> 09 juillet 2022
Ken Harris est un écrivain qui souffre mille maux devant une page aussi blanche que la neige.1 Il attend avec impatience le « choc de l’inattendu contre le présent » pour démarrer son roman, sans caler. Ecrivain à succès (un seul roman connu et reconnu a priori), marié à la journaliste Marian Campbell, Ken peine à refaire surface dans le monde de la littérature. Son couple bat de l’aile (il y a même eu une période de séparation), son travail bat de l’aile... de quoi avoir envie d’aller se mettre au vert dans une ferme à la campagne.
Ken est dépressif. Lorsqu’il descend prendre son petit-déjeuner dans une cafétéria proche de son domicile, la vue d’une « vague empreinte de rouge à lèvres sur le bord de la tasse » le plonge dans un abîme de tristesse. Tout le monde s’agite autour de lui et lui est seul au milieu de tout ce monde bruyant. Seul à observer une trace de rouge à lèvres sur une tasse mal lavée !
Les jours de déprime se succédant, Ken en vient à envisager le pire, une bouteille de désinfectant à la main dans une salle de bains hostile. « Il reste là pendant une demi-heure, puis au prix d’un grand effort, il réussit à vider lentement la bouteille dans les WC. »
Un petit tour sur un balcon dangereux (le garde-fou ne garde pas grand-chose, tant il est mal scellé dans le mur) en hiver, et voilà Ken hypnotisé par la trace de ses pas dans la neige. « Pourquoi regardait-il ces traces avec une tension si grande ? »
Alors que Marian coupe « les petites peaux autour des ongles », Ken parle de son souhait de repartir à zéro. Marian n’a pas l’air bien convaincu. Ken s’empare des ciseaux et se concentre sur la veine qui bat au niveau de la tempe de Marian. Alors, frappera, frappera pas ? Roman ? Réalité ?
Ce n’est pas parce que l’on est un écrivain en manque d’inspiration qu’il faut en venir au crime. A force de rêver sa vie, Ken finit par la perdre. Obsédé par les traces laissées par les êtres humains sur des supports aussi variés que la porcelaine, la neige ou le papier, il sombre dans la folie, reconstruisant une vérité fuyante à chaque instant. Dommage, le vent efface tout !
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour !
1 McCullers C., Qui a vu le vent ? in Le cœur hypothéqué, Le livre de poche, 2017, 342 pages
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