Nos regards
Le savon surgras, merci Dr Unna !

> 22 novembre 2023

Le savon surgras, merci Dr Unna !

Le XIXe siècle constitue véritablement le siècle du savon, tant ce produit y est mis à l’honneur. Le Dr Paul Gerson Unna (1850 – 1929), lui non plus ne boude pas cet excipient qui lui permet de véhiculer un certain nombre de principes actifs médicamenteux. Ce célèbre dermatologue, originaire de Hambourg, est l’inventeur du savon surgras, un produit d’hygiène bien connu de nos jours. Démonstration…

Le savon médicinal, sans huile de coco, svp !

Pour le Dr Unna, un bon savon se doit d’être réalisé à l’aide de graisse animale et non à base d’une huile végétale comme l’huile de coco, à caractère asséchant pour la peau.1 Pourtant, il n’hésite pas à faire des entorses à sa propre théorie, lorsqu’il propose, comme recette de « savon fondamental avec excès de graisse », une formule composée « d’excellent suif de bœuf, d’huile d’olive, de lessive de soude et de lessive de potasse », et proposée comme produit de toilette, pour qui veut ressentir « une agréable sensation de souplesse », en sortant de sa salle de bains ou bien comme excipient de médicament, pour qui vient de se faire prescrire un savon à l’ichthyol, dans le cadre du traitement de l’acné ou d’une folliculite.2 L’ichthyol, le principe actif de choix en dermatologie selon ce même Unna !3

Le savon médicinal, avec beaucoup de graisses en surplus, svp !

Pour le Dr Unna, un bon savon se doit d’être « surgras », c’est-à-dire d’être formulé avec un excès de graisse, par rapport à l’alcali choisi. Certaines personnes pensent que la présence d’huile de coco est indispensable pour obtenir un savon qui lave bien et mousse bien… Le Dr Unna avec son overfatty soap s’inscrit en faux contre cette idée, indiquant à qui veut l’entendre que le savon animal surgras est le meilleur du marché, dans la mesure où il lave parfaitement bien la peau, la laissant, ensuite, « douce et fraîche » ! Adapté à l’adulte comme à l’enfant, le savon surgras convient à tout public et en particulier au sujet atteint d'eczéma.1 Du gras en excès… Paul Gerson Unna décide donc de faire « hypergraisser » (sic) ses savons, en calculant avec précision la quantité de base nécessaire pour que la réaction de saponification soit « complète », puis il ajoute « une certaine quantité (en moyenne 3 à 4 %) de graisse « non-composée ». Le savon ainsi obtenu se distingue des savons riches en base libre qui font beaucoup « d’écume » ! Pourtant de la théorie à la pratique il y a des écarts. En se mettant à la paillasse et en réalisant des savons hypergras 100 % graisse animale (graisse de bœuf saponifiée + graisse de bœuf libre), Unna se rend compte que les savons obtenus ne lui conviennent pas du point de vue de leurs caractères organoleptiques ; il est donc obligé de réviser sa théorie et d’accepter d’utiliser comme agent surgraissant… de l’huile d’olive.4

Le savon surgras, un concept qui dure

Le formulaire Astier de 1942 rend toujours hommage au « savon surgras de Unna », une dizaine d’années après la mort de son inventeur.

A l’heure actuelle, difficile de trouver dans la littérature scientifique des publications consacrées exclusivement aux savons surgras. En revanche, avec un peu de patience, en surfant sur un site comme Pubmed et en épluchant les publications ayant trait aux cosmétiques en général et aux savons en particulier, il est possible de trouver des travaux ayant trait aux agents surgraissants (acides gras libres ou insaponifiés, huiles, graisses, beurres) incorporés dans les savons. Ceux-ci, bien que présentés comme des « composants mineurs (1 à 8 %) » des formules de savons, sont considérés comme des ingrédients majeurs en ce qui concerne la qualité des produits obtenus, tant en matière de sensorialité qu’en matière de tolérance cutanée.5 En petite quantité, donc… mais d’importance capitale !

Des publications scientifiques actuelles proposent d’ailleurs des agents surgraissants originaux, dans l’air du temps (acides gras type acides laurique, myristique, palmitique et oléique), obtenus à partir de divers insectes.6

Le savon surgras, en bref

On connaissait la saucisse de Strasbourg on découvre, aujourd’hui, le savon surgras de Hambourg. Ce savon, qui nettoie la peau et élimine le « mauvais » gras, dépose, en théorie, un « bon » film gras à la surface cutanée limitant ainsi l’habituel phénomène délipidant du savon.7 Merci donc Dr Unna pour cette judicieuse idée !

Bibliographie

1 Jamieson WA. A Demonstration of the New Modes of Treating Skin Diseases Introduced by Dr Unna, of Hamburg. Trans Med Chir Soc Edinb. 1886;5:174-178

2 http://bore.usp.br/xmlui/bitstream/handle/123456789/358/S-1465792_BROCQ_Precis_elementaire_de_dermatologie_1893.pdf

3 https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=8icVd5PGurQC&oi=fnd&pg=PA12&dq=article+scientifique+savon+unna&ots=n4R32QEGtF&sig=aUXGersiPsmug5SYbgi3ZYcra94#v=onepage&q&f=false

4 https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=-i5mAAAAcAAJ&oi=fnd&pg=PA2&dq=article+scientifique+savon+unna&ots=YYJmihMTdC&sig=hczW93atyUqFjWdM42qt839Lmz0#v=onepage&q&f=false

5 Prieto Vidal N, Adeseun Adigun O, Pham TH, Mumtaz A, Manful C, Callahan G, Stewart P, Keough D, Thomas RH. The Effects of Cold Saponification on the Unsaponified Fatty Acid Composition and Sensory Perception of Commercial Natural Herbal Soaps. Molecules. 2018 Sep 14;23(9):2356

6 Franco A, Salvia R, Scieuzo C, Schmitt E, Russo A, Falabella P. Lipids from Insects in Cosmetics and for Personal Care Products. Insects. 2021 Dec 30;13(1):41

7 Un savon surgras, qu’est-ce que c’est ? | Regard sur les cosmétiques (regard-sur-les-cosmetiques.fr)

Retour aux regards