Nos regards
Vol de nuit, mes nuits sentent meilleur que vos jours !

> 01 juin 2019

Vol de nuit, mes nuits sentent meilleur que vos jours !

Ce roman d’Antoine de Saint-Exupéry est un roman inodore qui peut faire venir des boutons.1 Le manager qui cocoone son N-1 avec une pause café - spéculos à 10 h et un temps de détente grâce à une partie de baby-foot l’après-midi ne se retrouvera pas dans cette oeuvre qui place l’amour du devoir accompli à la sueur de son front au premier rang des désirs de l’Homme.

Le pilote d’avion y est comparé à un berger qui, d’escale en escale (de troupeau de maisons, en troupeau de maisons), veille, comme un dieu bienveillant, sur ses créatures. Le bonheur de voler - dans les airs - transcende le pilote qui entre en une « profonde méditation » et est pris d’une « espérance inexplicable ». Le pilote qui traverse les orages victorieusement est un soldat qui gagne un combat chaque nuit. Les petites lumières qui clignotent de temps à autre sont autant de clins d’œil qui rappellent au pilote qu’il y a du monde en dessous !

Là-dessous, il y un directeur à la volonté de fer, Rivière. Ce meneur d’hommes ne tolère ni retard, ni défaillance. Si le pilote est un dieu dans les airs, Rivière est un dieu bien accroché à la terre. « L’homme était pour lui une cire vierge qu’il fallait pétrir. » Cette cire, il la veut souple, pour pouvoir la travailler à l’envi et sans mémoire de forme, pour éviter tout retour en arrière. Ce directeur implacable n’hésite pas à accabler ses subordonnés. Le pauvre Robineau en fait les frais. Même son eczéma est source de tracasserie. Sa « ridicule infirmité » irrite certainement Rivière qui y voit pourtant un moyen d’augmenter la productivité de son contrôleur. « Si ça vous empêche de dormir ça stimulera votre activité. » Tel un pharaon des temps anciens, Rivière veut laisser sa trace sur terre, une trace comparable aux pyramides, une trace encore plus belle. Cette trace, c’est une route dans le ciel, une route indélébile qui réunit les peuples les uns aux autres.

Là-dessous, il y a un inspecteur, Robineau, chargé des basses œuvres. Pour veiller au bon fonctionnement de la compagnie d’acheminement du courrier, Robineau doit être craint, obéi au doigt et à l’œil. Le « règlement » doit être suivi à la règle. Robineau souffre d’un « gênant eczéma », comme dirait nos amis belges. C’est son « seul vrai secret ». Ce secret, il aimerait s’en décharger auprès de quelqu’un, se lier d’amitié afin de pouvoir se libérer du poids de ses soucis. Son eczéma cutané est doublé « d’un eczéma moral ». Il faut dire à sa décharge que personne ne l’aime, pas plus les pilotes que sa maîtresse qui l’a pris « en grippe ».

Et puis, en haut, il y a Fabien, un pilote pris dans la tempête avec plus personne pour venir à son secours et un niveau d’essence qui le condamne à rester cloué dans la purée de pois. Chaque départ était pourtant une fête pour lui. Vêtu des « cuirs les plus lourds », Fabien se faisait beau pour les « étoiles ». « L’action » et « le bonheur individuel » ne font pas bon ménage. Une nuit, le bonheur de Fabien va partir en fumée alors qu’il tente, une fois de plus, d’accomplir sa mission, coûte que coûte...

Le roman de Saint-Exupéry paru en 1931 est un roman qui n’appelle pas les larmes malgré le tragique de la situation. L'auteur y brosse le portrait de héros courageux - Rivière ne l’est, soit dit en passant, que par procuration, qui luttent contre le temps - il ne faut pas perdre la nuit le temps gagné le jour, pour donner un sens à leur vie. Le travail, c’est la santé dit-on... Visiblement, pas toujours si l’on en croit l’état eczémateux de Robineau.

En 1933, Guerlain emboîte le pas à l’ami Saint-Ex et met sur le marché un parfum plein de secrets qui se dévoile, lentement, tout au long de la nuit ou de la journée. Ce parfum destiné aux femmes, mais contenu dans un flacon très masculin, renferme des notes qui constituent une invitation au voyage, en avion ou non. La note de tête, « râpeuse », permet l’embarquement pour un univers surprenant. La note de cœur (Rivière, as-tu un cœur ?), bouquet floral et épicé, lance ses explosifs au milieu d’un ciel étoilé pour faire pétiller ses arômes mêlés en un véritable spectacle pyrotechnique. Les notes de fond, orientales, font tomber la flight jacket et révèle l’alchimie du parfum et de la peau.

Le parfum Vol de nuit « se découvre la nuit », nous chuchote Guerlain ; il est conçu pour les personnes « exigeantes au charisme certain ».2

En refermant le livre Vol de nuit, en admirant le flacon de parfum Vol de nuit, on n’a qu’une seule envie : faire tourner l’hélice gravée sur le flacon, mettre les gaz à fond et serrer fermement le manche. Départ vers un univers où la passion est de mise, cap vers une destination qui ne connaît pas la médiocrité. Courage, héroïsme, sensation d’être vivant, vraiment vivant, ce « Vol de nuit », plein de promesses, nous assure des nuits embaumées et des journées encore plus belles que ces nuits !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son invitation au voyage parfumé... ou non... Vous n'hésiterez pas à cliquer sur la photo pour l'agrandir...

Bibliographie

1 de Saint-Exupéry A. Vol de nuit, Le livre de Poche, Gallimard, 1972, 171 pages

2 https://www.guerlain.com/fr/fr-fr/parfums/parfums-pour-femmes/vol-de-nuit/vol-de-nuit-extrait-flacon

Ces sujets peuvent vous intéresser :

Retour aux regards