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Petite histoire du lait de toilette

> 27 mai 2017

Petite histoire du lait de toilette

Le savon a été, et demeure toujours actuellement pour certains, le produit d’hygiène de base. Toutefois, il ne fut pas le seul. Si le poète Properce, une cinquantaine d’années avant Jésus-Christ, conseille avec sobriété de « se laver, en se réveillant, la figure simplement avec de l’eau. », Ovide, en revanche, est plus audacieux ; il propose des recettes fluides à base de lait d’ânesse, de farine de fèves, de myrrhe de Judée. Des préparations onctueuses à base de suint ou graisse de mouton étaient également affectionnées, malgré leur « odeur à donner la nausée » (C. James, Toilette d’une romaine au temps d’Auguste et cosmétiques d’une parisienne au XIXe siècle, 1865).

Pendant des millénaires, « sous le nom d’émulsions, de laits », on a désigné « une classe de cosmétiques destinés à lotionner la peau. Ils sont formés par des corps gras ou résineux, tenus en suspension dans l’eau au moyen d’un liquide mucilagineux, gommeux ou albumineux ». Très concrètement, ces laits sont des dispersions de corps gras dans l’eau, le tout étant maintenu en suspension, plus ou moins longtemps et plus ou moins efficacement, grâce à l’ajout de gélifiants d’origine végétale (Piesse S, Histoire des parfums, 1890). L’incorporation d’un tensioactif (un savon par exemple) dans la préparation permettra, au début du XIXe siècle, d’améliorer la stabilité de la préparation, d’une part et le nombre des constituants, d’autre part. Le lait, émulsion composée d’une phase grasse, d’une phase aqueuse et d’un système tensioactif, verra sa formule se raffiner et ses caractères organoleptiques s’en trouver améliorés.

Différentes lotions ou eaux de toilette (eaux de Verveine, de Cologne, de Thridace, de Lavande), des laits de roses, de fraises, d’amandes, de concombre « débarrassent les pores de tous les corpuscules étrangers, des dépôts séreux, des matières inertes et des poussières de l’atmosphère coagulées par les émanations des foules. » (P. Devaux, Les auxiliaires de la beauté, Blot, 1887). Les laits végétaux sont préparés, selon les époques et les auteurs, à partir de sucs végétaux obtenus par pression ou distillation ou à partir de poudres de fruits ou d’autres organes végétaux mélangés à différents ingrédients. Le lait d’amande est ainsi « obtenu en réduisant en pâte très fine les amandes mondées et en ajoutant de l’eau. » (Cerbelaud R, Formulaire de parfumerie, 1933,). L’eau de roses est associée à l’acide borique et au miel (Monin E, L’hygiène de la beauté, Paris) pour les formules les plus simples. Le lait de fraises, enfin, est extrêmement facile à réaliser. Il suffit de « prendre de belles fraises et d’en tirer un demi-verre de jus, le passer deux fois, y ajouter une pincée de borax en poudre et d’additionner le jus de quelques gouttes d’eau de Cologne, puis de verser, en remuant constamment, un quart de verre de lait frais, ou mieux de lait d’amande. » (Gastou P, Formulaire cosmétique et esthétique, 1939). Remplacer l’eau de Cologne par des glaçons et vous obtiendrez un délicieux milkshake !

Le lait virginal est le nom donné au liquide opalin obtenu par mélange d’eau et de teinture de benjoin. « C’est un cosmétique souvent employé » au XIXe siècle « et auquel on attribue la propriété d’effacer les éphélides ou taches de rousseur. » Certains auteurs lui dénient un effet nettoyant et ne voit en lui qu’un cache-misère, un cosmétique qui forme à la surface de la peau « un vernis mince », responsable « d’inflammations cutanées » (Piesse S, Histoire des parfums, 1890). D’autres le parent de « propriétés antiseptiques, astringentes et stimulantes » (Gastou P, Formulaire cosmétique et esthétique, 1939). Ce lait, au nom désuet, restera à la mode jusque dans les années 1950. Marcelle Auclair, adepte avant l’heure du DIY, recommande un lait virginal-maison à base de très bonne eau de roses (125 g), de teinture de benjoin (30 g) et de teinture de myrrhe (15 gouttes) (La beauté de A à Z, Paris, 1949).

1936 ne voit pas seulement l’avènement des congés payés mais la parution d’un ouvrage « Les soins de beauté scientifiques » qui déclare la guerre à la dictature du corset, à la tyrannie du maquillage de clown (pratiqué jusqu’alors), et globalement au « travail désagréable ou fatigant ». Marie Marelli fait souffler un vent de liberté sur les pratiques esthétiques de son temps et prône une vie saine où « l’idée de beauté s’apparente de plus en plus à l’idée de santé ». Des « ablutions quotidiennes », une « toilette de nuit » visant « à débarrasser l’épiderme de tous les fards, crèmes et poudres pour permettre à la peau de respirer à l’aise et d’éliminer les produits toxiques des combustions vitales. » Le lait démaquilleur (sic) Tho-Radia se présente comme « une préparation étudiée pour assurer le démaquillage dans les meilleures conditions d’hygiène et d’esthétique modernes. » Ce lait, à base de « baume de Pérou », qui « détruit les germes, tonifie l’épiderme et rend son élasticité à la peau », « est doué d’un parfum frais et délicat qui en rend l’usage particulièrement agréable. » (Dictionnaire des soins esthétiques de beauté Tho Radia, Paris, 1935). Les laits hygiéniques ou laits de toilette ou laits démaquillants sont composés, le plus souvent, de corps gras (lanoline, graisse de porc), de savon et d’une phase aqueuse renfermant des eaux florales (eau de rose, de fleurs d’oranger), de la glycérine et du borax. Un parfum peut être incorporé (Gastou P, Formulaire cosmétique et esthétique, 1939).

1950. « L’encyclopédie de la femme » se veut LE livre de bord de la femme idéale. L’hygiène du visage y est détaillée dans une version nuit et dans une version matin. Pour le matin, c’est une pièce en 4 actes qui nous est jouée : une lotion ou un tonique ou une eau de roses est « passé » sur le visage à plusieurs reprises ; des ablutions éliminent les impuretés ; un séchage et un « graissage » abondant avec une « bonne crème nourrissante » pendant le temps nécessaire à la toilette ont pour but d’alimenter la peau. Selon que vous serez rapide ou lente, ce repas cutané sera plus ou moins long. Enfin, la crème retirée, il sera temps de se maquiller. Ouf !!! Le soir, le « démaquillage est une opération très importante » si l’on ne veut pas être « prématurément ridée et flétrie ». La peau est déshabillée des produits qui la recouvrent avec un lait ou cold cream. Celui-ci est ensuite éliminé à l’aide d’une « serviette à démaquiller en papier ». L’eau et le savon prennent le relais. On terminera par des « affusions d’eau froide » pour un effet coup de fouet...

Dans les années 1970, l’utilisation du lait de toilette est bien entrée dans les habitudes cosmétiques. Yves Rocher le loue pour sa douceur et sa capacité à « ménager le film protecteur de la peau ». Lait de toilette (matin et soir), lotion, crème de jour et crème de nuit sont les basiques indispensables si on suit les conseils du cosmétologue champêtre. Toutefois, le lait seul n’est pas la panacée. Le lait et le tonique doivent marcher main dans la main. « Utilisez un lait, mais n’oubliez surtout pas de rincer la peau, de la tonifier, et de la débarrasser de toute trace de gras, avec un tonique. » Des lotions réalisées à partir « de ce que l’on appelle à tort des mauvaises herbes » (Rocher Y, Restez vraie, 1977) permettent de valoriser le travail de désherbage du jardinier !

Lait de toilette ou lotion, il faut choisir. Non, répondent Nadine Corbasson et Gisèle de Bruchard qui partagent la philosophie d’Yves Rocher. Le lait doit précéder la lotion. « Le matin, vous êtes tentée de prendre un gros coton humide qui sent la fleur des Alpes ou le mimosa de Provence ! Attention, vous devez d’abord passer un peu de démaquillant sur votre visage. La peau a respiré et « travaillé » toute la nuit, les sécrétions grasses se sont effectuées normalement, il faut les ôter avec un produit adapté. Cela ne prendra pas plus d’une minute. » (La beauté en bandes dessinées, Flammarion, 1973). On voit là encore que démaquillage (à l’aide d’un lait démaquillant) et nettoyage (à l’aide d’un lait de toilette) sont deux notions très proches et que les laits utilisés sont interchangeables.

De nos jours, le nettoyage se fait, en général, en une seule étape. Selon le cas, on optera pour le savon (pour les peaux les plus résistantes), ou mieux pour le pain dermatologique, pour le lait de toilette, rebaptisé fréquemment lait nettoyant ou démaquillant, pour la lotion, pour l’eau micellaire, voire pour simplement de l’eau thermale pour les peaux les plus sensibles.

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