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Vite, vite, préparons un onguent à base d’escargots pour notre bonne comtesse !

> 18 juin 2020

Vite, vite, préparons un onguent à base d’escargots pour notre bonne comtesse !

Les petites filles modèles dont nous parle la Comtesse de Ségur sont Madeleine et Camille de Fleurville, ainsi que Marguerite de Rosbourg.1 C’est à l’occasion d’un violent accident d’attelage que Mme de Rosbourg fait intrusion dans la vie de Mme de Fleurville. Les deux femmes (l’une est veuve, l’autre a perdu toute trace de son mari lors d’un naufrage) vont unir leur solitude afin d’offrir à leurs filles un foyer joyeux et aimant, au château de Fleurville, paisible propriété située entre le village d’Aube et le village de Laigle. Sophie, la belle-fille de la terrible Mme Fichini va rejoindre cette charmante famille à l’occasion du voyage en Italie de son odieuse belle-mère. Le remariage de cette dernière va mettre un point final aux relations houleuses entre Sophie et son bourreau.

Un onguent à base de colimaçons pour accident sur chapeaux de roues

Lorsque Mme de Rosbourg arrive sur les terres de Fleurville, c’est en trombe et de façon très brutale. La voiture chavire, le cocher est écrasé, Mme de Rosbourg est couverte de sang. Elle en perd tellement que le médecin plein de bon sens, appelé à son chevet, ne voit pas l’utilité de réaliser une saignée supplémentaire, à effet anti-inflammatoire. Les blessures sont couvertes d’un « onguent de colimaçons », recouvert de « feuilles de laitue » ; celles-ci sont changées toutes les heures. Calme et repos sont nécessaires au rétablissement de la malade.

De l’eau salée pour traiter à toute vitesse une morsure par un chien enragé

Lorsque Marguerite est mordue par un chien enragé, Mme de Fleurville s’empresse de donner ses consignes. La zone de peau mordue doit être plongée au plus vite dans de l’eau fraîche, puis dans de l’eau salée (« une forte poignée de sel »). « Tous les jours, matin et soir, tu tremperas ta main dans l’eau salée pendant un quart d’heure ; tous les jours tu mangeras 2 fortes pincées de sel et une petite gousse d’ail. Dans huit jours, ce sera fini. » Mme de Fleurville ne croit pas si bien dire... Au bout de 3 jours, la charmante menotte de Marguerite a repris son aspect antérieur. Au bout d’un mois, elle est hors de danger. « L’eau est le remède infaillible pour les morsures des bêtes enragées ; l’eau salée est bien meilleure encore. » Gageons que le chien « enragé » ne l’était point, du fait des résultats spectaculaires obtenus. Rappelons que c’est Louis Pasteur qui apporte une solution définitive à cette zoonose mortelle en proposant un vaccin en 1885.2

Une friction, vite, vite, après un bain forcé

Témoin de la noyade de hérissons dans une mare, Sophie (qui n’est pas encore une petite fille modèle) chavire dans celle-ci. « Déshabillée, essuyée, frictionnée », Sophie se remet bien vite de cette grande frayeur.

Une tasse de tilleul promptement pour maitriser une indigestion éclair

Sophie est littéralement gloutonne. Elle ne sait pas s’arrêter... d’où certains inconvénients. Un excès de cassis la conduit ainsi à vomir le contenu de son estomac sur le parquet du château. « Une tasse de tilleul bien chaud » lui est administrée. Il va sans dire qu’une diète sévère est prescrite par Mme de Fleurville.

Des cataplasmes camphrés et des sangsues en abondance pour contrer la petite vérole

Tout commence pour Camille par des maux de tête et des nausées. Fièvre et vomissements entraînent la pose, au niveau des pieds, de « cataplasmes saupoudrés de camphre ». De « l’eau de gomme fraîche » lui est donnée en boisson. C’est la bonne Elisa qui se charge de veiller sur sa petite maîtresse. Dès que les taches rouges se signalent sur le visage et le corps de Camille tout va pour le mieux. Du moins pour elle... Car désormais c’est Elisa qui souffre de la petite vérole. Son cas est grave. « Divers remèdes » s’avèrent inopérants. Vingt sangsues placées à ses chevilles ne font pas plus d’effet que si on lui caressait le front ! Le sang coule en abondance, les pieds sont alors enveloppés de coton. Fièvre, délire... Elisa a droit au pire. Heureusement, l’apparition des boutons apportent une accalmie à une situation jusque-là critique. Des cataplasmes sont posés, de l’eau fraîche est administrée. Elisa est sauvée.

Du savon fissa pour éliminer une tache de café récalcitrante

Afin d’éviter que Sophie ne se fasse gronder pour la tache de café qu’elle a faite sur sa robe, toutes les petites amies se mettent à frotter et savonner la robe blanche. Et ça marche !

Et une marâtre cosmétiquée

Mme Fichini aime plaire. Elle porte des robes excentriques qui jurent avec les robes simples de Mmes de Fleurville et de Rosbourg. Des cerceaux d’une taille extraordinaire donnent à ses robes des volumes dignes d’une montgolfière. Par ailleurs, pour avoir la peau douce et parfumée, Mme Fichini fait provisions d’herbes qu’elle fait macérer dans l’eau de son bain. C’est Palmyre Louchet qui a en charge de l’approvisionner en herbes.

Dans ce sympathique roman de la comtesse de Ségur, la blonde Camille, la brune Marguerite et Madeleine aux cheveux châtain clair, « doux comme la soie », constituent un joli bouquet, plein de fraîcheur. La vie est parfois mouvementée à Fleurville. On joue, on rit, on travaille, on s’égare dans les bois, on y croise un loup et un sanglier, on fabrique des lampions dans des coquilles de noix (plus de 200, vous vous rendez compte !), on est confronté à la mort (celles du cocher et d’un brave boucher), on la frôle parfois, on dispose toujours des armes médicamenteuses pour éloigner les maladies diverses et variées. On recueille des escargots pour en faire des pommades, on ramasse les inflorescences de tilleul pour composer des tisanes, on plonge les blessures dans l’eau salée. On n’est jamais pris au dépourvu ! Et en plus, on se fait inviter, à la dernière page de l’ouvrage pour des « Vacances » au château. Que rêver de mieux ?

Bibliographie

1 Comtesse de Ségur, Les petites filles modèles, Hachette, bibliothèque rose, 1971, 256 pages

2 Hoenig LJ. Triumph and controversy. Pasteur's preventive treatment of rabies as reported in JAMA. Arch Neurol. 1986;43(4):397-399.

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