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Une teinture capillaire pour retenir un peu de jeunesse !

> 31 décembre 2022

Une teinture capillaire pour retenir un peu de jeunesse !

Préséances, un règlement de comptes en bonne et due forme envers une certaine bourgeoisie qui ne se sent en sécurité que dans l’entre-soi. Dans le cas présent, François Mauriac passe au fil de l’épée les fils des familles Frédy Dupont, John Martineau, Willy Durand, Percy Larousselle, James Castaingt, Harry Maucoudinat… (ces gens, par snobisme, ont voulu accoler à leur nom de famille bien ordinaire un prénom américain qui claque un peu), des fils de bonne famille, qui méprisent le narrateur et qui pourtant le fascinent un peu (et même beaucoup) ! Et puis, au collège, apparaît tout à coup, un jeune garçon, beau comme un dieu… Intelligent, cultivé, Augustin n’a qu’un seul défaut… Cet enfant naturel porte sur lui la tache infamante d’une naissance hors mariage.1

Maisons de vin versus maisons de bois

Les enfants dont les pères tiennent des maisons de vin méprisent les enfants dont les pères occupent des postes jugés subalternes. Le directeur d’une maison de bois merrains (le bois qui permet de fabriquer les tonneaux) - l’oncle du narrateur - ne fait pas exception à la règle.

Des souvenirs odorants qui s’échappent d'un flacon…

Les souvenirs du narrateur « jaillissent d’un air de cantique, d’un parfum ». L’odeur d’encens de la chapelle du collège, l’odeur « de crottin et d’acide hippurique » du parc voisin… autant de parfums qui reconduisent le narrateur sur les chemins de l’enfance. L’odeur de « saumure et de brume », qui enveloppe le bassin de Gravette est, à jamais, pour le narrateur le parfum de l’amitié !

Augustin, un parfum d’amitié, de fraternité

Au collège, Augustin apparaît au narrateur sous les traits d’un jeune garçon, à l’uniforme « couvert de taches ». C’est son « aspect de saleté » qui frappe l’œil au prime abord. Puis, en détaillant mieux le visage de l’adolescent, on constate sa grande pureté.

Ce fils d’une étudiante polonaise et d’un père, directeur d’une maison d’édition (il finira reclus parmi les moines à la Trappe !), est élevé par une gouvernante Mme Etinger.

Devenu adulte, Augustin fera la Grande Guerre et s’expatriera… 10 ans plus tard, il reviendra sur les terres de sa jeunesse, quelques dents en moins, beaucoup de cheveux en moins. « Chauve », ridé, Augustin est en pleine déchéance physique.

Florence, un parfum de trahison

La sœur du narrateur, Florence, ne rêve que d’un beau mariage. S’immiscer dans le clan des fils de bonne famille constitue son rêve ultime. Cette jeune fille, blonde, à la beauté fragile (on la qualifie tour à tour de porcelaine de « saxe » ou de « bouton de rose »), réussira à séduire, un même été, Augustin et le fils Harry Maucoudinat (dont on ignorera jusqu’à la fin le prénom). Elle choisira, bien sûr, le fils de bonne famille !

Dans le bassin d’Arcachon, sur la plage de Gravette, Florence se laisse hâler par le soleil. Sa peau prend la teinte de la « pulpe de chasselas ». Son « bras roussi de soleil » fascine Augustin qui… mord dedans !

Un mariage, une fille, Eliane… et puis une séparation ! Il faut dire que Monsieur a des maîtresses et que Madame prendrait bien un amant !

10 ans plus tard… La « jeune fille au corps mince et dur » a laissé place à une « femme alourdie », au « bas du visage gras », en pleine déliquescence (son bas de visage « se défait »).

Eva, la fille Etinger, un parfum de soumission

Eva, une trentenaire aux cheveux coupés courts, est secrétaire de maître Balisac, un fieffé coureur de jupons. Ce Monsieur Balisac fait l’admiration du narrateur : « Il possède le secret de rester maigre et une teinture admirable par quoi il échappe au temps. » Pas sûr que sa secrétaire ne lui échappe !

Et un fard à joue saturé d’éthanol

Florence, en digne épouse d’un marchand de vins, ne boude jamais une petite dégustation au cours du repas. « Florence n’y répugne pas, je remarquai l’éclat de ses yeux et que le fard sur ses joues était superflu. »

Et un type vulgaire à forte pilosité

Florence n’est guère regardante en matière de conquêtes amoureuses. Une fois mariée à Maucoudinat, elle laisse traîner ses regards vers des êtres beaucoup moins nobles… Hourtinat, un individu vulgaire à la « folle végétation pileuse », s’attire ainsi ses faveurs !

Préséances, en bref

Une solide amitié née sur les bancs du collège. Une amitié qui permet de tenir tête aux fils de bonne famille. Une jeune fille qui rentre dans la danse, qui se joue d’un cœur tendre… et badaboum la belle amitié est tombée par terre ! La beauté du visage de l’adolescent et sa grâce enfantine se sont noyées dans le bassin d’Arcachon. Le narrateur a beau tendre ses filets… aucune prise ! Pour retrouver la sérénité, il ne reste plus au narrateur qu’à jouer les ermites sur une plage des Landes ! Oui, mais c’est compter sans Florence. Quelle poisse !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour !

Bibliographie

1 Mauriac F., Préséances, Flammarion, 252 pages, 1962

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