> 10 novembre 2024
A Liège, le commissaire San Antonio s’ennuie comme un rat mort dans une chambre d’hôtel.1 Là, le célèbre enquêteur est en faction, attendant de tomber sur un indice louche, qui le mettra sur la piste d’une bande d’espions. Le hasard faisant bien des choses… l’espion se retrouve logé dans la chambre qui jouxte celle du commissaire. Et comme le commissaire l’épie par un petit trou dans le mur… tout va se goupiller de la meilleure façon du monde. L’invention photographique, mise au point par la société Optika, ne tombera pas entre les mains de l’ennemi, promis, juré ! Enfin, ça dépend quel ennemi… car en fin de compte, c’est le commissaire San Antonio qui ramènera en France ce petit bijou technologique !
Dans sa chambre d’hôtel à Liège, San Antonio s’ennuie ferme, pour la simple et bonne raison qu’il n’y a « rien à y maquiller » !
Dans la chambre voisine de celle de San Antonio se trouve un homme d’une quarantaine d’années. « Beau gosse », avec des cheveux « argentés » et un costume très chic. Cet homme, observé par San Antonio à l’aide d’un petit trou pratiqué dans la cloison, est occupé à une tâche très étrange. Il est en train de remplir des fruits confits… d’une drôle de farce… des petits cailloux miroitants qui ressemblent fort à des diamants ! Pas vraiment le genre de fruits confits que l’on croque avec délice !
« Je l’entends qui se lave les pognes au lavabo, sans doute doit-il avoir les salsifis poisseux après cette manipulation. »
L’individu en question se nomme Van Boren. Il est employé pour une « firme allemande », la firme « Optika », qui fabrique des « appareils photographiques ».
Il finira en compote de pommes, écrasé au sol dans la cage d’ascenseur de son immeuble.
Mme Van Boren est une jolie jeune femme blonde, qui se prénomme Huguette. Une jeune femme, qui trompe son époux avec ce que Frédéric Dard appelle un « gigolpince » !
Une dame, qui intrigue fort San Antonio, qui n’hésite pas à lui rendre visite plusieurs fois, afin de percer le secret de ce coffre-fort bien séduisant. Et pourquoi pas une visite en pleine nuit ? « Ce serait farce d’aller réveiller Huguette en sursaut. Elle serait capable de choper la jaunisse, ce qui lui éviterait d’aller se faire bronzer la praline sur la Côte… »
Du point de vue moral, Huguette n’est pas très clean. Elle est prête à vendre au plus offrant l’invention de la firme Optika !
Dans sa chambre d’hôtel, San Antonio ne néglige pas son hygiène. Il prend des douches et se rase soigneusement (il se ratisse le système pileux) (« […] je vais prendre une douche. Après quoi je file un coup de tondeuse électrique sur mes râpeuses et je me loque en beau gosse. »). Le « zonzon » de son rasoir « Philips » chante à ses oreilles une mélodie coutumière et rassurante.
Des douches qui servent son hygiène, mais également son moral, en lui donnant le coup de fouet nécessaire pour dénouer les fils d’une enquête embrouillée à souhait.
« A poil sous la douche », le commissaire se sent « revivre sous le jet glacé ». Cet homme, qui apprécie par-dessus tous les plaisirs de la bouteille, trouve, au contact de l’eau, un plaisir qui ne se dément pas…
« Il y a des moments où le plus obstiné videur de litron trouve que la flotte est une belle invention. H2O ! c’était simple mais fallait y penser… » « Après un bon quart de plombe de douche intense je me sens mieux. »
Après le rasage, la douche. Après la douche, un coup de brosse à dents. « Je gagne le lavabo pour brosser mes chailles et baigner encore mon pauvre portrait de famille. »
Poétiquement, San Antonio plonge « la hure dans l’eau froide », afin de se nettoyer le visage, mais aussi pour tenter d’y voir clair dans ses pensées confuses.
Le collègue belge de San Antonio, un certain Robierre, est d’un roux flamboyant. « C’est pas un homme, c’est un Van Gogh ! ». De quoi attraper des coups de soleil, rien qu’en le regardant.
Une petite ouvreuse de cinéma, rencontrée dans la rue, ne manque pas de séduire l’œil aiguisé de notre séducteur N°1 ! La « gamine » est charmante. « Brune avec une mèche savamment décolorée » ! « Brune avec une mèche blonde » ! Les lèvres tartinées du célèbre rouge à lèvres intransférable « Rouge Baiser » ! Melle Germaine Dubeuck, dont Frédéric Dard nous dit, par trois fois, qu’elle est « brune avec une mèche décolorée », vit dans l’immeuble des Van Boren. C’est même leur bonne, qui fait des extras au cinéma… Quelle coïncidence ! Forcément, cette petite plaît beaucoup à San Antonio !
Le père Dubeuck est un ancien gendarme, qui continue à s’astreindre à une discipline de fer. Chaque matin, bain de pieds ! « Je me les lave tous les matins : je transpire des pieds. »
Un bain de pieds, qui revêt une importance capitale pour le vieil homme, qui ne se voit pas mourir les pieds sales et suants. « On peut mourir d’un instant à l’autre, fit l’ancien gendarme, moi je suis tranquille : j’ai les pieds propres. »
La moutarde qui monte au nez du commissaire. De la moutarde « Amora ». « La bonne moutarde de Dijon » ! Petit placement de produit !
Frédéric Dard ne manque jamais une occasion de faire de l’humour pharmaceutique. C’est le cas ici avec la Jouvence de l’abbé Souris. « Je luis souris (comme dirait l’abbé Jouvence) » !
C’est le cas bien souvent avec un commissaire qui use d’aspirine à tout bout de champ. « Passez-moi l’aspirine et faites-moi chauffer une bouillotte. »
Pas une montre suisse. Une montre belge trafiquée, qui comporte dans son boitier, sous une plaque de protection, une « minuscule photographie », représentant, selon l'avis des uns et des autres, des « bactéries », des « microbes » ou toute autre chose !
Que représente cette photo ? « Mystère et Vermifuge Lune » !
Cette photo représente, sous un format mini, l’Europe de taille maxi. L’invention Optika, qui permet cette prouesse, a manqué d’être vendue aux Allemands (ce qui parait assez logique, puisque c’est une firme allemande qui l’a mise au point !!!) par M. Van Boren, dans un premier temps, puis par Mme Van Boren, dans un second temps. Ce sont les éléments de cet objectif original qui ont été placés dans la fameuse boîte de fruits confits.
San Antonio aime briller par son esprit. Il aime également trouver de l’esprit chez ses adversaires. « Tant d’esprit me plonge dans un bain de délices d’où je me hâte de ressortir avant qu’il ne refroidisse. »
« Tas de petzouilles »… voici comment San Antonio nous invective dans cet opus !
Il reçoit des coups de poings dans la figure, le commissaire. La couleur de sa peau est bariolée. « Il y a du rouge, un peu de jaune et pas mal de vert. Ma gueule ressemble à Venise… Je ne voudrais pas que vous vous gondoliez. »
C’est la foire aux images cosmétiques chez Frédéric Dard. Son cerveau pétille, mousse, sort de ses gonds. « Voilà comment je me fais mousser la matière grise quand je déambule (de savon dirait le pape) […] ».
Du grand San Antonio, avec un feu d’artifices cosmétique. On avance en matière de connaissance du fameux commissaire. On le voit nu sous sa douche. On le voit perplexe devant sa glace, un rasoir Philips à la main. Pas de mouron à se faire, avec San Antonio l’industrie cosmétique ne risque pas d’être au chômage !
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.
1 Dard F., Du mouron à se faire in San antonio tome 2, Bouquins, Robert Laffont, 2022, 1258 pages