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Une peau qui refuse les compromis cosmétiques, c’est chez Daphné !

> 10 juillet 2022

Une peau qui refuse les compromis cosmétiques, c’est chez Daphné !

Cheveux bouclés, yeux de « gazelle », voix « douce et cultivée »... il sentait bon la fougère mouillée, son petit photographe.1 Il l’a aimée, sa marquise, tout un été et puis un vol plané d’une falaise et tout s’est arrêté. Tout, enfin pas tout à fait. Le petit photographe, il avait une sœur qui a gardé en sa possession des photos compromettantes et qui va la faire chanter toute sa vie, la belle marquise. Tatouée dans sa chair, cette petite aventure de trois fois rien ! Tatouée à l’encre indélébile qu’aucun laser - même le plus puissant qui soit - ne sera jamais en capacité de blanchir.

Qui est donc cette belle marquise ?

Qui est donc cette belle marquise ? Une Lyonnaise, « fille d’un médecin besogneux et d’une mère maladive », une jeune fille de toute beauté aux « longs cheveux d’or scintillants » et aux yeux azur, qui tape dans l’œil d’un noble, à la quarantaine bien sonnée et qui réussit à se faire épouser. Pas de souci d’argent désormais. La jeune fille devient maman (ses deux filles s’appellent Céleste et Hélène) et partage son temps entre Paris, Lyon et des stations balnéaires à la mode.

Une belle marquise qui s’ennuie et se vernit les ongles

Cette année, la belle marquise passe ses vacances dans une station balnéaire à la mode. L’ennui y est quotidien. Pour passer le temps, quoi de mieux que de se vernir les ongles. Trois flacons de vernis, trois essais. Le pouce est jugé « trop rouge, trop vif », comme si du sang avait coagulé au bout de son doigt (prémonition d’un malheur à venir ?), l’index, d’un « rose ravissant », est considéré comme trop « artificiel » et parfaitement inadapté à la situation. Ce rose « élégant », qui se fondra au mieux à l’ambiance élégante d’une soirée ou d’un cocktail, est tout simplement incongru dans le cadre d’une terrasse d’hôtel. Le troisième doigt avec sa couche de vernis à ongles, « ni écarlate, ni vermillon, mais plus doux en quelque sorte, plus subtil » a toutes les caractéristiques d’une « pivoine en bouton, pas offerte encore à la chaleur du jour. » Une couche de vernis qui semble être fraîchement posée et qui en reste encore toute embuée de la « rosée du matin ». Au milieu de ces flacons de vernis à ongles, la marquise délire un peu, histoire de passer le temps. La « teinte rêvée » une fois choisie, il ne reste plus qu’à effacer ses coups d’essais avec de « petits tampons de coton ». Une fois les « couleurs choquantes » éliminées, c’est reparti pour un tour ! Les ongles restants, afin de ressembler à l’ongle-témoin, sont vernis à « petits coups précis, rapides » ! Et puis, les mains sont agitées en avant, telle une prêtresse des temps antiques, en pleine incantation. La marquise a l’habitude de pratiquer ce soin qui demande concentration et attention. Une seconde de distraction et c’est l’erreur, le débordement ! Cette tâche épuisante effectuée et bien qu’il reste encore les orteils à assortir avec les ongles des mains, notre vacancière, harassée, s’accorde un temps de repos. Le repos : l’occupation majeure d’une femme du monde en vacances ayant une bonne pour s’occuper des enfants et tout un personnel aguerri pour combler ses moindres désirs. Et lorsque la marquise se met à retirer les épingles de ses cheveux, c’est complet... même cette action toute simple la mène au bord de la syncope. Un petit effort encore afin de changer de coiffure et de placer dans ses cheveux un ruban de la même couleur que le vernis choisi.

Une odeur de cigare qui monte au balcon de la marquise

Les sens en éveil, le corps alangui, la belle marquise est prête pour l’aventure. Celle-ci pourrait bien revêtir l’allure d’un parfum de cigare. Cette « odeur de cigare » nous est signalé par deux fois ! Pourtant, ce n’est pas un fumeur de cigare qui comblera les désirs de la belle, mais un simple petit photographe porteur de handicap.

Une odeur d’encens qui monte à ses narines quotidiennement

La marquise se sait belle à croquer. Quel joli tableau, cette sublime jeune femme et ses deux gentilles fillettes. Chaque jour, dans le hall de l’hôtel, au restaurant, sur la terrasse, la marquise sent « l’encens d’admiration » qui s’élève jusqu’à elle.

Une envie de regarder par la fenêtre

Après la pose du vernis, un petit effort, afin de se rendre devant la fenêtre. Juste le temps d’apercevoir un « groupe de jeunes gens, nus et bronzés, le sel de la mer tiède à peine séché sur leur corps » ! Pas de bronzage prévu pour la marquise qui ne laisse le soleil caresser que ses pieds et ses mains. Pour le reste, une tenue élégante et couvrante et une « ombrelle », qui protège efficacement des rayons ultra-violets. Son « teint pâle » doit demeurer en l’état du début à la fin du séjour.

Une envie de sortir en ville

Quel ennui de rester cloîtrée dans une chambre d’hôtel pendant les heures chaudes. Bravant les rayons hostiles du soleil, la belle marquise saisit son ombrelle et part à l’aventure. Frisson garanti. Avant de partir, retouche maquillage obligatoire. « Elle refit soigneusement au pinceau le contour de sa bouche et appliqua une goutte de parfum sur les lobes de ses oreilles. »

Un passage obligé devant la pharmacie de service

A la vitrine de la pharmacie, les mouches mènent un joyeux bal. On peut y voir des « flacons de verre foncé, emplis de mystérieuses médecines », des « huiles solaires, des éponges et des crèmes de beauté ».

Un photographe qui mérite une photo

Dans son échoppe, le petit photographe est gracieux comme un ange, avec sa couronne de cheveux bouclés et sa douceur angélique. Son pied bot attire le regard. La marquise en est comme fascinée. M. Paul (c’est le nom du jeune photographe), lui aussi, est fasciné par la jeune femme qui entre dans son magasin. Une première rencontre, des rendez-vous officiels à l’hôtel pour poser avec les enfants et des rendez-vous dans les fougères sur un promontoire rocheux pour satisfaire les appétits de la dame. Chaque rencontre se déroule de la même manière, la marquise mettant de l’ordre dans son apparence, avant de repartir jouer les bonnes mères de famille. « Elle se leva, arrangea sa robe et sortit son poudrier et son bâton de rouge. »

Une aventure extraconjugale comme un soin d’institut

Pour la belle marquise, l’aventure avec M. Paul n’est ni plus ni moins aussi plaisante qu’une visite chez le coiffeur ou qu’un soin en institut. « C’était un peu comme aller à l’institut de beauté à Paris et se faire faire un massage facial pour éloigner les premières petites rides - sauf que cela ne lui procurait pas vraiment du plaisir, juste un bien-être voluptueux. » Une aventure, en somme, pour se sentir toujours jeune et désirable. Rapidement, la « routine » qui s’installe lasse la marquise qui considère que ce remède à l’ennui n’a pas fait long feu. Tout comme un « médicament » miracle qui donne dans les premiers temps d’excellents résultats, puis crée une accoutumance et perd de son pouvoir, le charme de M. Paul a perdu de jour en jour de sa capacité à distraire de l’ennui. La marquise saute un rendez-vous, s’étonne de la réaction de cet amant de passage (« C’était comme si son coiffeur à Paris, ou bien son masseur lui en voulaient d’avoir manqué un rendez-vous. ») ! Décidemment, cette femme n’a aucun cœur !

Un début de chantage et un saut dans le vide

L’aventure ayant assez duré à son goût, la marquise décide d’y mettre un point final. « Pour bien indiquer la finalité de cet entretien, elle se leva, lissa sa jupe froissée, passa le peigne dans ses cheveux, et se poudra le nez ». Maquillée à ravir, prête à retourner à l’hôtel, la marquise est décidée à sortir de la vie d’un M. Paul qui, de son côté, ne voit pas du tout les choses de la même façon. Un tout début de chantage et voilà M. Paul qui bascule dans le vide, poussé par une main aux ongles impeccablement vernis.

Un saut dans le vide d’une seule poussée, une séance re-maquillage express

Afin de faire bonne figure, la marquise vérifie la qualité de son teint dans le petit miroir qui ne quitte pas son sac. Horreur ! « Son visage était d’un blanc crayeux, marqué de taches, étrange. Elle le poudra lentement, soigneusement ; mais cela ne semblait servir à rien. » « Elle appliqua du fard sec sur ses joues, mais le rouge ressortit sur sa pâleur comme un maquillage de clown. » Face à un tel échec cosmétique, la marquise fonce à la plage piquer une tête dans l’eau. Comme ça au moins elle aura l’air naturel !

Et une sœur affligée qui pratique le chantage

Affligée et affligeante, la sœur de M. Paul, qui vient faire chanter la marquise, alors que celle-ci s’apprête à plier bagage ! Mme Paul a des photos de la marquise prise dans les fougères. Peut-être que M. le marquis serait étonné de les voir ? Effectivement. On peut le supposer. Edouard, le marquis - venu en hâte chercher sa femme qui se languit de lui - s’étonne du changement d’aspect de celle-ci. Une conversation avec Mme Paul et voilà la belle marquise transformée en vieille marquise. Le rouge à lèvres qu’elle vient d’appliquer n’est vraiment « pas seyant ». « [...] il sembla au marquis que le rouge à lèvres n’avait guère embelli sa femme. Ce rouge lui donnait une apparence plus âgée, hagarde. »

Le petit photographe, en bref

Seule au milieu de sa chambre d’hôtel, « des serviettes à démaquiller en bazar », dans tous les coins, la marquise « se poudre à nouveau le nez » et comprend qu’aucun cosmétique ne pourra désormais lui redonner son angélique visage d’antan. Une meurtrière dont la peau refuse désormais tout compromis cosmétique, voilà ce qu’elle est devenue, par la faute d’un seul geste. Désormais, la marquise est condamnée à vivre avec ce péché, harcelé par une femme avide, bien décidée à rentabiliser le décès du frère adoré. Une nouvelle époustouflante de maestria cosmétique !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 du Maurier D., Le petit photographe in Les oiseaux, Le livre de Poche, Albin Michel, 2016, 348 pages

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