> 16 novembre 2024
Traquer un ancien nazi, connu sous le nom de Franck Luebig, telle est la nouvelle mission du commissaire San Antonio dans un opus publié en 1956. Fais gaffe à tes os met San Antonio face à un dilemme.1 L’homme qu’il doit abattre, Franck Luebig, est l’homme qui, par deux fois, lui a sauvé la vie. Devant ce choix cornélien - faire parler la poudre ou bien la faire taire – Bérurier, le collègue de San Antonio va devoir trancher. Sur ordre du chef, du vieux, du boss… c’est la manière forte qui est employée.
Une affaire compliquée, qui nécessite de rester à proximité d’un « tube d’aspirine », afin de pouvoir s’éclaircir le cerveau à tout moment.
Il est bon de rappeler, avant toutes choses, que San Antonio vit toujours chez sa maman. Félicie est son nom. Félicie s’occupe de son chérubin avec amour donnant parfois - comme c’est le cas ici - un conseil avisé à son rejeton.
San Antonio ne se rend pas toujours compte de la chance qu’il a d’avoir une maman attentive à tout ce qu’il peut lui raconter.
Alors qu’il patine un peu dans l’affaire en cours, il se permet même une sombre diatribe au sujet du sexe féminin. « Les femmes, qu’il s’agisse de vos vioques ou de vos nanas, sont toutes les mêmes. Vos affaires, elles s’en tamponnent la coquille. Ce qui importe pour elles, ce sont leurs petites couennieries. Pour les jeunes, c’est le nouveau hâle solaire ; pour les vioques, les dernières laines de la Redoute ! » Et bien non, cher commissaire, votre maman n’est pas de ce genre et grâce à elle vous allez pouvoir progresser dans votre enquête de manière radicale. Car, vous ne l’aviez pas vu sur l’écran, mais Félicie l’a tout de suite remarqué, il y a une femme à côté de Luebig. Une femme qu’il va falloir, maintenant, retrouver !
Un homme moyen, de « taille moyenne, d’âge moyen », avec un visage moyen, c’est-à-dire bien ordinaire ! Le bras droit d’Himmler qui a simulé une mort en accident de voiture et ressurgit un beau jour, aux actualités, sur une bobine de film au cinéma possède un physique très quelconque.
Un homme qui n’a rien de vraiment remarquable. Un type passepartout, que l’on imagine assez bien se lavant « les pieds dans une bassine les veilles de première communion. »
A la fin du roman, San Antonio fait connaissance avec le personnage ; un homme soigné de sa personne qui « sent bon comme une gonzesse de luxe ». Un homme costaud tout de même, puisqu’il charge sur ses épaules un San Antonio qui pèse ses 90 kg ! Et voilà notre commissaire qui se trouve redevable de l’homme qu’il est chargé d’abattre !
C’est le petit vieux, qui a été écrasé par un train, à Villennes. Il se tient à côté de Luebig sur la photo qui a été tirée à partir de la pellicule cinématographique. Il a été l’objet d’un règlement de compte, a priori !
C’est logiquement à son domicile que se rend San Antonio, afin d’en apprendre plus sur le sujet. Et là, sur un papier tue-mouches, le fin limier va trouver plus d’indices qu’il n’en faut !
Le pavillon de Théodore est dans son jus. Le papier tue-mouches règne en maitre dans cette maison. Un papier sur lequel sont attachées des mouches, mais également des cheveux (des « tifs »). A la pêche aux cheveux, San Antonio fait une excellente récolte, rapportant ceux de Schwob (des « tifs blancs »), mais également des tifs bruns et des tifs roux. « Deux longs cheveux roux… Des cheveux teints, car la racine est foncée… Bref, des cheveux de femme… ».
Dans ce pavillon abandonné, San Antonio met également la main sur des « objets de toilette », à savoir « deux brosses à dents » et un « flacon d’eau de Cologne de luxe pour homme »… ce qui signe la présence, en ces lieux, d’un homme soigné et raffiné, c’est-à-dire pas du tout le genre du propriétaire !
Ces déductions ont été faites un peu vite. En effet, en interrogeant le garçon boucher, qui livrait régulièrement Schwob, San Antonio apprend que les longs cheveux teints n’appartiennent pas à une femme, mais à un grand jeune homme d’une trentaine d’année, prénommé Germain.
Et il y revient au cours de son enquête à cette histoire de cheveux teints, le commissaire, car le labo a détecté deux nuances de roux. « Il y a deux sortes dans les roux, et les deux sortes sont teints avec le même produit… Je pense qu’il y a des cheveux de femme et des cheveux d’homme. L’homme se serait teint avec la drogue de la femme… » C’est à y rien comprendre lorsque l’on apprend en avançant dans le roman que la femme en question est naturellement rousse et n’a donc pas besoin de se teindre !
La femme qui est proche de Luebig se nomme Leonora Werth. Elle a environ 38 ans et est rousse « dans les roux intenses », naturellement rousse. Elle se parfume avec un « tendre parfum de Paris », qui imprègne tous ses vêtements et plaque, sur ses lèvres minces, « un rouge-béco », qui tient plus de la « peinture » que du produit de maquillage haut de gamme.
Leonora Werth est la femme de Pierre Werth, le jeune homme brun teint en un « roux pas catholique », dont nous avons déjà parlé. Celui qui créchait chez Schwob.
Cette espionne qui travaille pour les Soviétiques s’est acoquinée un temps avec Luebig, avant de vouloir le livrer à la police.
Le grand jeune homme teint en roux, qui a vécu un temps chez Schwob est le mari de Leonora. Pourquoi cette teinture ? tout simplement pour se faire passer pour le frère de Leonora. « Werth poussait la conscience… professionnelle jusqu’à teindre ses cheveux de la couleur de ceux de la femme, laquelle faisait son charme… ». Pierre est d’origine tchèque. Il travaille pour les Soviétiques.
Le roi du chantage et de la trahison, c’est lui !
Trop grand pour Schwob, trop petit pour Germain (sous le nom de Germain, se cache, en réalité, Pierre Werth, si l’on a bien tout pigé !), ce costume renferme un indice important : un morceau de papier, sur lequel est inscrit « Plaza Colon ». Le costume de Luebig, peut-être ?
Et hop, dans ces conditions, San Antonio et son collègue Bérurier prennent l’avion pour Barcelone.
Arrêt en passant dans un hôtel rue de la Gaîté à Paris, dont la patronne est une personne « rondelette et pomponnée ». Une femme, comme les aime Bérurier (« il aime les dames pulpeuses, élevées au banania »), le collègue préféré de San Antonio.
A Barcelone, San Antonio fait la connaissance (une connaissance approfondie) de sa voisine de chambre. Une certaine July Chevreuse, actrice de cinéma. Pendant ce temps-là, Bérurier se fait kidnapper par une bande de voyous.
San Antonio utilise, pour se raser, un rasoir électrique (« je me tonds le gazon en vitesse ») ; il prend des douches, pour décaper sa peau et retrouver « la blancheur Persil » !
Puis, il s’habille et « vaporise » sur ses « crins une brillantine de qualité » !
Durant cette enquête, Frédéric Dard nous présente un « gominé », qui « jacte à tout berzingue » !
Ce comparse « grand », « trapu » et « calamistré », qui « pue la brillantine de bazar » (« C’est une odeur huilée, pénible… ») va passer à tabac San Antonio, qui s’est mêlé des affaires des autres.
Dans ce dancing de bas étage, règne une « odeur de crasse populaire et de parfum non moins populaire ». De quoi « irriter » les narines sensibles d’un San Antonio hyperosmique.
Dans cet opus, la teinture capillaire joue un rôle décisif. On s’y perd forcément un peu entre les vrais et les faux roux.
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.
1 Dard F., Fais gaffe à tes os in San Antonio tome 2, Bouquins, Robert Laffont, 2022, 1258 pages
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