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Ligne et cosmétiques selon Maugham

> 28 mai 2017

Ligne et cosmétiques selon Maugham C’est devant un miroir de foire déformant que Somerset Maugham fait déambuler ses personnages. Le caricaturiste Albert Dubout illustre à merveille les couples rencontrés dans les nouvelles de l’écrivain « pour dames ». Les hommes sont trop maigres, les femmes trop grosses. On comprend pourquoi Alain Souchon a voulu lui rendre hommage, lui qui aime « le cuir ». Fort peu de personnages sont normo-pondéraux.

Des hommes en une dimension : le pasteur Davidson a « un aspect singulier. Très grand, très maigre, dégingandé, avec de longs bras et de longues jambes, il avait les joues creuses et des pommettes étrangement saillantes. » (Pluie) Le pasteur Jones n’est guère mieux : « C’était un homme d’une quarantaine d’années, grand, décharné, lugubre. » (Le fléau de Dieu)

Des femmes replètes : parlant de trois femmes qui ont en commun une rondeur certaine, Maugham précise « l’embonpoint les avait réunies et le bridge avait cimenté leur alliance. ». L’intervention du quatrième mousquetaire, Lena Finch, un fil de fer qui avale tout ce qu’elle veut sans prendre un gramme, vient mettre en péril le beau régime prévu par ces dames et fait tourner vinaigre une amitié de longue date (Les trois grosses dames d’Antibes). La marquise San Esteban est trop grosse et trop maquillée : « C’était une femme forte, d’âge plus que mûr, très fardée, aux cheveux auburn foncé [...] » (Une jeune fille romantique). Mrs Jane Fowler est, elle aussi, en surpoids, mais elle ignore le maquillage et tout artifice cosmétique : il s’agit d’« une femme plutôt corpulente » dont les cheveux gris n’avaient « jamais connu le fer à friser de M. Marcel ». « Elle ne faisait aucun effort pour dissimuler son âge et on la remarquait tout de suite parmi les convives parce qu’elle n’utilisait ni fard, ni poudre, ni rouge à lèvres. » (Jane, histoire d’une transformation). Enfin, Darya Munro affiche une poitrine tapageuse et un maquillage non moins opulent. « Elle aimait les grands décolletés, propres à mettre en valeur sa forte poitrine et son dos bien galbé. Elle se maquillait et se fardait comme une actrice prête à entrer en scène. » (Neil Macadam)

Des cosmétiques au secours d’une femme hommasse : Mrs Forester « avait la stature d’un homme de taille moyenne, une grande bouche, un gros nez busqué, des yeux bleus de myope, des mains comme des battoirs. Sa peau était basanée et ridée, mais elle se maquillait généreusement et ses cheveux, qu’elle portait très longs et faisait teindre blond doré, étaient toujours soigneusement ondulés et coiffés avec recherche. » (La peau du lion)

Un teint qui fait ses gammes, de la pêche à la cerise bigarreau burlat, en passant par la pureté du lait : Dona Pilar avait « des yeux magnifiques et surtout une peau de pêche - l’expression est banale mais, en l’occurrence, elle s’imposait absolument. » (Une jeune fille romantique). Neil est un jeune homme aussi candide que son teint le laisse supposer. « Vous avez vraiment une peau superbe, dit-elle, une peau de lait, lisse comme celle d’une femme. Avec un physique aussi viril, ça faisait drôle. » (Neil Macadam). Jane possédait « un visage, qui n’était pas, particulièrement beau, étant rouge et flétri, mais, comme il ne devait rien à l’artifice, il reflétait un naturel des plus charmants. » (Jane, histoire d’une transformation). Enfin le teint de Chaplin rend compte de la météorologie et du régime de son possesseur : « Une petite moustache ébouriffée ornait son visage dont l’alcool autant que le soleil expliquait le teint rubicond. » (Le lac).

L’eau de Cologne un parfum BCBG : « Mrs Skinner sortit un mouchoir propre d’un tiroir et l’aspergea de quelques gouttes d’eau de Cologne. Elle n’employait jamais de parfum, elle avait toujours pensé que cela faisait plutôt mauvais genre, mais l’eau de Cologne, c’était si rafraîchissant. » (Avant la réception). Ce parfum né au XVIIe siècle est un parfum végétal dont la caractéristique principal est la légèreté... (Voir Regard : « L’eau de Cologne d’ici... et d’ailleurs »)

Le maquillage au banc des accusés ou le maquillage acquitté, son cœur balance ! « Je n’aime pas ces visages maquillés qui se ressemblent tous ; et je crois que les femmes sont malavisées de ternir leur physionomie et de masquer leur personnalité en se poudrant, en se fardant, en rougissant leurs lèvres. Mais le maquillage d’Elizabeth Vermont n’avait pas pour objet d’imiter la nature : il visait à l’embellir. Au lieu de contester les moyens employés, l’on applaudissait à leur résultat. Son audace tapageuse dans l’emploi des cosmétiques, loin d’estomper le caractère de ce visage parfait, le mettait en valeur. » (Le serment)

Où les crèmes pour les mains sont vraiment des cosmétiques indispensables : « C’était là, dans l’aspect de ses mains aux ongles vernis, qu’apparaissait son âge le plus évidemment : elles avaient perdu la molle rondeur et les fossettes d’une main de jeune fille. A les voir, on ne pouvait se défendre d’un certain désarroi : bientôt, elles allaient ressembler à des serres de vautour. » (Le serment)

Une hygiène qui laisse à désirer mais qui fait partie d’une stratégie de communication : parlant d’un député travailliste, Maugham nous apprend que
« Ses vêtements étaient minables de façon ostentatoire, son col n’est jamais propre, sa cravate jamais nouée ; on croirait qu’il n’a pas pris de bain depuis un mois et ses mains sont dégoûtantes. » (Lord Mountdrago)

Un rouge à lèvres très spécial : c’est la consommation de bétel (la noix d’arec) qui colore en rouge les lèvres d’une petite tonkinoise : « Ses lèvres et leur pourtour étaient souillées de bétel rouge et quand elle ouvrit la bouche, je vis qu’elle avait les dents et les gencives noires qui défigurent tellement ces gens-là. » (Mirage)

Somerset Maugham et son prisme déformant est un auteur qui aime les cosmétiques qui « révèlent le naturel » ; il ignore, toutefois, semble-t-il, l’existence des cosmétiques amincissants !

Après Proust et Sagan, Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, illustre aujourd'hui ce Regard sur Maugham. Qu'il en soit vivement remercié !

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