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Une histoire vraiment trop tirée par les cheveux !

> 22 août 2020

Une histoire vraiment trop tirée par les cheveux !

Avec Poirot quitte la scène, Agatha Christie emmène son lecteur, pour la seconde fois, à Styles, une propriété qui semble véritablement hantée.1 Cette noble demeure est désormais une pension de famille tenue par un couple assez curieux ; le mari, un ancien colonel se fait mener à la baguette par une épouse autoritaire qui ne cesse de le rabrouer en public. Hercule Poirot, malade et impotent - semble-t-il - est venu se reposer dans cette pension où l’on mange mal, non pour le plaisir, mais pour le travail. Il est, en effet, sur la piste d’un assassin qui ne se salit jamais les mains. C’est par son pouvoir de suggestion que cet individu persuade, gentiment, affectueusement, efficacement, ses victimes de passer à l’acte. Mr Luttrell sera le premier à tomber dans ses filets ; un coup de fusil mal visé permettra à Mrs Luttrell de conserver la vie. La seconde victime, Mrs Franklin est une victime « par erreur ». Alors qu’elle pensait empoisonner son mari à l’aide d’un café renfermant de la fève de Calabar, Barbara succombe par la faute d’un malheureux geste effectué par Hastings. En tournant la petite bibliothèque sur laquelle Barbara a posé les tasses de café, l’adjoint préféré de Poirot modifie le cours du destin et condamne l’assassin sans le savoir. Afin d’éviter que la pension ne soit le siège d’une hécatombe, Hercule Poirot va devoir mettre au point un meurtre parfait !

Une pension de famille dépourvue d’étoile

Styles est maintenant une pension de famille sans charme ; les chambres sont toutes petites. La nourriture est insipide, pour ne pas dire mauvaise. Chaque chambre a, certes, une salle de bains, mais l’eau qui coule des robinets est... tiède. Les serviettes sont d’une maigreur vraiment affligeante. « Et les serviettes de toilette sont si minces, si maigres, les pauvres ! » Il est loin le temps de la fastueuse et unique salle de bains du domaine. La baignoire « habillée d’acajou » qui trônait au centre de la vaste pièce produisait une eau délicieusement chaude ; c’est dans des volutes de vapeur que l’on pouvait alors faire sa toilette.

Les personnages de ce roman

Dans cette pension famille cohabitent des séducteurs au teint hâlé, des scientifiques au visage ingrat, de belles jeunes femmes et un être discret, voire même « insignifiant », un certain Norton. De celui-ci, on ne retient qu’une seule chose, l’habitude qu’il a de se passer la main dans les cheveux et de « les hérisser d’une manière comique ». William Boyd Carrington est un « très bel homme », la cinquantaine triomphante, le « visage tanné comme celui d’un aventurier qui a passé le plus clair de son temps au grand air ». Le major Allerton a également le visage bronzé. A 40 ans, il a de profondes poches sous les yeux, témoins « d’une vie dissipée ». Le Dr Franklin, « cheveux blond-roux et yeux bleus », a 35 ans ; son temps il ne le passe pas à bronzer - il en est bien incapable et se couvre tout au plus de taches de rousseur - mais à travailler dans son laboratoire. Il est voué à la science ! Son visage aux « os saillants » est plutôt disgracieux. Sa femme, Barbara, 30 ans, est une douce brune « genre madone » fluette et à la peau possédant une « sorte de fragilité transparente ». Miss Craven, l’infirmière qui veille sur la santé fragile de Barbara est remarquable pour ses « magnifiques cheveux acajou » et ses mains « fines et blanches ». C’est un « beau spécimen de femme », aux « cheveux splendides » et aux « dents éblouissantes ». Miss Cole, jeune femme de 33 à 34 ans est « fort belle ». On est captivée en particulier par ses « très beaux yeux ».

La fève de Calabar, une arme de crime !

Le Dr Franklin partage avec Judith, la fille d’Hastings, une vraie passion pour la recherche. Sa thématique est centrée sur les alcaloïdes de la fève de Calabar et en particulier sur la physostigmine ou ésérine. La fève est utilisée en Afrique comme un véritable détecteur de mensonge. Lorsque l’on est innocent la fève est non toxique ; le coupable, en revanche, meurt empoisonné. Le Dr Franklin sait parfaitement le pourquoi du comment. Il existe, en réalité, deux types de fèves, dans l’une d’elles seulement on peut trouver un alcaloïde « dont l’action neutralise l’effet des autres ». Cette fève quasi magique fait rêver le scientifique qui recherche depuis des années la molécule susceptible de transformer « le crétin en un être normal ».

Après le décès de Barbara, son époux constate que le flacon contenant « la solution concentrée d’alcaloïdes » a été remplacée par de « l’eau ordinaire ». Ce flacon aurait été, selon le témoignage d’Hercule Poirot, subtilisé par Barbara.

Au sujet des cheveux et de la moustache d’Hercule Poirot

C’est en fauteuil roulant qu’Hercule Poirot accueille son ami Hastings. On connaissait Hercule enrobé, bon vivant ; on le trouve « littéralement fondu », le visage complètement ridé. « La machine est usée », selon ses dires. Curieusement, sa moustache et ses cheveux sont « noir de jais ». Du plus mauvais goût selon Hastings. « A une certaine époque j’avais été étonné d’apprendre que le noir intense des cheveux de Poirot était dû à l’usage régulier de teinture. » Là, pour le coup, l’effet est saisissant. On croirait que Poirot a troqué son « extraordinaire moustache » pour un accessoire tout juste bon à « amuser les enfants ». Après le décès d’Hercule Poirot, tout ce qu’il y a de plus naturel, d’une crise cardiaque, Hastings et George - son valet de chambre - réalisent une sorte d’hommage funèbre à la « fameuse moustache » qui a demandé tant de soins. « Elle lui allait bien ». George, plein de délicatesse, se rappelle les produits cosmétiques qu’il fallait se procurer pour en « raviver » - surtout ne pas employer le mot vulgaire de teindre - la couleur. C’est également le temps des confidences... Hastings, dont on connaît assez bien l’étourderie et le manque de sens de l’observation, ne s’est pas rendu compte qu’au fil des ans Hercule Poirot perdait ses cheveux. « M. Poirot avait perdu une bonne partie de ses cheveux au cours de ces dernières années ; aussi avait-il adopté la perruque. »

Hercule Poirot, un meurtrier qui soigne les détails

Dans cette dernière aventure d’Hercule Poirot, l’assassin, il s’agit de Norton, ne finira pas devant les tribunaux. Norton, ce catalyseur de meurtres a réussi grâce à son pouvoir de suggestion à convaincre des dizaines de personnes de passer à l’acte. Lorsque Norton se met à rôder autour de Judith, c’en est trop. Poirot met en scène le suicide du meurtrier. Le meurtre est prémédité puisque pour arriver à cela Poirot a sacrifié sa moustache. « En effet, j’ai feint de la brûler accidentellement peu après l’arrivée de Curtiss, et j’en ai fait exécuter une réplique exacte par mon coiffeur. » Une fois la perruque ôtée, une fois la moustache détachée de la lèvre supérieure, une fois le fauteuil roulant poussé de côté - et oui, notre sympathique Hercule est peut-être cardiaque, mais pas impotent - quoi de plus facile que de se glisser dans la chambre de Norton pour lui tirer une balle en plein front. Qui s’étonnerait de voir sortir de cette chambre un personnage revêtu de la robe de chambre de Norton et s’ébouriffant les cheveux comme d’habitude ?

Hercule Poirot, crédible à un cheveu prêt

Difficile de suivre Agatha Christie dans ces élucubrations. Comment croire qu’Hercule Poirot qui a été obligé de porter une perruque pour masquer sa maigre chevelure s’est retrouvé subitement avec un généreux capillaire comme celui de Norton ?

Non, franchement cette histoire est par trop tirée par les cheveux !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour l'illustration du jour.

Bibliographie

1 Christie A. Poirot quitte la scène, Librairie des Champs Elysées, 253 pages

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