> 07 mars 2021
Curieux livre que l’histoire de ces enfants terribles racontée par un poète qui n’a jamais vraiment quitté le monde de l’enfance.1 Un jeune garçon à la beauté fragile, souffre-douleurs d’un chouchou de classe à la beauté flamboyante. Voilà Paul (le harcelé) et Dargelos (le harceleur). Une jeune fille, la sœur de Paul, sosie féminin de son frère, brune aux yeux bleus, d’une pâleur spectrale. Voilà Elisabeth. Une jeune mannequin orpheline dont les parents se sont suicidés au gaz. Voilà Agathe. Un camarade de classe qui n’a d’yeux que pour Paul. Voilà Gérard. Et puis, il y a aussi une mère infirme, paralysée, dont il faut s’occuper comme d’un enfant. Tout ce petit monde vit dans deux pièces, se fâche, se réconcilie, rit et pleure tour à tour.
Mme mère vit constamment couchée... paralysée. Trompée par un époux buveur et coureur, la pauvre femme qui, du temps de sa splendeur, se « fardait, changeait de bonne chaque semaine, dansait et cherchait de l’argent n’importe où », n’est plus que l’ombre d’elle-même. Désormais, ce sont ses enfants qui veillent sur elle comme des parents.
Elisabeth aime son frère d’un amour envahissant. La jalousie la tenaille à tout instant. S’il sort avec Gérard, c’est la consternation. Pourtant, lorsque les deux garçons rentrent à la maison, Elisabeth est là, qui se polit les ongles avec application. « Ils la trouvaient assise, un filet à cheveux sur la tête, la langue un peu tirée, en train de polir ses ongles. »
Pour gagner un peu d’argent, Elisabeth se lance très temporairement dans le mannequinat. Elle apprend à marcher droit ! et se distingue de ses collègues, « peintes et lasses ». Son « profil grec », acquis la nuit, grâce à une pince à linge placée sur le nez, lui confère une dignité toute particulière.
Agathe aime Paul et réciproquement. Elisabeth aime Paul et ne veut pas le perdre. Pour séparer les deux jeunes gens, Elisabeth leur jette de la poudre aux yeux (il faut briser l’idylle dans l’œuf) et remaquille Agathe de manière maternelle. « Elle la releva, la poudra [...] »
Pour éloigner Agathe de Paul, Elisabeth fait disparaitre le « pneumatique » qui révèle à la jeune fille l’amour dont elle est l’objet. Une fois cette action réalisée, Elisabeth lave ses mains « effrayantes » !
Elisabeth gratte son cuir chevelu, jusqu’à produire une écorchure. Celle-ci est ensuite graissée avec « une crème qu’elle tirait d’un pot de pommade ». Paul trouve cela idiot. « Elle a lu dans un journal que les actrices américaines s’écorchaient et se passaient de la pommade », dans le but de vivifier leur cuir chevelu. Pas si sûr que cela !
Dans la chambre de Paul et Elisabeth, un doigt inconnu a tracé « au savon en grosses lettres : « Le suicide est un péché mortel. » »
Quelques années après été le souffre-douleur de Dargelos, celui-ci se rappelle au bon (?) souvenir de Paul, en lui faisant parvenir un poison exotique, qui se présente sous la forme d’une « boule sombre », ressemblant à une « truffe ». Son « arôme de motte fraîche », allié à une « odeur puissante d’oignon et d’essence de géranium », laisserait à supposer que l’on a affaire à un parfum envoûtant, plutôt qu’à un poison. A la limite, une drogue ? Oubliant le message savonneux laissé sur la glace de la chambre de son enfance, Paul se laisse tenter par « l’arôme funèbre », « l’arôme noir », qui s’exhale de la boule odorante. Suicide ou accident ? Paul trépasse !
Chez Cocteau, la chambre des enfants est tout le temps en bazar. Il y a des objets qui traînent partout. Un syndrome de Diogène, à n’en pas douter ! Des tiroirs aux trésors qui renferment des poisons violents, aussi. Chez Cocteau, on n’aère pas souvent... La chambre pue l’ozone... pas vraiment « vivifiant » ! Chez Cocteau, les enfants se nourrissent de sucre d’orge, de grenadine, de bonbons, de réglisse, de biscuits secs... il y a des miettes partout, un vrai calvaire pour la femme de ménage. Pas vraiment équilibré ce régime-là ! Chez Cocteau, les jeunes filles ont de drôles d’habitudes cosmétiques, qui relèvent plus de la psychiatrie que de la routine beauté traditionnelle. Tout ce petit monde est malheureux ; l’estime de soi est trop haute ou trop basse. Jamais au bon niveau. Paul aimerait s’isoler dans une cabane, une du genre construite par la comtesse de Ségur, durant « Les vacances ». Paul aimerait vivre paisiblement avec Virginie, sur une île déserte. Oui, mais voilà, Paul n’est plus un enfant, car les années ont passé. La boule puante des cours de récréation est remplacée par une boule odorante, maléfique. Dargelos (avec son nom digne d’un paquet de bonbons) a gagné. Le petit garçon, qui avait résisté aux batailles de boules de neige, a succombé à l’offensive parfumée.
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour sa maginifique illustration du jour !
1 Cocteau J. Les enfants terribles, Le livre de Poche, Grasset, 1959, 177 pages
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