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Une propreté morale doublée d’une propreté corporelle, ils sont comme ça les héros de Daphné du Maurier !

> 02 juin 2022

Une propreté morale doublée d’une propreté corporelle, ils sont comme ça les héros de Daphné du Maurier !

La Grande Bretagne s’est « retirée de la communauté européenne » (oui on est au courant !), la Grande Bretagne vient d’être envahie par les Etats-Unis qui, profitant du climat d’insécurité économique du pays, ont décidé de phagocyter avec perfidie l’Albion en pleine déconfiture... (alors là on n’est pas au courant !).1 Fake news ? Oui. Et surtout thème d’un roman d’anticipation, né, en 1974, de l’imagination fertile d’une certaine Daphné du Maurier. Il y est question de propreté, de résistance, de bains tièdes, d’odeur de fumier... Durant plus de 300 pages, on vit aux côtés de Mad, une vieille actrice en retraite, dans une « Mad-house » (oui, vraiment, parfois, on a le sentiment d’être tombé dans la maison des fous), à une époque lointaine (le « dernier quart du XXe siècle »). Allez zou... Montez dans le wagon, c’est Daphné qui pilote !

Les personnages

Il y a Mad, bien sûr (c’est même elle qui donne le titre à ce roman). Une ancienne actrice à l’aube de ses 80 printemps. Accoutrée d’anciens costumes de scène, elle ressemble parfois à une sorte de « Robin des Bois », mâtiné de « Mao Tse-toung » ou à un paysan sibérien du temps des tsars. De beaux cheveux blancs, coupés court, viennent auréoler le visage de cette femme énergique qui ne s’en laisse pas conter.

Retirée à Poldrea, Mad (abréviation de Madame) vit entourée de sa petite fille Emma (20 ans) et de sa tribu de garçons adoptés. Il y a Ben, le petit dernier, « noir d’ébène », qui, à 3 ans, ne parle toujours pas. Il y a aussi Colin (6 ans), un diablotin blond aux yeux bleus, Andy (12 ans), le spécialiste du tir à l’arc (aïe, en visant et tuant un soldat américain, il va plonger la paisible famille dans un profond chaos), Sam (9 ans) un petit garçon, gêné par un strabisme important et les aînés (Terry, 17 ans et Joe, 19 ans). Joe arbore une cicatrice près de l’œil ; Terry se reconnaît à ses beaux cheveux bouclés. On peut également compter dans cette tribu un écureuil du Canada à l’odeur particulièrement forte.

Il y a également Dottie (Mrs Dottrell), la fidèle habilleuse de Mad, devenue gouvernante et femme à tout faire, au moment de la retraite de Madame.

Il y a Emma, la fille de Victor, la petite-fille de Mad, une jeune fille attachante, bonne ménagère et mère de substitution pour toute la tribu d’enfants.

Il y a Victor, le fils de Mad, le père d’Emma, un banquier surmené, âgé de 48 ans, qui s’arrange fort bien de l’invasion américaine. Homme d’affaire capable, Victor est comme un enfant quand il s’agit de vider sa valise. Emma, qui veille à tout, s’empresse alors de placer « les brosses en ivoire sur la coiffeuse, le pyjama en soie sur le lit » et le « rasoir électrique » dans la salle de bain.

Il y a le contre-amiral anglais Sir James Jollif, ami de Mad, et complètement dépassé par les évènements.

Il y a Mr Willis, un type original, « végétarien » et un tantinet inquiétant.

Le thème abordé

Alors que les Américains ont à peine débarqués sur le territoire, certains Anglais et en particulier des banquiers comme Victor préparent déjà la coopération économique de l’EURU (alliance entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni), concoctant une monnaie unique baptisée le ducat. La reine est expédiée à la Maison-Blanche illico presto ! Andy, en visant un soldat américain (le caporal Wagg) et en le tuant, se place, quant à lui, délibérément dans le clan des résistants. Ceci n’est pas pour déplaire à Mad qui s’inscrit, elle aussi, dans la catégorie des frondeurs. Le fermier Jack Trembath, voisin de Mad, Mr Willis, un homme étrange, à « l’abondante chevelure d’un blanc neigeux », ainsi que tout un groupe d’habitants, rejoindront petit à petit le noyau dur. Les hommes se regroupent la nuit, le visage noirci au « bouchon brûlé », pour des opérations commandos.

Et puis, il y a les collaborateurs, comme cette Mrs Martha Hubbard, au « physique agréable » et à la voix persuasive.

Des bains en veux-tu en voilà !

Dans ce roman, la porte de la salle de bains claque sans arrêt. Dès les premières pages, le lecteur surprend Emma en pleins préparatifs de toilette (« Quittant son lit, elle s’en fut par le couloir se faire couler un bain. »), une toilette réalisée en grognant, puisqu’une fois de plus l’eau du bain est « tiède » pour cause de chauffe-eau paresseux.

Et puis, à peine lavée, à peine séchée, voilà les ordres qui pleuvent : « Et dis bien à Andy de se laver les dents avec la pâte dentifrice, pas avec le savon » ! Emma, on l’aura compris, constitue une seconde mère pour les petits de la fratrie, veillant sur leur hygiène bucco-dentaire avec une belle constance. De là à se faire harceler par Dottie qui en rajoute une couche : « As-tu rappelé à Andy de se laver les dents ? » il y a des limites. Pourtant, il faut bien le dire, à l’heure où les soldats américains débarquent sur la plage il y a d’autres priorités que de s’acharner sur Andy. « Emma ne répondit pas. Les dents d’Andy étaient d’importance secondaire, comparées à toutes ces choses étranges qui se produisaient au-dehors [...] ».

Mad apprécie, elle aussi, les bains matinaux. « Mad ressortit de la salle de bain vêtue ce matin-là comme un paysan sibérien avant la Révolution russe. »

Tout comme son fils Victor, qui, à peine arrivé chez sa mère, réclame un bon bain, « pour se délasser du voyage ». Mais d’abord, un verre d’alcool... « Quand il aura fini son verre, il veut prendre un bain, ce qui signifie qu’on ne dînera pas avant 8 heures 30 au plus tôt. » Et donc, « un bain chaud » ! Et puis après cela à nouveau un verre d’alcool...

Et puis, il y a celui qui est appelé « le vagabond » dans la région. Mr Willis ne sera jamais pris en faute de laisser aller. « Maintenant, c’était un vieux tub qui occupait le centre de la pièce, dans lequel Mr Willis, le torse nu et juste vêtu d’un vieux caleçon, était en train de se frotter le dos avec une brosse. » Le vendredi est, pour lui, le jour de grand nettoyage... Tout y passe. De l’homme à la maison, en passant par les vêtements. « C’est le jour où je nettoie la baraque à fond et moi avec. Une habitude que je tiens de ma mère. » Enfin, tout ça c’est peut-être plus pour épater la galerie que pour de vrai !

Imaginez une coupure d’eau et d’électricité pour tous ces gens avides de bains chauds ! Une vraie catastrophe... Il n’y a que les enfants à se réjouir de la situation. « Mais j’en connais que cette nouvelle va drôlement réjouir... Demandez plutôt à Andy, Sam, Colin et Ben. On ne va plus pouvoir les obliger à se laver. »

Imaginez aussi une opération « fumier », qui consiste à en déverser des tonnes au pied de l’ennemi ; de quoi provoquer par la suite une belle série de bains, destinée à se séparer de l’odeur pestilentielle qui s’attache à la peau (il ne reste plus qu’à tirer de l’eau au puits et à chauffer l’eau au feu de bois). Mission : nettoyage des vêtements imprégnés pour Joe et Terry qui, dans une vieille baignoire abandonnée (celle du chien), font mousser le « savon » !

Du dentifrice et des verres à dents en veux-tu en voilà !

Soyons bien claires, ce roman débute dans un climat de mauvaise humeur avancé. Cette journée a tout pour être réussi mais Emma laisse « tomber dans le lavabo son verre à dents qui se » brise « avec fracas » ! Et puis il y a cette obligation de vérifier chaque matin que les garçons - et surtout Andy - se lavent bien les dents. Le dentifrice coule à flots, n’a pas le temps de durcir sur le bord du lavabo. Il en est question à tout bout de champ, y compris lorsqu’il faut faire comprendre au lecteur que Mad est une vieille dame originale qui n’a jamais vraiment pris conscience que sa vie d’actrice était finie. « Tout comme l’on se lave automatiquement les dents deux fois par jour, sa mère continuait à jouer en matinée et en soirée, bien qu’elle n’eût plus de public. »

Des cris en veux-tu en voilà !

Lorsque Dottie lave la figure des garçons... on l’entend. Des cris s’échappent du dortoir des petits !

De la comédie, du maquillage en veux-tu en voilà !

Mad, en bonne actrice qu’elle est, sait lorsqu’il le faut (lorsque les Américains viennent jeter un coup d’œil à la maison, à la suite d’une opération de sabotage), jouer les vieilles femmes malades. Pour simuler un accident cardiaque, elle se souvient de l’existence de sa trousse de maquillage. « D’instinct, Emma devina que sa grand-mère avait renoncé à son fond de teint et à sa poudre habituels pour en utiliser de plus clairs afin de paraître pâle. » L’occasion pour Emma de se souvenir du temps où Mad abusait des produits de maquillage. « [...] il lui arrivait de voir sa grand-mère tant chérie s’enlaidir soudain avec des fards et une perruque ».

Et une histoire de papier toilette

Les magasins sont rationnés, les déplacements contrôlés. Mad, chargée de faire les courses, revient avec une provision de « côtelettes de porc », « des rouleaux de papier hygiénique »2 et des « bouteilles d’orangeade ». Egalement des tubes de dentifrice et du savon, achetés en pharmacie. « Et vous savez que le savon qu’on y vend est bien meilleur que celui du supermarché ». Revenue à la maison avec son chargement, Mad se fait moquer par Dottie. Que va-t-on faire de ses maigres provisions de bouche ? « Quant au papier hygiénique, ça servira toujours, bien sûr, mais il n’est pas comestible. »

Des parfums, enfin, comme toujours

Comme dans tout roman de Daphné du Maurier qui se respecte, il y a des odeurs qui viennent nous chatouiller les narines. Le « vieux duffle coat » de Victor a une odeur spéciale qui parle aux souvenirs de sa fille Emma. Le purin répandu près des Américains dégage une odeur dont on a du mal à se défaire. Et puis, il y a cette peur panique d’une attaque chimique. Emma, tous sens en éveil, cherche à détecter l’odeur de « produits chimiques » et de « pétrole » annonciatrice de la catastrophe. Celle-ci ne viendra heureusement pas.

Mad, en bref

Les Américains débarquent sur le sol anglais. C’est la révolution. La région de Poldrea va désormais connaître la prospérité, nous dit-on. Le kaolin, extrait depuis des années, restera désormais dans la terre. L’Angleterre doit devenir un grand parc d’attractions pour des Américains en quête de divertissements historiques. Changement du tout au tout. Oui, mais pour cela, il faudrait que les Anglais soient des moutons... Et tous ne sont pas prêts à brouter l’herbe grasse et verte de leur chère patrie sans regimber un peu. Mad et sa famille, en jouant le premier acte d’un drame, sont à l’origine d’une résistance qui ne sera pas vaine. En faisant chauffer en permanence le ballon d’eau chaude de son roman, Daphné nous montre des protagonistes propres comme des sous neufs !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour cet hommage croisé à Elizabeth II et à Daphné du maurier !

Bibliographie

1 du Maurier D., Mad, Albin Michel, 346 pages

2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/crise-de-la-covid-19-la-ruee-vers-les-cosmetiques-1406/

 

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