> 16 mai 2021
Dans Une page d’amour (par parenthèse Emile Zola en a rédigé en réalité plus de 400 – des pages ! dans la collection trouvée dans notre bibliothèque),1 nous sommes entraînées dans une histoire d’amour raison - d’amour passion, parfumée à la verveine et au musc. Tout commence au chevet de la fragile Jeanne Grandjean, une petite fille de 12 ans « chloro-anémique », « phtisique » et despotique, qui a emprisonné sa mère, une jeune veuve trentenaire, dans une prison de verre. Hélène - c’est son prénom - vit sagement entre l’abbé Jouve et son frère, M. Rambaud (des frères à la Dupondt qui ne portent pas le même nom !), jusqu’au jour où le Docteur Henri Deberle, convoqué au chevet de la petite malade, crée un véritable raz de marée dans le ciel pourtant limpide qui baigne la belle veuve. Une douce intimité va peu à peu s’installer entre Mme Grandjean et le couple Deberle (Ah, oui, il faut préciser que le docteur est marié !), puis entre Hélène Grandjean et Henri Deberle. L’amour à peine consommé, viendra la terrible vengeance d’une fillette consumée par la maladie ! Entre la délicate verveine d’Hélène et le musc puissant de Juliette, les dés sont joués.
Mme Hélène Grandjean se parfume à la verveine, un parfum délicieux et subtil, l’un des « plus beaux parfums », selon Septime Piesse.2 C’est la première chose qui frappe le Dr Deberle lors de son arrivée, en pleine nuit, dans la chambre de la petite malade. Hélène est en tenue de nuit, son corset tombé à ses pieds. La chambre est en désordre ; les convulsions, l’étouffement menacent la vie de Jeanne. « Une odeur de verveine montait du lit défait et de ces linges épars. » Hélène, telle une statue antique, accueille Henri dans sa magnificence. Un visage d’un « ovale adorable », des « paupières bleuâtres », qui protègent des yeux d’un gris - bleuté, des dents parfaitement blanches ; une beauté saine et forte qui en impose. De la grâce, de la finesse... Une beauté « correcte », pas tapageuse du tout. Une image de la respectabilité... qui fait reculer d’un pas l’homme déjà conquis. Vue de nuit la chevelure d’Hélène semble « d’un noir d’encre » ; lorsque le jour se lève et que le soleil se met à taquiner ses mèches éparses, la chevelure s’anime d’un feu qui couve. « Châtaine, d’un châtain doré à reflets blonds ». De « l’or bruni », qui s’écoule tout le long du corps et vient basculer au niveau des reins... Les regards se croisent, les mains se touchent, les bras s’effleurent... sur les draps du lit d’une innocente fillette qui lutte pied à pied contre la mort. Hélène rime avec honnêteté, pudeur, retenue, raison. De la raison, elle en a eu jusqu’à présent à revendre, en épousant d’abord un homme qu’elle n’aimait pas, puis, en vivant à l’ombre d’une fillette qui se refuse à partager sa mère avec quiconque s’approche d’un peu trop près. Désormais, Henri est entré dans la vie d’Hélène et avec lui la raison perd pied. Cet homme, que grise l’odeur qui monte de la chevelure d’Hélène, n’est sans doute pas un modèle de vertu conjugale. Jusqu’où l’entraînera-t-il, celui qui « penché sur elle, buvait la légère odeur de verveine qui montait de son peignoir. » ?
Malgré les crises continuelles de jalousie de Jeanne, Hélène, sur un malentendu, saute le pas et s’offre à Henri. De retour d’une aventure qui restera éphémère, Jeanne s’étonne du changement d’odeur de sa mère. « Ce n’était plus la même odeur de verveine ». Du changement même de la texture de sa peau. « L’odeur de trahison » vient de pénétrer dans la maison. La fillette, en attendant le retour de sa mère, sous la pluie, a préparé sa vengeance... Et rebelote, les visites de médecin, les potions au goût amer, les vésicatoires, et toujours cette odeur de verveine qui emplit l’espace. « Dans la chambre, à cette heure de la nuit, au milieu des linges et des vêtements épars, il respirait de nouveau cette odeur de verveine qui l’avait tant troublé, le premier soir où il avait vu Hélène échevelée, son châle glissé des épaules. » Désormais, la porte de la chambre de Jeanne restera close pour l’amant d’une soirée, plus question de « boire toute cette odeur d’amour » à la fontaine de la belle voisine qui s’est oubliée un instant au point de sacrifier son rôle de mère.
Mme Juliette Deberle, la femme du Dr Henri, a recours à un parfum musqué, comme la plupart de ses amies. « La chaleur grandissait, une odeur musquée s’envolait des toilettes sous le battement des éventails. » Des « cheveux d’un noir d’encre », savamment parfumés (« L’air alourdi et dormant gardait l’odeur des chevelures ») et une peau « d’une blancheur de lait », s’éveillant parfois d’un « reflet vermeil », conviennent à ravir à cette charmante coquette qui traîne derrière elle une petite cour admirative. « Petite, potelée, gracieuse », Juliette mène son monde à la baguette. Futile, mondaine, Juliette joue avec le cœur de Malignon, un jeune homme, « frisé au petit fer, les cheveux séparés par une raie qui lui descendait jusqu’à la nuque », qui attend son heure et se prête volontiers au rôle de chevalier-servant. Dans le salon de la belle Juliette, la vie s’écoule douce. « Une odeur chaude, l’arôme du café mêlé aux légers parfums des toilettes montait »
Lors de vacances à Trouville, Malignon et Juliette flirtent hardiment sous le soleil normand. Juliette, bien à l’abri de son ombrelle, est restée aussi pâle que de coutume (« Est-ce que j’ai bruni ? » Non, absolument pas.) ; le petit Lucien, en revanche, est « tout hâlé d’avoir joué sur la plage, au vent du large. » Juliette résistera à Malignon grâce au concours d’Hélène...
Mme Deberle, en maman attentive, aime à gâter son petit Lucien ; celui-ci est devenu très vite l’ami de Jeanne, dont il admire la beauté. Lors d’un bal pour enfants, Lucien, déguisé en petit marquis poudré à souhait, donne le bras à une gracieuse Japonaise, à la robe « brodée de fleurs et d’oiseaux bizarres » au « haut chignon traversé de longues épingles ». La petite geisha, c’est Jeanne, à la peau tout imprégnée de « parfum de benjoin et de thé ». Exotisme garanti au beau milieu d’un salon où domine les effluves de violette. Jeanne apprécie la compagnie de Lucien ; elle aime jouer dans son jardin, prendre des bains de soleil, afin de reprendre des forces. Rosalie, la bonne de Mme Grandjean, a la charge de veiller à ce qu’elle prenne le soleil de manière raisonnable, sans excès. « Tout à l’heure, ses jambes seules, jusqu’aux genoux, trempaient dans ce bain chaud de rayons, maintenant elle en avait jusqu’à la taille et la chaleur montait toujours [...] ». Rosalie veille également à la toilette de Jeanne qui, peu docile, se plaint de l’eau trop froide, de l’éponge passée trop énergiquement sur le visage, du savon dans les yeux ! Une fois la toilette terminée, pourtant, Jeanne est heureuse de se savoir « toute rose d’avoir été frottée » et toute fraîche et sentant bon.
La Mère Fétu, une pauvre femme percluse de douleurs et pauvre comme Job, utilise, pour lutter contre les œdèmes, une préparation-maison à base de chandelle et de pissenlit (« J’aurais dû écraser de la chandelle avec des pissenlits, ça ôte l’eau qui est dans le corps »).
Zéphyrin, le fiancé de Rosalie, collectionne les cailloux et les... papiers d’emballage de chocolat, de savon...
Dans le combat qui oppose la verveine au musc, c’est bien sûr le parfum floral qui rendra les armes, devant la somptuosité du parfum animal. Le parfum d’Hélène, léger comme l’air, s’élance, emplit l’espace, puis s’oublie. Le parfum de Juliette, lourd de promesses, forme, quant à lui, une chape de plomb sur les épaules d’un Henri versatile et lâche à souhait. Une fois la parenthèse refermée, une fois la folie rangée dans l’armoire aux souvenirs, il ne restera plus à Hélène qu’à convoler, en tristes noces, avec un M. Rambaud (qui n’a rien d’un Rambo), vieillissant certes, mais pétri d’amour vrai.
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour cette illustration du combat de la verveine et du musc !
1 Zola E., Une page d’amour, Fasquelle éditeurs, 1968, 435 pages
2 Piesse S., Histoire des parfums, Paris, Baillière et fils, 1890, 371 pages