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Victor Vaissier, savonnier extravagant et fin publiciste

> 11 mai 2020

Victor Vaissier, savonnier extravagant et fin publiciste

Victor Vaissier naît, à Roubaix, le 9 février 1850.1 Héritier avec ses frères d'une modeste entreprise, la Savonnerie des Nations, il va rapidement développer l’activité et devenir un industriel renommé.2 Il faut dire qu’il a compris, bien avant les services marketing actuels, qu’il fallait faire rêver les clients potentiels et leur raconter une histoire… C’est ainsi que naît la légende du savon des « princes du Congo », le premier savon parfumé.2 Il invente aussi des « réclames », comme disait notre grand-mère, tout à fait originales que nous évoquerons plus loin.

Rappelons que nous sommes à la fin du XIXe siècle, c’est-à-dire à l’âge d’or du savon. Le courant hygiéniste, qui fait suite aux découvertes de Louis Pasteur et Robert Koch, marque la renaissance de l’absolue nécessité de l’hygiène et ce après la guerre franco-prussienne de 1870.3,4

Comme on n’a pas autre chose à se mettre sous la main (c’est le cas de le dire et le jeu de mots est facile, nous le concédons !), le savon est roi ! Reste à se démarquer de ses concurrents marseillais ou nantais, tels que la savonnerie Biette,5 la savonnerie Serpette ou encore celle des frères Talvande.6

Se démarquer, Victor Vaissier sait faire ! Il faut tout d’abord trouver un nom ; le public a besoin d’exotisme… et bien, le roubaisien se forge un destin de « prince du Congo » et le produit va s’appeler tout naturellement « savon des princes du Congo » ou plus simplement « savon du Congo »… « le préféré des mamans pour la toilette des enfants »  ! Il se décline avec plusieurs parfums : réséda, rose et violettes… tous du Congo ! L’origine de l’hélianthis d’or, de la fougère, de l’œillet et de l’héliotrope n’est pas certifiée ! Quant à la mystérieuse fleur du Lékélé… rêvez mesdames !

On peut s’interroger sur le choix de Vaissier qui se porte sur le Congo. La colonisation du Congo s'opère au cours d’une période qui s’étend de 1867 date de la première exploration du Congo-Kinshasa par l’explorateur britannique Henry Morton Stanley à l'annexion du pays par le roi des Belges, Léopold II en 1885. Cette colonisation met le Congo à la mode en Europe. Le tour est joué !

Il convient d’avoir une adresse qui fasse « cosmétique » : ce sera à Paris (évidemment), 4 place de l’Opéra !

D’une manière très avant-gardiste, certaines publicités diffusaient le parfum du savon.2

Et surtout… surtout, ce sont des écrivains ou de simples rimailleurs anonymes qui vont célébrer le fameux savon du Congo ! Le poète occitan Antony Tozy publie des quatrains sur le thème du savon. Frédéric Mistral, écrivain également occitan, mais beaucoup moins confidentiel que le précédent assure lui aussi la publicité du produit.7 Plus étonnants ces presque 6000 poèmes dont une majorité de quatrains rédigés à la gloire du savon du Congo, entre 1880 et 1900 !8 Ils sont l’œuvre d’anonymes rimailleurs et paraissaient dans des journaux de l’époque tels que La Lanterne, Gil-Blas ou Le Petit Parisien… Nous ne résistons pas au plaisir de retranscrire l’un d’entre eux :

                                               Les dieux étaient tombés, les trônes étaient vides

                                               Et, comme Bonaparte au soir de Marengo

                                               Victor Vaissier parut. Lors les peuples avides

                                               Le saluèrent roi, lui le père du Congo. 

Une autre recette du succès : la diversification. Vaissier n’est pas que savonnier. Il est aussi parfumeur. Avec le parfum pour femmes « Rhodesia », il entraîne encore et toujours ses clientes en Afrique, puisque la Rhodésie est l’ancien nom de l’actuel Zimbabwe. Plus banales apparaissent alors les eaux de Cologne que la maison Vaissier commercialisent également… Outre les parfums, ces dames pourront se procurer de la poudre de riz, le cosmétique-phare de l’époque. Pour les hommes, est proposée une « poudre de savon garantie pure pour l’usage de la barbe », « aux amandes de Provence »… cette fois on n’est pas en Afrique, mais au moins on a le soleil ! Pour les cheveux, la « Brillantine peau d’Espagne » fera merveille !

Victor Vaissier fait rapidement fortune grâce au savon et au parfum et son excentricité le pousse à faire construire un château qui va être connu sous le nom de palais du Congo… bien que cet édifice n’ait rien d’africain, mais évoque plutôt le Taj-Mahal ! La réalisation est confiée à l’architecte roubaisien Edouard Dupire-Rozan.9

Victor Vaissier décède le 27 décembre 1923, à Tourcoing.1 Son château sera démoli en 1929 et seule subsiste actuellement ce qui fut la maison du concierge et du jardinier.2

Ainsi s’achève tristement la belle épopée du roi du Congo... Une histoire, un peu comme... une bulle de savon

Bibliographie

1 https://gw.geneanet.org/yvanp?lang=fr&pz=yvan&nz=peisakovitch&p=victor&n=vaissier

2 https://chateauvaissier.blogspot.com/2010/01/le-chateau-vaissier-un-incroyable.html

3 Murard Léon, Zylberman Patrick. Pour une histoire politique de la médecine sociale. In: Vingtième Siècle, revue d'histoire, n°5, janvier-mars 1985. Les guerres franco-françaises, sous la direction de Louis Bodin. pp. 185-187.

4 Kokoreff M. La propreté du métropolitain : Vers un ordre post-hygiéniste ? Les Annales de la Recherche Urbaine, 1991, pp. 93-102

5 https://echappees-belles.fr/creator/savonnerie-alexis-biette-1882

6 http://www.savon-atlantique.com/SDA_WEB/fr/histoire/SAVONNERIE-NANTAISE.awp

7. Michaud E. La construction de l'image comme matrice de l'histoire. Vingtième Siècle. Revue d'histoireAnnée 2001 72pp. 41-52

8 http://marcangenot.com/wp-content/uploads/2012/04/SAVON-d%C3%A9but.pdf

9 « Comptes rendus », Revue du Nord, 2016/3 (n° 416), p. 645-694. DOI : 10.3917/rdn.416.0645. URL : https://www.cairn.info/revue-du-nord-2016-3-page-645.htm

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