile d’obtenir les émotions espérées.

Des émotions qui appellent des souvenirs

L’effet Proust, la madeleine de Proust… Tout le monde, même ceux qui n’ont jamais mis le nez dans La Recherche, connait ce phénomène, qui consiste à se replonger dans le passé, via une sensation olfactive… Le parfum de la madeleine trempée dans du thé constitue, pour Marcel Proust, un excellent véhicule, ou plutôt le carburant d’un excellent véhicule, lui permettant de retrouver son âme d’autrefois. Retour à la case enfance, dans l’atmosphère familiale d’une petite commune de province.6 La madeleine, trempée dans le thé, est passée à la postérité ; une fragrance qui ouvre la porte des bons souvenirs. Ce qui est moins connu, moins cité, c’est la fragrance qui, pour l’auteur, fonctionne à rebours de la madeleine, le jetant dans le désespoir le plus profond. Approchez un flacon de vétiver des narines de Marcel… et vous verrez que le résultat ne sera pas le même qu’avec la célèbre petite pâtisserie. Le vétiver est associé, chez lui, à la notion de solitude, d’angoisse ressentie dans une chambre d’hôtel où l’on dort pour la première fois. La mémoire de Marcel Proust (et la nôtre également) est « une espèce de pharmacie, de laboratoire de chimie, où on met au hasard la main tantôt sur une drogue calmante, tantôt sur un poison dangereux » !7 Le rôle du parfum dans un cosmétique est, à ce titre, incontournable et forcément générateur d’émotions.

Des émotions qui s’ajoutent aux fonctions

Le législateur, qui s’est occupé de la définition du cosmétique (« toute substance ou tout mélange destiné à être mis en contact avec les parties superficielles du corps humain (épiderme, systèmes pileux et capillaire, ongles, lèvres et organes génitaux externes) ou avec les dents et les muqueuses buccales en vue, exclusivement ou principalement, de les nettoyer, de les parfumer, d’en modifier l’aspect, de les protéger, de les maintenir en bon état ou de corriger les odeurs corporelles », selon le Règlement(CE) N°1223/2009, s’est donné pour mission de faire rentrer le cosmétique dans une case bien précise, en indiquant le lieu d’application et les fonctions possibles. Il s’est borné à présenter des éléments connus depuis des siècles, en déclarant que, ce que l’on utilise pour se laver, pour se maquiller, pour protéger sa peau, ses cheveux, ses dents, ses ongles, pour se parfumer et masquer l’odeur sui generis, est un produit cosmétique.

Le législateur n’a alors pas souhaité ouvrir la boite à sensations… même si l’on sait qu’un produit d’hygiène, qui permet d’éliminer les salissures, exerce par ailleurs bien d’autres fonctions qu’un simple effet détergent, avec un rôle émotionnel, qui tient à peu de chose. En ajoutant dans une base lavante toute bête un actif ou un additif (souvent un parfum) tout bête, on change complètement la donne. Le geste de se laver passe presque au second plan, puisque l’on nous parle d’ingrédients capables de provoquer des sentiments de relaxation ou bien au contraire exerçant un effet tonifiant. Des effets sur l’humeur aussi !8 On nous parlait, à ce sujet, en 2006, de l’intérêt d’incorporer de l’huile essentielle de lavande dans le produit douche du matin si l’on voulait être détendu, de bonne humeur et près à résoudre des problèmes mathématiques en un temps record.9

Dans le même genre d’idée, en incorporant dans une émulsion de base un quatuor d’ingrédients triés sur le volet (Juniperus phoeniceagum extract, Copaifera officinalis resin, Aniba rosaeodora wood oil, Juniperus virginiana oil), il serait possible, nous dit, de résister au stress psychosocial. C’est du moins ce qui a été mis en évidence par une équipe italienne, qui démontre les bienfaits d’un automassage du visage quotidien avec un cosmétique à la sensorialité éprouvée. En cas de stress, mieux armées pour résister, les volontaires ont pu faire face à un stress psychologique, montrant une belle « résilience » (tests physiologiques à l’appui).10 A ne pas ébruiter… si l’on met au point des cosmétiques anti-harcèlement, soyons sûr que l’on n’est pas prêt de juguler ce fléau !

Des émotions détectables au niveau du ciboulot !

Les cosmétiques, une fois appliqués sur la peau, génèrent des émotions brutales : « j’aime » ou « j’aime pas » le parfum, la texture… Des émotions traçables désormais par électroencéphalogramme.11 Des émotions qui peuvent être quantifiées, catégorisées… et qui permettent de montrer des différences visibles entre produits de luxe et de produits bon marché.12

Des émotions, des sensations (apaisement, réduction du stress), qui sont mises en lien avec certaines molécules volatiles, retrouvées dans certaines boissons, qui peuvent devenir des ingrédients cosmétiques exploitables ou déjà exploités. L’occasion de revenir à la tasse de thé de ce cher Marcel. Un thé qui, pour certaines variétés (cas du thé Oolong, en particulier) possède un parfum jasminé dû à la cis-jasmone et au jasmonate de méthyle, des molécules présentant un effet GABAergique.13

Des bénéfices détectables au niveau sanguin

Se maquiller constitue un acte qui va beaucoup plus loin que la peau. On sait que des bénéfices psychologiques sont associés à cet acte qui parait anodin pour certaines et qui, pour d’autres, permet de retrouver moral et sérénité. Le dosage de certains marqueurs de stress comme le cortisol permet de montrer concrètement les bénéfices liés à l’application de ce type de cosmétiques.14

Des bénéfices détectables par les autres

Les odeurs corporelles déplaisantes peuvent être sources de troubles de l’estime de soi. En témoigne une étude réalisée sur volontaires, qui montre que le niveau d’estime de soi de sujets masculins varue selon la caractérisation olfactive de la sueur émise par un échantillon de volontaires de sexe féminin.15 En résumé, plus l’on sûr de soi, moins les odeurs sont déplaisantes. En sachant, par ailleurs, qu’il existe des déodorants très efficaces qui permettent de tricher avec la nature.

Des cosmétiques émouvants, en bref

Le résultat il est sur la peau, sur les cheveux… Oui, certes, mais également et, parfois, surtout « dans la tête » ! Il y a toutes sortes d’ingrédients cosmétiques qui permettent de créer des produits que l’on pourra qualifier de « sensoriels », c’est-à-dire répondant à toutes nos exigences en matière d’aspect, d’odeur, de couleur. Des produits, qui font remonter à la surface des souvenirs anciens, des produits qui donnent de belles couleurs au présent et qui font voir l’avenir sous de beaux auspices.

Bibliographie

1 Oliveira C, Coelho C, Teixeira JA, Ferreira-Santos P, Botelho CM. Nanocarriers as Active Ingredients Enhancers in the Cosmetic Industry-The European and North America Regulation Challenges. Molecules. 2022 Mar 3;27(5):1669

2 Marahatta S, Singh A, Pyakurel P. Self-cosmetic care during the COVID-19 pandemic and its psychological impacts: Facts behind the closed doors. J Cosmet Dermatol. 2021 Oct;20(10):3093-3097

3 Roso A, Aubert A, Cambos S, Vial F, Schäfer J, Belin M, Gabriel D, Bize C. Contribution of cosmetic ingredients and skin care textures to emotions. Int J Cosmet Sci. 2024 Apr;46(2):262-283

4 Spence C, Zhang T. Multisensory contributions to skin-cosmetic product interactions. Int J Cosmet Sci. 2024 Dec;46(6):833-849

5 Bourdier A, Abriat A, Jiang T. Impacts of sensory multimodality congruence and familiarity with short use on cosmetic product evaluation. Int J Cosmet Sci. 2023 Oct;45(5):592-603

6 Green JD, Reid CA, Kneuer MA, Hedgebeth MV. The proust effect: Scents, food, and nostalgia. Curr Opin Psychol. 2023 Apr;50:101562

7 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/des-odeurs-et-des-parfums-autour-d-une-prisonniere-196/

8 Blaak J, Grabmann S, Simon I, Callaghan T, Staib P. Five dimensions of cleansing: A holistic view on the facets and importance of skin cleansing. Int J Cosmet Sci. 2023 Oct;45(5):557-571

9 Field T, Diego M, Hernandez-Reif M, Cisneros W, Feijo L, Vera Y, Gil K, Grina D, Claire He Q. Lavender fragrance cleansing gel effects on relaxation. Int J Neurosci. 2005 Feb;115(2):207-22

10 Sgoifo A, Carnevali L, Pattini E, Carandina A, Tanzi G, Del Canale C, Goi P, De Felici Del Giudice MB, De Carne B, Fornari M, Gavazzoli B, Poisa L, Manzoni D, Bollati D. Psychobiological evidence of the stress resilience fostering properties of a cosmetic routine. Stress. 2021 Jan;24(1):53-63

11 Kim J, Hwang DU, Son EJ, Oh SH, Kim W, Kim Y, Kwon G. Emotion recognition while applying cosmetic cream using deep learning from EEG data; cross-subject analysis. PLoS One. 2022 Nov 10;17(11):e0274203

12 Moriya H, Machida A, Munakata T, Herai T, Tagai K. Relationships between subjective experience, electroencephalogram, and heart rate variability during a series of cosmetic behavior. Front Psychol. 2024 May 14;15:1225737

13 Hartley N, McLachlan CS. Aromas Influencing the GABAergic System. Molecules. 2022 Apr 8;27(8):2414. doi: 10.3390/molecules27082414

14 Battie C, Verschoore M. Dermatologie, cosmétique et bien-être. Ann Dermatol Venereol. 2011;138(4):294-301

15 Croijmans I, Beetsma D, Aarts H, Gortemaker I, Smeets M. The role of fragrance and self-esteem in perception of body odors and impressions of others. PLoS One. 2021 Nov 15;16(11):e0258773