Nos regards
Quand l’Eau Précieuse rencontre Lucette

> 10 mars 2017

Quand l’Eau Précieuse rencontre Lucette Lucette et l’Eau Précieuse étaient faites pour se rencontrer. C’est désormais chose faite.

Du côté de Lucette, un site tout neuf (http://lucette.com) qui se rêve le « Tripadvisor » du maquillage » (Les Echos.fr du 8 avril 2014). Un donnant–donnant qui n’est pas toujours gagnant–gagnant ! L’utilisateur se présente, le logiciel tourne, le conseil-beauté est prêt à être consommé. Par ailleurs, une fois le produit testé, l’utilisateur revient à Lucette et poste son avis sur la qualité du menu (le cosmétique est-il à son
goût ? La prestation est-elle de qualité ?). La boucle est bouclée… Un principe plutôt sympathique.

Du côté de l’Eau précieuse, une formule mise au point en 1890 par un pharmacien Charles Dépensier. Celle-ci possède, selon lui, de multiples vertus. Les encarts publicitaires de l’époque sont dithyrambiques. L’Eau Précieuse est l’équivalent du Sirop Typhon (Universelle panacée oh eh) chanté beaucoup plus tard par Richard Anthony. « Ulcères variqueux, maux de jambes, varices, eczémas, dartres, démangeaisons, herpès, plaies de toute nature considérées comme incurables sont soulagées immédiatement et leur guérison est assurée. C’est une sœur à cornette (qui n’aurait pas déplu à Louis de Funès) qui applique le produit, puis réalise un bandage de la jambe malade. Rien ne semble résister à ce remède-miracle vendu par correspondance. A force de crier au remède-miracle, l’Eau Précieuse en devient un (tout au moins, médicament !) en obtenant une autorisation de mise sur le marché (AMM) en 1942. Toutefois son champ d’efficacité est réduit aux problèmes de peau (petits boutons, acné) (http://www.omega-pharma.fr/img/communiques/201107_lotion_eau_precieuse.pdf). A la fin des années 1960, on peut voir, dans les magazines, des jeunes filles qui utilisent l’Eau Précieuse Dépensier, pour « être belle de loin et de près. » On leur indique que l’Eau Précieuse utilisée matin et soir leur permettra d’avoir un teint sans défaut. « Votre maquillage n’aura plus rien à cacher. » Dans les années 1980 et durant deux décennies, l’Eau Précieuse envahit le petit écran et nous matraque de publicités. On se souvient de Valérie qui n’écoute jamais sa mère, mais suit pourtant son précieux conseil quand il s’agit de soigner sa peau (1985), d’une mère qui pique le produit de sa fille en minaudant dans sa salle de bain (1993), des adolescents qui hallucinent devant ce produit qui ne sent pas bon (c’est moche mais ça marche) (1999). 2004, les laboratoires Oméga pharma font l’acquisition de la formule. Les « actifs-phares n’ont pas changé depuis 120 ans » nous disait-on au moment de souffler les bougies sur le gâteau d’anniversaire. Une chose a changé pourtant. Le statut du produit qui est désormais un cosmétique.

Les ingrédients. Quels sont-ils ? Retour chez Lucette (bravo pour cette initiative de présenter la liste des ingrédients). « Aqua, boric acid, salicylic acid, glycerol, eucalyptus globulus leaf extract, xylenol, sodium oleate, sodium hydroxyde, levomenthol, eucalyptol » (sic) (http://lucette.com/avis-produit/eau-precieuse-lotion-de-eau-precieuse).

L’avis des experts n’est pas sans quelques failles. L’acide salicylique est présenté comme un antibactérien et l’acide borique comme un actif qui draine le sébum et les cellules mortes vers la surface de la peau. Les rôles ont été (seulement !) intervertis. L’acide salicylique est un actif exfoliant qui permet d’éliminer les bouchons cornés (type de lésions caractéristiques de la peau jeune) et l’acide borique est, quant à lui, l’antiseptique de la formule.

Côté composition, des erreurs. L’expert n’est visiblement ni féru d’histoire des cosmétiques, ni chimiste. On nous indique que « C’est une composition d’époque, sans une once de colorant, un soupçon de savon ou une goutte de paraben. » Rappelons qu’en 1890, le savon est le cosmétique-star par excellence. Non content de nettoyer le visage, le corps, les cheveux, les dents, il entre dans la composition des émulsions où il exerce son rôle de tensioactif. Précisons que l’ingrédient « sodium oleate » est un savon obtenu en faisant réagir de la soude sur un acide gras, l’acide oléique !! Il y a donc bien un soupçon de savon dans la formule.

Ce qu’il aurait fallu mentionner c’est la présence d’acide borique, un ingrédient que l’on souhaiterait voir disparaitre des cosmétiques. Cet antiseptique présent à l’Annexe III du Règlement (CE) N°1223/2009 n’est pas l’antiseptique de choix. Il a fait l’objet d’une mise en garde par l’ANSM en 2013 du fait d’un profil toxicologique préoccupant. « Ne pas utiliser sur les peaux excoriées ou irritées » doit-on lire sur les produits qui en contiennent. Les produits contenant cet antiseptique ne convient pas à la femme enceinte, ni aux jeunes hommes en raison d’une toxicité testiculaire (alors effectivement, on comprend vraiment pourquoi le marketing d’Eau précieuse a toujours ciblé la jeune fille !) et donc à réserver pour la peau saine qui n’en a pourtant pas besoin.

Lucette, une très bonne idée. Mais des avis d’experts à améliorer…

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