> 12 avril 2022
Les odeurs corporelles constituent des éléments de reconnaissance individuelles, au même titre que les traits du visage ou la voix ; ces odeurs, qui proviennent majoritairement de la sueur, ont beaucoup de choses à nous raconter nous disent les chercheurs travaillant dans les domaines de la biologie et de la psychologie.1 Dis-moi l’odeur que tu dégages, je te dirai comment tu te sens (dans toutes les acceptations du terme) nous dit-on également. La sueur liée à un sentiment de peur, la sueur produite dans un état heureux ou bien dans un état neutre ne traduisant ni bonheur excessif, ni craintes particulières, sont autant de sueurs de compositions chimiques différentes ;2 donne-moi un échantillon de ta sueur et je te dirai ton état d’esprit ! Oui, cette sueur, ces odeurs corporelles sont des éléments importants de la personnalité de chacun... des éléments que l’on masque, pourtant, le plus souvent à l’aide de cosmétiques parfumés ou de déodorants, pour la bonne raison que ces odeurs sont jugées comme étant désagréables.3 Une lutte quotidienne doit donc être menée, afin de maitriser les odeurs produites, lors de la transformation, par les bactéries de la peau, des composants non volatils de la sueur en composants volatils malodorants.4 En optimisant la composition de la flore cutanée (également appelée microbiote) au niveau axillaire, on espère ainsi vaincre, dans la durée, les odeurs corporelles. Et puisque les bactéries ont la cote, on joue la carte « prébiotiques », « probiotiques » à fond !
Au niveau des aisselles, c’est la fête pour les bactéries de la flore cutanée. Hébergées dans le film cutané de surface, les bactéries disposent de tout ce dont elles ont besoin pour vivre. Les glandes eccrines qui produisent une sueur aqueuse et les glandes apocrines qui produisent une sueur grasse mettent en effet à leur disposition le « boire » et le « manger » indispensables à leur bon état de santé. Des corps gras non volatils constitutifs de la sueur apocrine, les bactéries cutanées n’en font qu’une bouchée, les digérant, les transformant en composés volatils, tels que l'acide 3-hydroxyhexanoïque ou l'acide 3-hydroxy-3-méthylhexanoïque... Pour contrer les odeurs générées, il est possible d’avoir recours aux actifs traditionnels (citrate de triéthyle, ricinoléate de zinc, ingrédients antiseptiques...) ou bien de se mettre à la page en employant les mots magiques de « prébiotique » et de « probiotique ».5 On trouve ainsi dans la littérature des tests réalisés sur des volontaires avec des actifs issus de la bioconversion. Quésaco que la bioconversion ? Il s’agit d’une technique qui consiste à cultiver des microorganismes (des bacilles lactiques, Lactobacillus acidophilus, par exemple), sur des milieux de compositions variées (un milieu où l’on retrouve par exemple des extraits de graines de Lotus corniculatus). Dans ces conditions optimales, les bacilles se mettent à produire des métabolites secondaires de toutes sortes qui sont recueillis précieusement, afin de les exploiter dans les cosmétiques. Dans le cas précis des Lactobacillus cultivés sur graines de lotus, les métabolites principaux sont... l’acide benzoïque, le silanol, l’acide palmitique, le propylène-glycol... Ce petit cocktail d’ingrédients placés au niveau des aisselles des volontaires engendre une réduction de certains germes tels que Corynebacterium et Anaerococcus (les germes désignés comme étant à l’origine des odeurs).6 Tout ça pour ça, avons-nous envie de dire... De l’acide benzoïque7 pour lutter contre les odeurs ! C’est le serpent qui se mord la queue... Après toutes ces manipulations, ce qui sort du creuset c’est un antiseptique utilisé autrefois pour traiter les bronchites chroniques.
Ce serait trop facile de stigmatiser une catégorie de bactéries en matière de production des odeurs, nous préviennent vertement des chercheurs de Procter & Gamble, qui nous avouent que Staphylococcus est bien capable de produire de l’acide isovalérique (l’acide à l’origine de l’odeur nauséabonde de la valériane) et de l’acide acétique (l’odeur de vinaigre que l’on ne présente plus),8 quand il le veut bien.
Bon, on a compris, les bactéries que l’on va utiliser sont exploitées pour leur capacité à produire des soupes, des cocktails d’ingrédients aux propriétés variées. En effet, il paraît assez improbable de pouvoir administrer des cosmétiques à base de bactéries vivantes à l’heure actuelle !
Un petit tour des déodorants agissant sur le microbiote s’impose.
Chez Biosme, les bactéries vivent en symbiose avec les équipes R&D ; les formules sont présentées comme « ultra haute tolérance sans conservateurs, sans allergènes, sans sulfates et sans colorants » ; elles « contiennent un minimum de 5 % de probiotiques ! » Sans conservateurs ? Pas vraiment, lorsque l’on détaille la composition du déodorant blanc coton, le benzoate de sodium incorporé,7 tout comme le sorbate de potassium associé,9 étant des conservateurs antimicrobiens très connus et très utilisés par l’industrie cosmétique. En matière de « probiotiques » une petite précision est à apporter. Les probiotiques, retrouvés dans les cosmétiques, ne répondent pas à la définition des probiotiques, admise dans le domaine du complément alimentaire.5 En lieu et place des micro-organismes vivants susceptibles de proliférer chez l’hôte qui veut bien les accueillir, on retrouve par exemple des filtrats obtenus à partir des milieux de culture (c’est le cas ici avec les filtrats obtenus à partir de ferments comme Lactobacillus et Saccharomyces ; dans le cas de Lactobacillus, on nous indique que le milieu de culture utilisé renferme une Graminée du genre Arundinaria). Les substances fabriquées par ces micro-organismes se retrouvent donc dans ces filtrats et sont référencées à l’inventaire européen comme des agents « filmogènes et conditionneurs »10 ou comme des humectants.11 Sous le nom INCI de « lactobacillus ferment » se cache le « produit de la fermentation de lactobacillus », à effet conditionneur cutané.12 Empêtré dans un excipient renfermant un tensioactif et des conservateurs antimicrobiens, on doute un peu de la vitalité des organismes en question. On s’en félicite d’ailleurs dans la mesure où l’on ne souhaite pas forcément appliquer un bouillon de culture sur sa peau. Reste une formule assez plate, dénuée d’ingrédients à fonction désodorisante. Le terme « booster l’immunité » est sans aucun doute un peu excessif !
Le savon et les micro-organismes font-ils bon ménage ? Non, pas vraiment, c’est le moins que l’on puisse dire.13,14 On sait, en effet, qu’un lavage fréquent des mains au savon entraîne des modifications de la flore cutanée.15 Dans ce déodorant La Rosée, le savon (sodium stearate) et les ferments du genre Lactobacillus cohabitent tant bien que mal. Une terre de diatomées riche en oxyde de silicium,16 comme agent absorbant, voilà ce que nous retenons comme actif désodorisant.
Pas de probiotiques chez Pulpe de vie, mais une formule assez classique, misant sur le pouvoir désodorisant du bicarbonate de sodium et du ricinoléate de zinc.17,18 Comme prébiotique, l’inuline est effectivement connue comme susceptible de faire le ménage entre les bons germes (S. epidermidis) et les mauvais (S. aureus).19
Le déodorant roll on Evolve consiste en une solution épaissie renfermant du citrate de triéthyle, l’un des actifs désodorisants les plus populaires du marché. Un effet antiseptique, un effet inhibiteur d’enzymes qui concourent à une réduction des odeurs corporelles. Le pullulane, un biopolymère obtenu à partir de champignons,20 considéré comme un prébiotique est bien présent.21
Un yaourt « alternatif »,22 toutefois, pas le bête yaourt connu de tous. Une sorte de petit bouillon fermenté obtenu en mettant en culture des germes (on aimerait d’ailleurs savoir lesquels) dans un milieu renfermant des dérivés de coco (ingrédient non référencé à l’inventaire européen à ce jour). Ce yaourt alternatif est véhiculé par un excipient à base de corps gras. De l’oxyde de zinc est utilisé comme agent absorbant.
Chez Collistar, le déodorant est alcoolisé (pour avoir la peau du microbiote cutané) et renferme des prébiotiques (pour renforcer le microbiote cutané). Les prébiotiques annoncés sont bien là sous forme entre autres d’oligosaccharides23 ou de xylitol.24 Pour le reste, le combat entre pro-microbiote et anti-microbiote fait rage !
Avec de l’alun en tête de la liste des ingrédients, le déodorant Green People mériterait plutôt l’appellation d’« anti-transpirant ». Ce sel double d’aluminium et de potassium, connu à l’inventaire européen comme « astringent »25 est un actif anti-transpirant,26 renfermant de l’aluminium ; il se retrouve ici dans une émulsion composée de corps gras, de tensioactifs et d’eau. Les prébiotiques annoncés consistent en des oligosaccharides. La protéine de quinoa hydrolysée, à effet apaisant, contrebalance l’effet irritant du sel d’aluminium (cet effet est pourtant nécessaire pour constater l’efficacité anti-transpirante du sel d’aluminium).27 Enfin, notons la présence de ricinoléate de zinc, un capteur d’odeur bien connu.
Un peu le chaos dans ces références variées. Des incohérences entre des ingrédients qui sont là pour venir à bout des bactéries cutanées et d’autres ingrédients qui sont là pour les faire proliférer. Aux aisselles de s’y retrouver là dedans ! Aux consommateurs d’y comprendre quelque chose... Et là, il va falloir faire un peu de ménage et beaucoup d’efforts pour rendre audible un message qui n’est pas encore complètement rodé !
1 Cecchetto C, Fischmeister FPS, Gorkiewicz S, Schuehly W, Bagga D, Parma V, Schöpf V. Human body odor increases familiarity for faces during encoding-retrieval task. Hum Brain Mapp. 2020 May;41(7):1904-1919
2 Smeets MAM, Rosing EAE, Jacobs DM, van Velzen E, Koek JH, Blonk C, Gortemaker I, Eidhof MB, Markovitch B, de Groot J, Semin GR. Chemical Fingerprints of Emotional Body Odor. Metabolites. 2020 Feb 28;10(3):84
3 Sorokowska A, Sorokowski P, Havlíček J. Body Odor Based Personality Judgments: The Effect of Fragranced Cosmetics. Front Psychol. 2016 Apr 18;7:530
4 Fredrich E, Barzantny H, Brune I, Tauch A. Daily battle against body odor: towards the activity of the axillary microbiota. Trends Microbiol. 2013 Jun;21(6):305-12
6 Kim MJ, Tagele SB, Jo H, Kim MC, Jung Y, Park YJ, So JH, Kim HJ, Kim HJ, Lee DG, Kang S, Shin JH. Effect of a bioconverted product of Lotus corniculatus seed on the axillary microbiome and body odor. Sci Rep. 2021 May 12;11(1):10138
8 Lam TH, Verzotto D, Brahma P, Ng AHQ, Hu P, Schnell D, Tiesman J, Kong R, Ton TMU, Li J, Ong M, Lu Y, Swaile D, Liu P, Liu J, Nagarajan N. Understanding the microbial basis of body odor in pre-pubescent children and teenagers. Microbiome. 2018 Nov 29;6(1):213
10 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=85480
11 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=59528
12 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=34816
13 Coiffard L, Couteau C. Soap and syndets: differences and analogies, sources of great confusion. Eur Rev Med Pharmacol Sci. 2020 Nov;24(21):11432-11439
14 Kim SA, Rhee MS. Microbicidal effects of plain soap vs triclocarban-based antibacterial soap. J Hosp Infect. 2016 Nov;94(3):276-280
15 Rocha LA, Ferreira de Almeida E Borges L, Gontijo Filho PP. Changes in hands microbiota associated with skin damage because of hand hygiene procedures on the health care workers. Am J Infect Control. 2009 Mar;37(2):155-9
16 Zeni V, Baliota GV, Benelli G, Canale A, Athanassiou CG. Diatomaceous Earth for Arthropod Pest Control: Back to the Future. Molecules. 2021 Dec 10;26(24):7487
18 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=38975
19 Di Lodovico S, Gasparri F, Di Campli E, Di Fermo P, D'Ercole S, Cellini L, Di Giulio M. Prebiotic Combinations Effects on the Colonization of Staphylococcal Skin Strains. Microorganisms. 2020 Dec 24;9(1):37
21 Hong L, Kim WS, Lee SM, Kang SK, Choi YJ, Cho CS. Pullulan Nanoparticles as Prebiotics Enhance the Antibacterial Properties of Lactobacillus plantarum Through the Induction of Mild Stress in Probiotics. Front Microbiol. 2019 Feb 6;10:142
22 Craig WJ, Brothers CJ. Nutritional Content and Health Profile of Non-Dairy Plant-Based Yogurt Alternatives. Nutrients. 2021 Nov 14;13(11):4069
23 Cerdó T, Ruíz A, Suárez A, Campoy C. Probiotic, Prebiotic, and Brain Development. Nutrients. 2017 Nov 14;9(11):124
24 Di Lodovico S, Gasparri F, Di Campli E, Di Fermo P, D'Ercole S, Cellini L, Di Giulio M. Prebiotic Combinations Effects on the Colonization of Staphylococcal Skin Strains. Microorganisms. 2020 Dec 24;9(1):37
25 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=79432
27 Guo H, Hao Y, Yang X, Ren G, Richel A. Exploration on bioactive properties of quinoa protein hydrolysate and peptides: a review. Crit Rev Food Sci Nutr. 2021 Sep 28:1-14
Déodorant probiotique blanc de coton Biosme : Aqua, lactobacillus / arundinaria gigantea ferment filtrate, glycerin, lactic acid, lactobacillus ferment, saccharomyces ferment filtrate, acacia senegal gum, xanthan gum, caprylyl glucoside, potassium sulfate, sodium benzoate, potassium sorbate, fragrance
Déodorant fraîcheur aux probiotiques La Rosée : Propylene glycol, glycerin, aqua (water), sodium stearate, magnesium hydroxide, diatomaceous earth, parfum (fragrance), lactobacillus ferment, tocopherol, magnesium carbonate hydroxide, maltodextrin, ethylhexylglycerin, sodium hydroxide.
Wonder bras déodorant fraîcheur Pulpe de vie aux prébiotiques : Helianthus Annuus (Sunflower) Hybrid Oil, Sodium bicarbonate, Butyrospermum Parkii Butter, Zea Mays Starch, Cocos Nucifera Oil, Copernicia cerifera cera, Zinc ricinoleate, Helianthus Annuus Seed Oil, Parfum, Inulin, Fructose, Tocopherol, Citrus Paradisi (grapefruit) Fruit Extract, Aqua (Water), Citral, Limonene, Linalool.
Evolve Pure prebiotic roll on déodorant : Aqua (water), Pentylene glycol (from sugar cane), glycerin, Parfum (naturally derived fragrance), Morinda citrifolia callus culture lysate, Salvia officinalis (sage) oil, Aloe barbadensis leaf juice powder*, Xanthan gum, Sodium caproyl/lauroyl lactylate, Sclerotium gum, Lysolecithin, Pullulan, Triethyl Citrate, Silica, Citric acid, Maltodextrin, Benzyl Benzoate, Benzyl Salicylate, Citral, Linalool, Limonene.
Déodorant avec prébiotiques Tom’s of Maine : Elaeis Guineensis (Palm) Kernel Oil, Stearyl Alcohol, Dicaprylyl Ether, Hydrogenated Castor Oil, Hydrogenated Soybean Oil, Caprylic/Capric Triglyceride, Beeswax, Zinc Oxide, Parfum/Natural Fragrance, Water, Xylitol, Coconut Yogurt Extract.
Collistar Déodorant Multi-Actif® SANS SELS D'ALUMINIUM 24 Heures spray avec prébiotique naturel : ALCOHOL DENAT., AQUA, PARFUM, PEG-40 HYDROGENATED CASTOR OIL, GLYCERIN, GLUCURONIC ACID, PROPANEDIOL, RHAMNOSE, GLUCOSE, ALPHA-GLUCAN OLIGOSACCHARIDE, INULIN, C12-13 ALKYL LACTATE, ETHYLHEXYLGLYCERIN, TOCOPHERYL ACETATE, FARNESOL, BHT, CITRIC ACID.
Green People Quinoa & Prébiotiques Déodorant à Bille : Aqua (Spring Water), Potassium Alum (Natural Mineral), Olea Europaea (Olive) Fruit Oil*, Helianthus Annuus (Sunflower) Seed Oil*, Zinc Ricinoleate (From Castor Oil), Cetearyl Glucoside (Plant Derived Emulsifier), Cetearyl Alcohol (Emulsifying Plant Wax), Butyrospermum Parkii (Shea) Butter*, Glyceryl Stearate (Plant Derived Emulsifier), Levulinic Acid (Plant Derived), Alpha-Glucan Oligosaccharide (Prebiotic), Aloe Barbadensis (Aloe Vera) Leaf Juice Powder*, Rosmarinus Officinalis (Rosemary) Leaf Extract*, Hydrolysed Quinoa, Aroma , Cetearyl Olivate (From Olive Oil), Sorbitan Olivate (From Olive Oil), Sclerotium Gum (Natural Gum), Xanthan Gum (Corn Starch Gum), Sodium Stearoyl Glutamate (Plant Derived Emulsifier), Sodium Lauryl Glucose Carboxylate (Plant Derived), Lauryl Glucoside (Plant Derived), Potassium Sorbate, Sodium Benzoate, Citral*, Eugenol*, Geraniol*, Limonene*, Linalool*
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